Dans un rapport rendu public mercredi 13 juillet, la Cour des comptes tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur la dette des collectivités locales.
Le président de la commission d’enquête de l’Assemblée sur les « emprunts toxiques » a salué le rapport de la Cour des comptes. Ce président n’est autre que Claude Bartolone, également président du Conseil Général de Seine-Saint-Denis, habitué des sorties médiatiques contre les établissements bancaires. Il faut dire que dans le pays ou l’anticapitalisme est le plus prononcé, Claude Bartolone ne prend pas un grand risque avec ce genre d’attaques.
La Seine-Saint-Denis, symbole de la mauvaise gestion
Le président du conseil général de Seine-Saint-Denis veut en effet assigner en justice les trois banques (Depfa, Calyon et Dexia) avec lesquelles le département a négocié des contrats ‘toxiques’. Cela en dit long sur la valeur du contrat aux yeux de l’édile socialiste. Tant qu’il m’arrange, je le respecte, mais dès que je suis plus à mon avantage je me désengage. Pile je gagne, face je ne perds pas. Cela est très pratique avec ce type de prêts, qui sont structurés pour que les charges d’intérêts soient faibles les premières années.
Rendons justice à l’élu socialiste, ce n’est pas réellement lui qui était aux manettes quand ces prêts ont été souscrits. En effet, ils l’ont été de 1997 à 2008, année ou Claude Bartolone a mis fin à 40 ans de règne communiste. Ces emprunts structurés représentaient alors 93% de la dette, la proportion étant désormais ramenée à 72% (pour un encours de 952,7 millions d’euros).
Difficile pourtant de s’en prendre à ses amis communistes puisqu’ils sont désormais associés dans la gestion du département et que leur union est nécessaire pour avoir la majorité. Il est tellement plus facile et électoralement rentable de s’ériger en héraut des anti-banques : «J’ai un emprunt de 10 millions d’euros avec la banque irlando-allemande Depfa. Le taux initial, pendant 3 ans, était de 1,47% et le taux actuel est de 24,20%, ce qui représente un surcoût de 1,5 million d’euros par an, soit presque le coût d’une crèche». Le message subliminal est limpide : à cause des banques, les citoyens vont devoir se passer d’une crèche. Et surtout pas à cause des communistes qui ont perdu (enfin fait perdre le contribuable…) en spéculant sur les marchés financiers.
Comme le note justement l’IFRAP :
« Le Cabinet Klopfer, mandaté par Claude Bartolone lui-même, critique de façon virulente la politique de la gestion communiste ayant consisté à accroître l’exposition au risque de taux d’intérêt (par des emprunts basés sur les écarts de taux), ce qui n’a « aucune justification » pour une collectivité locale. Ce recours, particulièrement inadapté pour un service public, aux instruments les plus sophistiqués du marché est un comble pour une gestion communiste. »
L’objectif socialiste : mutualisation des pertes et déresponsabilisation générale
Maurice Vincent est maire PS de Saint-Etienne, ville rencontrant des difficultés similaires, et accompagne Claude Bartolone dans sa croisade anti-banque. Les deux socialistes ont la solution miracle à leurs problèmes : faire reprendre les prêts les plus risqués par une structure de défaisance publique. Maurice Vincent fait également dans l’originalité en proposant qu’une grande partie des pertes liées aux emprunts toxiques « soit prise en charge par une taxe sur les banques ». Leur plan revient donc à mutualiser les pertes ou à les faire supporter par d’autres. Autant dire que les gestionnaires, dont le sentiment de responsabilité de l’argent du contribuable qui leur était confié était déjà tout relatif, s’en donneraient à cœur joie.
L’IFRAP avait déjà dénoncé l’année dernière cette tendance à la déresponsabilisation :
« Au lieu de « responsabiliser des élus » en balisant clairement les risques encourus, le choix a été fait de déresponsabiliser les collectivités locales en les mettant un peu plus sous tutelle (Charte Gissler adoptée le 7 décembre 2009). Ainsi la charte Gissler précise que les collectivités locales se voient conférer le statut de clients non professionnels. Ainsi les collectivités se retrouvent considérées comme de simples particuliers en matière de devoir d’information et de modélisation financière. C’est dire la compétence professionnelle que les pouvoirs publics reconnaissent à leurs services internes ! »
Qu’est-ce qu’un produit structuré ?
