Le rapport qui va vous faire détester la France

Publié le 27 juillet 2011 par David Talerman

L’argent public est-il bien utilisé ? Cela dépend de quel pays nous parlons. Je parlerai pour une fois peu de la Suisse, et beaucoup de la France, à l’occasion de la sortie du rapport de la Cour des comptes qui a analysé la gestion du budget de l’Elysée. Ce rapport reprend notamment en détail les coûts de la présidence de la République.

Les chiffres donnent le vertige, mais beaucoup moins que certains des tristes constats faits par la Cour des comptes. A lire les informations « troubles » qui ont été révélées, je me dis que si les chefs d’entreprises français prenaient les mêmes libertés avec les biens et les comptes de leur entreprise, ils finiraient très rapidement en prison. Visiblement, les lois ne sont, en France, pas les mêmes pour tout le monde.

J’ai donc lu avec intérêt ce rapport, et vous ai ressorti les perles. Et cela fait froid dans le dos.

Note : suite à certains commentaires, j’ai changé le titre original du billet « Le rapport qui va vous faire détester la France » : dans la mesure où je suis Français, certaines personnes ne le savaient pas et ont du coup interprété le titre d’une manière qui n’est conforme à mon souhait.

Le budget de la présidence de la République française en quelques chiffres en 2010

Mais avant de commencer, voici, en quelques chiffres, le budget de la présidence française, et son utilisation en 2010 :

  • Le budget total de l’Elysée est de 111 millions d’euros
  • Les charges de fonctionnement représentent 18% de ce total
  • Le président français a effectué près de 100 voyages en 2010 pour un budget total de 18 millions d’euros
  • Les frais de restauration ont représenté près de 7,4% du total des charges présidentielles, pour un montant de 8,3 millions d’euros
  • Rien que pour les sondages, l’Elysée a dépensé en 2010 un peu plus de 1,4 millions d’euros

Les informations incroyables qu’on trouve dans le rapport de la Cour des comptes

Le rapport pointe du doigt le fait que les charges de fonctionnement ont diminué de plus de 11% entre 2009 et 2010, et de plus de 21% par rapport à 2008. Les Français devraient-ils être rassurés et penser que l’argent public est bien dépensé ? Pas certain. Car lorsqu’on lit le rapport en détail, on trouve quelques informations surréalistes que j’ai organisées par thème :

Les oeuvres d’art placées dans les résidences présidentielles sont volées en toute impunité

Le patrimoine artistique (oeuvres d’art et autres meubles de grande valeur) placé dans les différentes résidences présidentielles par les musées d’Etat et par l’administration du Mobilier national disparaît. Voici notamment ce qu’on peut lire dans le rapport :

« Faute d’une connaissance exhaustive et actualisée de ce patrimoine, de nombreux objets disparaissaient sans que ces disparitions, constatées trop tardivement, puissent donner lieu à une quelconque recherche en responsabilité par la voie administrative ou pénale.«  Non seulement il est établi qu’on ne sait pas depuis combien de temps on vole ces oeuvres, mais comme il n’y a visiblement aucun inventaire de fait, personne ne semble capable de dire lesquelles ont été subtilisées…

Un budget annuel pour les fleurs et journaux équivalent au prix d’un appartement

Le budget « fleurs » de l’Elysée a été en 2010 de 251 000 euros, et le budget « journaux » de 383 000 euros… Rien que pour les journaux, si je fixe le prix moyen d’un abonnement à 350 euros par an, cela signifie que près de 1100 abonnements ont été conclus, soit en moyenne plus d’un par salarié de l’Elysée. Pour les fleurs, rapportées à la journée, le budget est de près de 690 euros, soit une vingtaine de bouquets par jour.

L’achat de l’avion présidentiel a coûté 5 millions de trop, à cause d’un intermédiaire inutile

L’achat de l’avion présidentiel a coûté 50 millions d’euros (HT) à l’Etat : par un jeu de passe-passe dont, après une relecture attentive du rapport, j’ai toujours du mal à comprendre qui a vendu quoi et à qui, j’ai toutefois retenu que l’appareil a été acheté 45 millions d’euros à ILFC (International Lease Finance Corporation), et a été revendu le jour même à Sabena Technics pour 47,9 millions d’euros, qui l’a ensuite revendu à l’Etat pour 50 millions d’euros. Surcoût pour l’Etat : 5 millions d’euros.

Les équipements dispendieux de l’avion présidentiel

On en avait parlé dans la presse lorsque l’Elysée a acheté son avion en 2010, et j’étais persuadé qu’il s’agissait d’un canular : parmi les équipements de l’avion présidentiel, on compte : 2 fours à 75 000 euros hors taxe, et plus de 310 000 euros pour les rideaux et leurs motorisation. De quoi achever le lecteur motivé que je suis.

Déplacements présidentiels en avion : il existe une sous-facturation des journalistes qui est à la charge de l’Etat

Lorsque le Président de la République française se déplace, il emmène avec lui une délégation de journalistes. Certains sont officiels, d’autres pas. Ceux qui ne le sont pas doivent s’acquitter des frais de transport, réglés au Ministère de la Défense. La Cour des compte s’est penchée sur la facturation de ces journalistes : il s’avère qu’il existe une différence entre le montant que devrait percevoir le Ministère de la Défense, et celui effectivement versé par les journalistes (en défaveur de l’Etat). Raison invoquée de cette sous-facturation : un décret datant de 1983 « offre » un « tarif raisonnable aussi proche que possible de la réalité du marché et supportable pour les rédactions« . Cette situation pose 2 problèmes majeurs selon moi : non seulement les rédactions voyagent aux frais des contribuables, mais par ailleurs pensez-vous qu’une rédaction à qui l’Etat et le Président proposent des voyages à bas prix toute l’année puisse être objective dans l’exercice de son métier ?

