Chez presque toutes les nations le commencement de l'année donne lieu à différentes festivités.
En Belgique les usages et les coutumes du nouvel an sont les mêmes ou à peu de chose près que ceux existant en France et dans les pays voisins, mais la fête y porte déjà le caractère distinctif de la plupart des fêtes belges, en nous offrant des cérémonies d'origine germanique et romaine tout à la fois.
On sait que dès le point du jour tout le monde se met en mouvement pour aller « souhaiter une heureuse année » ou « een zalig nieuwjaer » dans les maisons de ses amis, de ses patrons et généralement de tous ceux envers qui on a plus ou moins à remplir quelques devoirs. On est, ce jour-là, reçu partout avec une certaine cordialité et l'on trouve étalés des buffets garnis de liqueurs, de rafraîchissements, de sucreries, de confitures et de dragées dont on vous invite à goûter.
A Bruxelles on voyait même autrefois, ce jour-là, les habitants riches dresser devant leurs portes des buffets très-bien fournis qui étincelaient de bougies, et où tous les passants étaient régalés.
A Anvers l'usage veut qu'en souhaitant « 'ne zalige zulle » tout le monde s'embrasse sans aucune distinction ni de sexe ni d'âge.
A Courtrai ce serait manquer à la politesse que de ne pas répondre à la phrase usuelle : « 'n zalig nieuwjaer » les mots: « Ik wensch u van 's gelyke en nog vele naervolgende, is 't u goed en zalig. » (Et vous pareillement, et encore beaucoup d'autres, bonnes et heureuses.)
A Dinant on fait des « galettes » que l'on présente aux personnes qui viennent faire leurs félicitations.
A Furnes la cérémonie d'aller souhaiter une bonne année s'appelle « lukken » ou « iemand gaen lukken, » de « luk, » bonheur.
Dans le pays de Limbourg, surtout à la campagne, on est dans l'habitude de « verrassen, » surprendre. C'est à qui sera le premier à crier à l'autre: « Een zalig nieuwjaer! » ou « Gelökseelig nöwjoar! » Celui qui a été surpris étrenne l'autre, sous condition toutefois, que l'année qui commence ne soit pas bissextile; car alors le contraire a lieu. On s'ingénie de toute façon à surprendre ses frères, sœurs, parents et amis. On se lève de très-bonne heure en faisant le moins de bruit possible pour se cacher quelque part et pour crier à l'improviste: « Een zalig nieuwjaer! » Pendant toute la journée on n'entend que l'éternel « gelökseelig nöwjoar » et six semaines après on raconte encore les malices qu'on a faites au jour de l'an pour s'attraper les uns les autres. Le pain d'épice et la goutte sont les étrennes principales, les enfants reçoivent des fruits conservés.
Un usage analogue se retrouve à Bruges, où celui qui le premier apporte la goutte à la maîtresse de la maison quand elle est encore au lit, a droit à un présent.
Dans la même ville les musiciens avaient la pieuse coutume de se rendre, la nuit du nouvel an, au Grand-Marché devant la statue de la Vierge qui se trouve à la tour des Halles, pour offrir à Marie, en guise d'étrennes, trois morceaux d'harmonie. Cet usage ne fut pas même interrompu sous la domination des Gueux, et le temps le plus affreux n'arrêtait point les artistes.
A Bruxelles les Dominicains, d'après une fondation de l'an 1662, devaient se transporter processionnellement, à minuit du nouvel an, dans l'église de Sainte-Gudule, afin d'y adorer le Sacrement des Miracles pendant une heure entière. Mais en 1675 on remit cette cérémonie à quatre heures du matin au lieu de minuit.
Les sérénades qui annoncent à minuit aux autorités et aux notabilités des villes le commencement de la nouvelle année, vont partout décroissant d'un an à l'autre.
