Rediffusion : l’élection ne suffit plus…

Publié le 27 juillet 2011 par Cahier

La disgrâce du monde politique auprès des Français est une ritournelle chantée par les éditorialistes depuis longtemps. Pourtant, le temps des lamentations sur le thème « qu’ils s’en aillent tous » doit laisser place à la réinvention d’une nouvelle pratique de l’exercice du pouvoir.

 La rupture est consommée

La rupture promise par Nicolas Sarkozy a bien eu lieu. Il s’agit, plus précisément, d’une cassure : celle du lien qui unit les Français et leurs représentants politiques.

Bien sûr, dans la patrie des chansonniers, où la plainte est un refrain national, porter un regard critique sur ses dirigeants apparaît plutôt sain. Le malaise est en réalité infiniment plus profond. C’est en effet la plus grande sévérité qui inspire les Français pour juger leurs politiciens nationaux. Les partis politiques remportent ainsi la palme de l’impopularité : avec seulement 13% de Français qui leur font « plutôt confiance », ils suscitent beaucoup plus de méfiance que la police, l’Union européenne, les syndicats, l’OMC ou même les banques (OpinionWay, décembre 2010).

 Les récents scandales, de l’Epad aux vacances ministérielles en passant par les cigares de Christian Blanc, ont certainement contribué à entacher l’intégrité de l’institution politique. Mais la gauche aurait peut-être tort de faire reposer sur les seules épaules de Nicolas Sarkozy l’entière responsabilité de cette défiance. Certes, le chef de l’État nourrit bien davantage de suspicion que de confiance (29% seulement). Mais les députés français (38%) et surtout les députés européens (31%) bénéficient d’un crédit à peine supérieur. Par ailleurs, aussi peu de Français font confiance à la gauche qu’à la droite (respectivement 22 et 21%) pour gouverner le pays, la majorité n’ayant confiance ni dans l’une ni dans l’autre (56%).

 Un tel désamour sape la légitimité de notre système politique, qui a pour fondement la légitimité de la représentation nationale. Aussi, cette impopularité des politiques déteint sur l’ensemble de la démocratie sur laquelle les Français portent un jugement plutôt amer :

- une majorité estime que la démocratie ne fonctionne pas bien (57%, +9 en un an) ;

- un Français sur deux estime que la démocratie a reculé depuis une dizaine d’année.

 L’honnêteté privilégiée à la compétence

Ce discrédit est d’abord imputable au sentiment que les hommes politiques sont perçus, de manière générale, comme plutôt corrompus (64%). Or, l’honnêteté et le respect de ses promesses constituent les premières qualités recherchées par les Français, les compétences en elles-mêmes n’arrivant qu’après. Autant la politique ne peut plus changer la vie, autant l’humilité et l’éthique constituent des vertus accessibles.

Ensuite, si on a l’image d’hommes politiques aux yeux rivés sur les sondages, les Français les jugent sourds à leurs demandes : 83% pensent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent.

 Des représentants du peuple mais pas de la société

On peut également s’interroger sur le décalage considérable entre la sphère politique et l’ensemble de la communauté nationale, alors que la première est censée découler de la seconde. En réalité, la sociologie politique n’est en rien le miroir de la société française. On évoque souvent la sous-représentation des femmes et des assemblées insuffisamment colorées, mais le seul critère social révèle des inégalités criantes. Les catégories socioprofessionnelles supérieures sont très largement surreprésentées : les cadres et les professions libérales représentent 81% des députés français. Les employés et les ouvriers, c’est-à-dire la moitié de la population active, n’en représentent qu’1 %. Même les classes moyennes sont largement sous-représentées. Les fonctionnaires, notamment énarques, composent à eux-seuls la moitié de sièges. Gauche et droite se succèdent, les catégories issues du même moule se relèvent. De là à considérer notre démocratie comme une oligarchie, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. D’où la nécessité de diversifier le recrutement du personnel politique en puisant dans de nouveaux viviers la relève politique.

 Au-delà du milieu dont sont originaires les politiques, il s’agit d’un ensemble de codes, de connivences, d’un verbe et d’une manière d’être qui ne correspond pas ou plus aux attentes des Français. Les personnalités « montantes » sont justement celles qui apparaissent aux antipodes des politiques traditionnels. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou même Nicolas Hulot se distinguent par une manière de s’exprimer plus franche, plus spontanée, déblayant des sujets plus tabous. Cette attitude rompt avec la traditionnelle langue de bois déclamant des éléments de langage. Mais il est vrai que la liberté de parole de ceux qui exercent le pouvoir est soumise à des contraintes autrement plus brimantes.

 Court-circuiter les élus

Un ancien premier ministre expliquait que « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Il avait constitutionnellement raison, le peuple déléguant ce pouvoir à des représentants. Pourtant, au moment où la démocratie représentative s’essouffle, imaginer une nouvelle organisation du pouvoir ne semble pas absurde. Modifier la règle du jeu pourrait donner un nouveau souffle démocratique, si ses effets impactent directement le citoyen. Une majorité de Français s’intéresse en effet toujours à la politique (58%). La multiplication des prises de parole sur Internet, la circulation de pétitions, le nombre de participants aux manifestations montrent une certaine soif de démocratie et d’engagement qui ne passerait plus uniquement par l’élection de représentants.

Concrètement, selon TNS Sofres, une majorité (63%) aimerait pouvoir trancher sur les sujets de société par référendum (ce qui est pour l’instant interdit par la constitution). 61% des Français souhaiterait même qu’une manifestation réunissant plus d’un million de personnes permette de réviser une loi. L’ère de la gouvernance des experts, des technocrates, ne semble plus au goût des citoyens de 2011, ces « meilleurs d’entre nous » n’ayant pas réussi à sortir le pays de l’ornière dans laquelle il est plongée.

Les Français ne sont pas pour autant, en dépit de leur défiance à l’égard des élites, favorables à une transparence absolue. L’affaire WikiLeaks leur a bien révélé que la raison d’État pouvait parfois justifier que les citoyens ne sachent pas tout.

 Une République déséquilibrée

Cette désaffectation touche l’ensemble des pays démocratiques occidentaux. En France, la Vème République est devenue bancale depuis 1969, fin de la période gaullienne. L’une des innovations de la constitution de 1958 était de faire reposer la légitimité du pouvoir sur l’élection mais également sur la démocratie directe : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (article 3). Depuis, les référendums se sont raréfiés. Nicolas Sarkozy avait introduit, dans sa révision constitutionnelle de 2008, le référendum d’initiative populaire sous conditions, mais il ne semble désormais plus très pressé pour faire voter la loi organique nécessaire à sa mise en place.

 L’homogénéisation du personnel politique, la crise de légitimité des dirigeants politiques, la perte d’une certaine éthique et la présidentialisation du régime ont exacerbé le déséquilibre existant. Il serait sage d’y remédier, en mettant fin de la consanguinité politique et à la renaissance de la démocratie directe, si l’on veut éviter qu’une crise politique ne finisse par tout emporter.