Bis ans Ende der Welt (jusqu’à la fin du monde), 1991, est probablement le dernier grand film de Wim Wenders. Loupé peut-être sous plus d’un aspect et mutilé sérieusement par la production en vue de son exhibition commerciale, il retient néanmoins ce spécial et indéfinissable lyrisme propre des meilleures créations du directeur allemand. Vous y verrez un personnage (William Hurt) qui se dédie à filmer des images qui peuvent être vues par les aveugles. C’est un geste d’amour envers sa mère (Jeanne Moreau) non exempt d’une intense rivalité de teintes œdipiennes. Son père (Max von Sydow), créateur de l’invention attend – réfugié dans une grotte équipée de la technologie la plus avancée, au milieu de nulle part dans l’extrêmement vaste territoire australien peuplé par des aborigènes, où se fusionnent, comme dans une grande partie de la meilleure science fiction, le futur et le passé le plus lointain de l’humanité – le retour du fils avec les précieuses images qui pourraient faire que son épouse puisse revoir les visages et lieux qu’elle a aimé dans sa jeunesse, avant de perdre la vue. Elle est juive et, à cause de la montée au pouvoir des nazis , les survivants de sa famille ont entrepris une diaspora vers divers continents, ce qui signifie que le voyage du fils, poursuivi, entre autres, par des agences d’intelligence qui veulent s’approprier l’invention pour des fins militaires, une femme amoureuse de lui, l’amant de celle-ci et un détective privé étrange, le mène de par le monde, sous la menace que suppose l’explosion d’un satellite nucléaire sans contrôle, dans une poursuite frénétique et absurde.
Sa propre vue empire, puisque c’est l’un des effets collatéraux de l’invention de son père. Lorsque finalement, après une série d’épreuves épuisantes, douloureuses, intenses, transformatrices et initiatiques, il arrive au bout du monde pour offrir les images à sa mère comme le plus précieux des cadeaux, celles-ci lui causent la mort, même si elle n’en dit jamais rien. Sa famille, amis et gens bien aimés y paraissent vieux, tristes et abimés, les rues et places où elle avait joué et avait connu l’amour avaient disparu et avaient été substituées par d’horribles nouveaux bâtiments qu’elle ne pouvait pas reconnaître et qui lui parlaient de destruction et d’absence.
Non sans mélancolie, nous faisons souvent l’expérience de la sensation opposée, quand nous trouvons dans des brocantes, des cartes postales anciennes des villes que nous aimons et que nous avons du mal à réconcilier ces images avec celle que nous avons de ces mêmes endroits. Il nous semble alors être en train de voir des photos de fantômes.
Giambattista Piranesi (1720-1728), qui a fait des portraits mémorables et émouvants dans ses prisons de l’imagination le paysage intérieur des êtres humains, serait le premier auteur de cartes postales de souvenir sous forme de ses célèbres vues de Rome, quarante desquelles peuvent être vues jusqu’au 9 septembre à la Bibliothèque Historique de Madrid (http://www.ucm.es/BUCM/blogs/Foliocomplutense/4065.php).
Paul Oilzum