Il en est de même de la coutume de tirer des coups de fusil dès que la cloche a sonné minuit. Autrefois assez généralement répandue, cette habitude ne s'est guère maintenue que dans quelques contrées des Flandres et du pays du Limbourg, où la jeune fille se croirait encore aujourd'hui abandonnée en n'entendant pas devant sa fenêtre quelques coups de fusil tirés par son amant. Plus le nombre des coups de fusil est grand, plus l'amour du jeune homme est fort aux yeux de la jeune fille, qui, en récompense de cet hommage, met une bouteille de genièvre à un endroit convenu. Mais comme il arrive souvent que des malins dénichent et vident la bouteille cachée et destinée pour un autre, les amants préfèrent de voir descendre, attachée à un fil, par leur maîtresse même, la bouteille qui sert de récompense à leur amour.
Tandis que ces anciennes coutumes tombent plus ou moins en désuétude, l'usage de donner les étrennes, le jour de l'an, gagne de plus en plus du terrain en Belgique, même dans les provinces exclusivement flamandes. Il n'y existe pas de ville où le jour de l'an ne soit pas, tout aussi bien qu'en France, un jour de corvée, jour où, comme dit le vicomte de Launay (Mme de Girardin), vos domestiques vous poursuivent comme des huissiers, où chaque souhait se paie, où chaque embrassement vous coûte.
Les facteurs, les porteurs de journaux, les lanterniers, les veilleurs de nuit, qui à Namur s'appellent « corneurs », les tambours de la garde civique, les concierges des différentes sociétés parcourent la ville pour demander un pourboire ou « eene kleine fooi » en souhaitant « une heureuse nouvelle année » ou « een zalig nieuwjaer en veel naervolgende. » A Ath presque tous les pauvres ouvriers de la ville vont chercher ce jour un pourboire.
Les garçons ou les servantes des hôtels, des estaminets et des cafés présentent aux habitués de la maison un petit almanach ou quelque pièce de vers pour recevoir en retour les pourboires qu'on leur donne de coutume le jour de l'an, et un recueil de toutes ces improvisations rimaillées bon gré mal gré ne serait pas dépourvu de tout intérêt.
A Namur les « réverbéristes » ou allumeurs de lampes font imprimer une chanson wallonne qu'ils distribuent à tous les habitants, moyennant pourboire; les cabaretiers font des galettes pour leurs brasseurs.
En d'autres villes, les cabaretiers et cafetiers régalent, le premier de l'an, leurs habitués d'un verre de bon vin ou de liqueur; à Huy ils offrent, à chacun, une part d'un grand gâteau.
Dans la même ville les bouchers envoient à leurs chalands un gigot de mouton, ce qui se faisait autrefois aussi à Bruxelles et à Malines, où encore à présent les boulangers donnent à leurs pratiques un gâteau aux corinthes.
Les gâteaux qu'à Bruges les boulangers font, le jour de l'an, pour les envoyer à leurs chalands, s'appellent « nieuwjaerkes » ou « nieuwjaerskoeken. » Les premiers sont des pains d'épice en forme de cœurs, d'étoiles, etc.; les « nieuwjaerskoeken » sont des pains aux corinthes.
Les Furnois font, le même jour, pour les envoyer comme présents, des galettes toutes particulières, qu'ils appellent « lukken, lukjes, » nom qui nous rappelle les expressions de « guthjahr, guthjahren » (bonne année, donner une bonne année) dans la Suisse allemande et de « deroumad » (bon commencement) en Bretagne, employées pour désigner les étrennes du nouvel an.
A Dinant les enfants qui fréquentent les écoles, vont porter des tartes, des gâteaux ou du vin à leurs maîtres ou aux religieuses du couvent où ils reçoivent leur enseignement. De même les fermiers y font des présents aux propriétaires de leurs terres.
A Liége les enfants pauvres vont de maison en maison offrir des hosties en vue de recevoir un petit pourboire. La cuisinière colle la première hostie qui lui est offerte au-dessus de la porte de la cuisine. Les jeunes filles de la maison ne manquent jamais de demander à l'enfant qui le premier vient dans la maison, son prénom, parce qu'elles ont la croyance que ce sera le prénom de leur mari futur. Aussi aiment-elles a voir d'abord un garçon.
Dans le pays de Limbourg les enfants font ce tour chez leurs parrains et marraines; car les étrennes ne se portent
pas, il faut aller les chercher soi-même.