Pour financer leurs investissements, les collectivités et établissements publics locaux utilisent massivement le crédit. Il en existe différents types, le plus classique étant évidemment le taux fixe. Il a pour avantage de planifier un échéancier entièrement connu à l’avance.
Les choses peuvent se complexifier un peu en utilisant un prêt à taux variable, ou le taux est calculé à partir d’un indice de référence, par exemple l’Euribor. Ce genre de prêts est proposé en général quand les taux sont bas, ce qui permet de diminuer à court terme la charge financière de la dette. Sur le moyen-long terme, c’est plus aléatoire, ce qui n’est pas négligeable pour des crédits dont la durée atteint 20, 30, voire même 50 ans. Mais ce sera la problématique des gestionnaires suivants, car la bombe n’explosera pas avant la prochaine élection…
Un nouveau degré de complexité est franchi quand la banque achète ou vend une option, sur taux ou devise par exemple. Le crédit, par l’inclusion de ce contrat dérivé, devient structuré. En achetant un cap, l’emprunteur peut se prémunir contre une hausse du taux variable en le plafonnant. Mais ce cap a un coût et le crédit devient un peu plus cher. C’est le prix de l’assurance contre le risque. Inversement, la collectivité peut vendre une option. Le produit de cette vente permet de bonifier le taux client en contrepartie de l’exposition à un risque. Si ce risque se matérialise, les taux explosent et les bénéfices des taux bonifiés des premières années sont plus que dilapidés.
Voici quelques exemples de formules de calcul de taux d’intérêt, pour un prêt sur 10 ans, par complexité croissante :
1/ Taux variable simple
Taux = Euribor 3 Mois + 2,00%
Si l’Euribor 3M augmente, les intérêts augmentent. Et vice versa. Les intérêts peuvent donc en théorie augmenter sans limite, mais le risque semble limité.
2/ Mais le client peut souhaiter se prémunir contre une augmentation de l’Euribor. Il achète donc un cap de maturité 10 ans (durée du prêt) et de prix d’exercice 4,00%. Son prix est supposé égal à 0,50%. Cela veut dire que chaque fois que l’Euribor 3 mois dépassera les 4,00%, le client touchera la différence, ce qui plafonne son taux.
Si Euribor 3M < 4 % alors Taux = Euribor 3M + 2,00% + 0,50% (prix du cap) = Euribor 3M + 2,50%
Sinon Taux = Euribor 3M – (Euribor 3M – 4,00%) + 2,00% + 0,50% = 6,50%
Comme dit précédemment, l’assurance contre le risque a un prix et au début du prêt le client paiera plus cher que dans la 1ère version (Euribor 3M + 2,50% vs Euribor 3M + 2,00%)3/ Le client peut souhaiter spéculer violemment contre une augmentation de l’Euribor. Il vend donc quatre cap de maturité 10 ans (durée du prêt) et de prix d’exercice 4,00%. Son prix est supposé égal à 0,50%. Cela veut dire que chaque fois que l’Euribor 3 mois dépassera les 4,00%, le client paiera quatre fois la différence.
Si Euribor 3M < 4 % alors Taux = Euribor 3M + 2,00% – 4 x 0,50% (prix du cap) = Euribor 3M
Sinon Taux = Euribor 3M + 4 x (Euribor 3M – 4,00%) + 2,00% – 4 x 0,50%
= Euribor 3M + 4 x (Euribor 3M – 4,00%)
Si l’Euribor 3M atteint 6,00%, le taux client sera de 6,00% + 4 x (6,00% – 4,00%) = 14,00% ! L’homme politique ne parlera alors plus de produits structuré, mais dira que la banque lui a vendu un ‘emprunt toxique’.