Des frais de déplacements présidentiels délirants

En 2009, la délégation française aux Nations Unies à New-York était composée de 132 personnes pour un coût de près de 1,4 millions d’euros. Oh joie, en 2010, selon le rapport, la délégation ne comptait « plus que » 76 personnes, pour un coût de 780 000 euros. Nous pouvons donc être rassurés. Autre exemple relevé par la Cour des comptes : un voyage en Haute-Marne du président de la République en 2010, qui a duré une demi-journée, a coûté plus de 284 000 euros.

Un arbre de Noël à 350 euros par enfant

Chaque année, tradition oblige, l’Elysée organise un arbre de Noël, comme beaucoup d’entreprises et d’administration. Cependant, Papa Noël ne fait pas vraiment de cadeaux, puisque la facture s’élève à 335 000 euros, soit 350 par enfant. La Cour des comptes relève royalement que sur les 920 enfants accueillis en 2010, près de 600 ne « faisaient pas partie du personnel de la Présidence de la République« . Heureusement, c’est ainsi moins difficile de justifier cette dépense faite sur le dos des contribuables.

L’Elysée ne déclare pas au Fisc français l’équivalent de 334 000 euros en nature perçus par ses salariés

Les 28 personnes employées à l’Elysée pour le service des repas bénéficient des repas gratuits, pour un montant total de 334 000 euros en 2010. Cette gratuité ne fait pas l’objet d’une déclaration fiscale par l’Elysée. Quand on connait la manière dont fonctionne le Fisc, et sa capacité à dénicher les moindres failles, on peut difficilement croire que le Fisc n’était pas au courant de cette situation. Tout ceci étant bien sûr un manque à gagner pour l’Etat. Privilèges, quand tu nous tiens.

Une baisse des coûts de fonctionnement de l’Elysée en trompe-l’oeil

La cour des comptes annonce complaisamment une baisse des coûts de fonctionnement entre 2009 et 2010 de plus de 11%. Elle commente toutefois ces chiffres, en indiquait que cette baisse est principalement due, notamment, à un transfert de résidences au Ministère de la Culture, résidences qui dépendaient initialement de l’Elysée. Par ailleurs, le rapport indique que le Ministère des Affaires étrangères et de la Défense ne font pas beaucoup d’effort pour rappeler à l’Elysée le montant des factures correspondant « à la rémunération des agents qu’elles mettent à la disposition de la Présidence de la République« . Le montant s’élève à plus de 13 millions d’euros. Donc si on lit entre les lignes, il s’avère que le budget de fonctionnement a effectivement baissé sur le plan comptable, mais qu’il y a eu transferts de charges, et non facturation de prestations aux Ministères. Certains chefs d’entreprises, dans de tels situations, sont allés en prison pour moins que ça.

Une baisse des charges de personnel de l’Elysée en trompe-l’oeil également

Alors que l’Elysée s’était engagé en 2008 à une baisse de 3% par an des charges de personnel, il s’est en fait avéré que cette réduction n’a été que de 3% sur 3 ans, alors même que le nombre de salariés est passé de plus de 1030 agents à un peu plus de 900 : on a donc moins de personnes, avec des charges de personnel qui ont baissé certes, mais 3 fois moins que ce qui était prévu : ceux qui sont restés ont donc été grassement augmenté, en moyenne, mais ça, je ne l’ai pas trouvé dans le rapport.

Des frais surfacturés

La Cour des compte dénonce le fait que les prestataires qui interviennent pour le compte de l’Elysée n’ont pas de cahier des charges précis, et qu’il est pour la plupart impossible de vérifier la prestation fournie…D’après le journal Libération qui cite une députée PS, tout le monde saurait, sans le dire, que ce sont les acteurs privés de la campagnes présidentielle 2012 qui ont aidé Nicolas Sarkozy à accéder au pouvoir qui profitent grassement de ces budgets sur-dimensionnés.

De telles pratiques sont-elles acceptables ?

La lecture de ce document est hallucinante : en le lisant, on se demande s’il s’agit d’une farce, tant certains faits dénoncés sont énormes. Dans la vraie vie, des entités ou personnes qui commettent de tels méfaits finissent en prison ou sont durement sanctionnées par la loi. Bref, ils payent.

Pour ma part, je juge, à la lecture de ce rapport, que de nombreux acteurs se goinfrent sur le dos de l’Etat. Je n’attaque pas là le Président de la République en particulier puisqu’il semblerait que ces pratiques existent depuis des décennies et qu’elles semblent s’améliorer avec la mise en place de procédures et de contrôles.

Mais quand on vous parle de déficit de la France, de chasse au déficit, et qu’on voit ces chiffres, on ne peut que s’interroger (et pleurer). Pour ma part, je me dis que nous autres Français serions bien stupides de continuer à subir de telles situations, sans réagir (mais comment ?) ou partir. Vous noterez par ailleurs au passage la date de sortie de ce rapport (en pleines vacances françaises), et le quasi silence des journalistes, alors qu’il y a matière à dire me semble-t-il.

Enfin, de telles dépenses et pratiques seraient-elles possibles en Suisse ? Probablement pas, en tous les cas pas dans le cadre de biens publics, la démocratie directe étant, à mon sens, un rempart suffisamment fort pour éviter ces dérives. En tous les cas, vu de Suisse, ces pratiques et dépenses sont scandaleuses.

Et vous, que pensez-vous de tout ceci ?

Si vous ne m’avez pas cru, vous pouvez consulter le rapport de la Cour des comptes au format pdf.

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