Quant à l'origine des étrennes en général:
on sait que cette coutume remonte à une très-haute antiquité. C'était Tatius, roi des Sabins et compagnon de Romulus, fondateur de Rome, qui, au rapport de Symmachus, l'a introduite en 70 avant J.-C. Ayant reçu comme un bon augure le présent qu'on lui fit le jour de l'an de quelques branches coupées dans un bois consacré à la déesse Strenia, c'est-à-dire la déesse « Forte » ou plutôt « de la Force, » il autorisa l'usage de lui offrir chaque année à pareille époque de ces heureux rameaux comme présage de l'an nouveau et donna le nom de « strenae» à ces présents qui plus tard devinrent très-luxueux. Car, bien que l'empereur Claude défendît les étrennes, ses successeurs les acceptèrent de nouveau, et sous les empereurs Arcade et Honorius les « strenae » formaient déjà un don obligé envers les empereurs, le sénat et les patrons. Peu à peu la coutume de donner des présents de nouvel an devint générale.
On prétend que les étrennes que les parents et les amis s'envoyaient réciproquement à ce jour, consistèrent d'abord en figues et dattes dorées, auxquelles était ajoutée une pièce de monnaie destinée à l'achat de statues de divinités. On y joignit bientôt des vases, des pierreries et les objets les plus précieux. Aussi les Romains ajoutaient-ils, le jour de l'an, en leurs premières rencontres, à leurs salutations, des souhaits et prières de bonheur et de félicité pour toute l'année; et la première élégie du troisième livre de Tibulle, composée pour cette occasion, nous prouve incontestablement que cet usage, aussi bien que celui des étrennes au renouvellement de l'année, était à cette époque déjà établi à Rome.
Le nom de « Guilané » ou « Gui-l'an-neuf, » que l'on donne en Touraine aux étrennes du nouvel an, consistant soit en monnaie, soit en fruits ou en bonbons, nous rappelle que dans l'ancienne Gaule, les Druides avaient également la coutume de donner des étrennes en distribuant, le premier jour de leur année, parmi le peuple, des branches du gui sacré.
Dans les Pays-Bas l'usage de donner des présents de nouvel an se laisse constater à une époque très-reculée, et quoique, au XVe siècle, l'année ne commençât pas encore au 1er janvier, on regardait néanmoins ce jour comme le premier jour de l'année solaire, suivant l'usage des Romains, très-connu et très-commun en Occident, et on donnait en ces temps-là comme à présent, des étrennes au 1er janvier, qu'on nommait aussi « Nieuwjaersdag. »
Des lettres de grâce, données l'an 1445, sont datées « le premier jour de janvier, qu'on appelle communément le premier jour de l'an . »
A Malines, la ville présenta, le 1er janvier 1503, à ce qu'Azevedo nous rapporte, au jeune archiduc Charles (Charles V), « voor eenen nieuwen jaer », une corbeille à oublies (oblie-korf) en argent doré qui coûta 23 livres 9 shellings 8 deniers brabançons.
Les étrennes principales, qu'on s'envoyait autrefois réciproquement dans les provinces belges, étaient des gâteaux dits « vergulde koeken» (gâteaux dorés), qu'on faisait venir du Hainaut, « cruitkoeken » (gâteaux aux herbes), et « Lovensche koeken » (gâteaux de Louvain) et « specie », fruits séchés et confits au sucre et aux épices.
En beaucoup d'endroits des étrennes se donnaient même en vertu de fondations.
A Anvers, par exemple, on faisait autrefois, le 1er janvier autant de gâteaux qu'il y avait de personnes dans toutes les cinq maisons de bienfaisance (Vondelingshuis, Dolhuis, Maegdenhuis, Knechtjenshuis et Vrouwkenshuis) ; chaque gâteau avait la valeur d'un « stuiver » ou de 5 cents .
Les abbayes de La Cambre et de Forêt devaient donner aux veneurs de l'ancienne vénerie ducale à Boitsfort, le jour de l'an, la première douze petits gâteaux aux herbes (cruytkoecken) et la seconde six grands gâteaux, plus six paires de bas de laine blanche, dont trois devaient monter jusqu'aux genoux. Ces objets se distribuèrent quelquefois aux pauvres, aussi longtemps qu'on ne les remplaça pas par des paies en argent. Mais au temps de l'archiduc Léopold, le gouvernement espagnol se trouvant sans argent, aliéna la majeure partie des revenus de la vénerie et permit aux abbayes de se racheter, à prix d'argent, des corvées qui leur étaient imposées.