Il est peu probable que le seuil des 4,00% soit atteint rapidement, ce qui veut dire que la charge d’intérêts pendant les premières années du prêt est bonifiée par rapport aux exemples 1 et 2. En effet, le client paie alors seulement Euribor 3M , vs Euribor 3M + 2,00% ou Euribor 3M + 2,50%.
Les options (cap) évoquées ici sont des options sur taux. Mais il en existe également sur devises ou sur l’inflation. En la matière, il est vrai que les banquiers se sont montrés très imaginatifs, ce qui est peu surprenant dans la mesure que la marge et les commissions sont d’autant plus élevés que le produit est complexe. Les collectivités ont ainsi pu parier sur des écarts d’inflation entre la France et la zone euro, la parité USD/CHF ou encore sur la pentification de la courbe de taux.
L’intérêt financier discutable de produits si sophistiqués avait déjà été évoqué dans un rapport précédent de la Cour des Comptes.
« Ainsi, un établissement de santé a choisi une indexation sur l’écart entre l’inflation européenne et l’inflation française (lorsque cet écart diminue, le taux du prêt augmente). Il a donc opté pour un index dont l’évolution naturelle tend à maximiser le taux d’intérêt de son prêt puisque l’existence de la zone euro a normalement pour effet de rapprocher les taux d’inflation des pays membres. L’hôpital a donc choisi un index qui non seulement n’a aucun lien avec son activité mais qui, de plus, apparaît contestable sur un plan économique et financier. »
Le fait que les banques aient pu proposer des produits inadaptés au besoin des collectivités ne dédouane pas ces dernières. D’ailleurs, les prêts répondaient à la demande des gestionnaires, qui était d’avoir un taux d’intérêt bonifié les premières années.
« On ne sait pas quels fondements économiques et financiers peuvent conduire des collectivités et établissements publics locaux à décider d’indexer les taux d’intérêt de leur dette sur l’évolution d’une parité monétaire, d’un écart entre deux taux d’inflation ou sur la pente de la courbe des taux du marché interbancaire. De tels choix révèlent la réalisation d’opérations consistant à parier avec un banquier sur l’évolution d’indices ou de valeurs économiques sans lien avec l’activité ou le financement de l’emprunteur. Ils s’apparentent à une démarche spéculative et de ce fait, sont critiquables. »
Malgré le réflexe pavlovien anti-spéculation, l’analyse de la Cour sonne juste. En fait, ce n’est pas tant la spéculation en elle-même qui est critiquable, mais la spéculation avec l’argent du contribuable.
Nous avons donc vu que ces produits structurés, s’ils sont effectivement plus complexes que de simples taux fixes, n’ont rien de sorcier. S’il est normal que la veuve de Carpentras n’y comprenne rien, c’est nettement plus inquiétant pour des directions financières de collectivités dont les budgets dépassent parfois le milliard d’euros. D’autant que ces dernières ont les moyens de se faire épauler par des cabinets de conseil.
Le rapport de la Cour des Comptes
La Cour soulève quelques points intéressants :
1/ Il est toujours aussi difficile d’avoir des statistiques fiables sur ce sujet.
Elle estime néanmoins que sur les 160 milliards d’euros de dettes, entre 30 et 35 milliards seraient structurés (« toxiques »), dont 10 à 12 milliards d’euros présentant un risque potentiel élevé.
On peut d’ailleurs voir que l’endettement croît régulièrement, avec une augmentation de 40% en 6 ans (avec + 63% pour les départements et +80% pour les régions).
2 EPCI : établissements publics de coopération intercommunale ; il s’agit ici des EPCI à fiscalité propre
3 EPL : établissements publics locaux
La dette des collectivités locales représente une dizaine de pourcents de la dette publique totale, proportion assez stable dans le temps.
2/ Pour réaliser un volume de dépenses d’équipement élevé, des collectivités ont pu ainsi vouloir réduire l’annuité du capital remboursé. Elles ont donc renégocié les crédits en augmentant la durée de remboursement. La Cour voit juste en disant que « De nombreuses collectivités ont décidé de rallonger la durée d’amortissement de leur crédit avec pour principal objectif d’améliorer la présentation de leur budget, mais d’une manière artificielle. »
Et de citer de nombreux exemples :
« Ainsi, entre 2006 et 2007, la durée de vie de la dette résiduelle du département de l’Ain est passée de 9,3 ans à 13,6 ans. Pour la commune de Saint-Etienne, cette durée est passée de 16,5 ans en 2004 à 18,5 ans en 2008, alors qu’en moyenne, elle était en 2008 de 12,7 ans pour les villes de plus de 100 000 habitants. La commune de Saint-Maur-des-Fossés a accepté au cours de divers réaménagements de sa dette d’en rallonger la durée résiduelle de 16,2 ans à 24,4 ans entre 2002 et 2008. »
3/ Des pratiques comptables douteuses, s’éloignant de la plus élémentaire prudence.
L’IFRAP avait déjà analysé avec justesse la situation :
« Une vraie réforme en profondeur consisterait à proposer une règle de valorisation de ces engagements financiers (ce qu’avait prévu une première rédaction de la Charte) et le provisionnement des pertes latentes qui pourraient en résulter à titre prudentiel. Or actuellement, les collectivités n’ont ni l’obligation d’évaluer le coût global des produits financiers qu’elles utilisent, ni de provisionner ces engagement, ni d’en présenter une actualisation en fonction de l’évolution des taux ! »
En pratique, si l’on reprend le 3ème exemple de prêt structuré présenté ci-dessus, cela revient à provisionner le risque (que l’Euribor 3M passe au-dessus de 4,00%). Que rien ne soit provisionné quand l’Euribor 3M est à 1,00% n’a rien de choquant. Par contre que le comportement comptable soit la même si l’Euribor 3M est à 3,99%, donc quand la collectivité est proche de payer un taux majoré, voilà qui semble manquer de la plus élémentaire des prudences.
Cette faille a d’ailleurs aussi été remarquée par la Cour :
« L’état réglementaire exigé par l’instruction comptable M14 en annexe aux documents budgétaires et au compte administratif des communes ne permet d’apprécier que les seuls flux de charges et produits générés par les contrats de couverture. Il autorise de ce fait des présentations tronquées de l’information financière en permettant l’enregistrement de produits isolés et temporaires, sans référence à la valorisation parfois très lourdement négative des positions agrégées d’une même collectivité.
L’exemple d’une collectivité ayant réalisé une opération d’échange de taux d’intérêt pour un encours de dette de plus de 9 M€ est à cet égard éclairant. En l’absence d’une obligation de valorisation de l’ensemble de ses positions, la collectivité s’était ainsi contentée de souligner l’efficacité de sa gestion en invoquant un produit financier cumulé de 437 000 €, encore accru par le débouclage d’un contrat et l’encaissement d’une soulte de 83 000 €. La collectivité omettait de mentionner que la valeur de marché des instruments conservés établissait à 110.000 € ses pertes latentes pour des contrats qui, à l’inverse de ceux dont elle s’était défaite, étaient susceptibles d’engendrer d’importantes charges financières sur les prochains exercices. »
Conclusion
Avant même de s’interroger sur le type d’emprunt contracté, il est étonnant qu’aucun débat n’ait été engagé sur la nécessité même d’emprunter. En effet, derrière les prêts de plus en plus nombreux (augmentation de 40% des encours entre 2004 et 2010) se cachent des projets souvent très discutables, comme les investissements dans le ferroviaire. La priorité devrait être une utilisation plus parcimonieuse des deniers publics.
Il faut évidemment responsabiliser les acteurs en les laissant assumer les conséquences de leurs actes. Ce qui revient à refuser la création de toute structure de défaisance ou équivalent.
D’autant que les collectivités comptables ont sciemment adopté des politiques visant à améliorer les finances à court terme ou relevant de la cosmétique comptable, quitte à se mettre en grand danger à moyen et long terme. C’est ainsi qu’elles ont massivement rallongé les durées de leurs crédits ou contracté des emprunts structurés.
Enfin, il conviendrait pour les collectivités d’adopter une comptabilité plus sincère et plus prudentielle, notamment prenant en compte la dévaluation des produits dérivés.
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