A Louvain, l'hôpital du grand Béguinage était tenu de donner, le jour de l'an, à la supérieure des béguines qu'on appelait « Heyliggeest meesterse », à celle de l'hôpital et aux chantres, du pain et du blé et de leur offrir des flans.
A Nivelles on distribuait autrefois « les pains, » prébendes du chapitre qui subsistent encore aujourd'hui sous leurs noms primitifs.
Le « pain » était accorda au célibataire, au veuf de l'un et de l'autre sexe, à qui l'âge ou toute autre cause ne permettait plus de travailler.
Celui qui jouissait d'un « pain », recevait à l'hospice, le premier de chaque mois, une rasière de seigle et une certaine somme d'argent, puis durant l'année plusieurs centaines de fagots, sans compter d'autres libéralités qu'on y joignait souvent.
Il y avait vingt-quatre « pains » et ils étaient accordés par les chanoines et les chanoinesses individuellement.
Tous les samedis à midi, l'huissier du chapitre portait un anneau d'un chanoine à une chanoinesse et vice versâ d'une chanoinesse à un chanoine.
Celui à qui cet anneau était remis jouissait pendant les sept jours qu'il le portait du privilége de conférer à son gré les « pains » devenus vacants par la mort des titulaires.
Vingt-quatre pains étaient aussi annexés autrefois à l'hôpital du Saint-Sépulcre, mais ceux-ci, ainsi que les « Béguinages », autre institution charitable, fondée par le chapitre étaient conférés par l'abbesse.
C'est en vain que le savant Sponius a insisté pour abolir parmi les Chrétiens l'usage qu'il nomme païen de se souhaiter une bonne année et de se donner des étrennes - cet usage s'est conservé jusqu'à nos jours.
Un autre usage condamné comme indigne des Chrétiens, et qui malgré toute défense s'est maintenu pendant des siècles, a maintenant disparu. C'était la coutume appelée s faire le cerf » (cervolum ou cervulum facere) qui consistait à se déguiser en peaux de b êtes fauves et surtout de cerfs, et de parcourir ainsi les rues en dansant et en chantant la nuit du 1 janvier
Le concile de Tours ordonna déjà l'an 566, de remplacer les chants païens du nouvel an par des litanies, et le 24e canon dé l'Indiculus du concile de Leptines défend expressément les danses, chants et mascarades qui étaient en usage aux calendes de janvier; mais en 1566 encore, le magistrat d'Anvers fit proclamer, le dernier décembre, par le crieur de la ville, « que personne ne devait le soir ou la nuit du jour de l'an ni se déguiser, ni chanter, ni prendre part aux jeux » .
Des vestiges de cette coutume se trouvent encore à l'heure qu'il est dans quelques villages des environs de Turnhout, où les jeunes gens par troupes de trois à cinq vont à la porte de chaque maison en sonnant des cors de bœuf, afin de quêter quelques sous qu'ils dépensent ensuite en commun dans les auberges.
Quant aux idées populaires se rattachant à la huitième nuit ou au nouvel an, elles se rapportent pour la plus grande partie aux observations sur le temps.
Si la nuit du nouvel an est claire et tranquille, c'est-à-dire sans vent ou pluie, l'année sera bonne. S'il y a du vent, il faut observer d'où il vient. Le vent d'est prédit des maladies de bestiaux; celui d'ouest, la mortalité parmi les rois; le vent du midi annonce des épidémies parmi les hommes et celui du nord un e année féconde.
Si le matin du nouvel an le ciel est rouge, il faut s'attendre à beaucoup de mauvais temps.
Si pendant la journée le soleil est très-brillant, il y aura beaucoup de poissons.
Mais si pendant la nuit le vent souffle avec violence, il faut s'attendre à la peste
Si le feu allumé la veille du nouvel an couve encore sous la cendre le lendemain, c'est un bon signe.
Rêve de nouvel an, révélation de la vérité.
Bière de nouvel an, bière rajeunissante.