Jean Louis Ernest Meissonier (Lyon, 1815-Paris, 1891),
À l’ombre des bosquets chante un jeune poète, c.1852-53.
Huile sur bois d’acajou, 18,4 x 21,7 cm, Londres, Wallace Collection.
S’intéresser à George Onslow, c’est être amené à se demander, au fur et à mesure que l’on découvre sa production, par quel étrange caprice ou aveuglement du sort
elle a pu tomber dans le plus complet oubli avant d’être redécouverte, à partir des années 1970 mais surtout 1990, par une poignée de chercheurs tenaces. Le Palazzetto Bru Zane, dans le cadre
de sa mission de valorisation du patrimoine musical romantique français, s’est, dès le départ, attaché à mieux faire connaître l’œuvre et le parcours de ce compositeur si malmené par la
postérité, lui consacrant ouvrages et disques. Je vous propose d’en découvrir le dernier fleuron avec l’enregistrement intégral de la musique de chambre avec instruments à vents que vient de
réaliser, en collaboration partielle avec l’Ensemble Contraste, le jeune Ensemble Initium pour le label Timpani.
À l’exception du Sextuor pour flûte, clarinette, basson, cor, contrebasse et piano, opus 30, composé en 1825, les
partitions de chambre avec vents de George Onslow (1784-1853) datent de la fin de sa vie, puisque 1849 a vu la naissance du Nonette pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, violon,
alto, violoncelle et contrebasse, opus 77, et du Septuor pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, contrebasse et piano, opus 79, le Quintette pour flûte, hautbois,
clarinette, basson et cor, opus 81, pouvant, lui, être situé environ un an plus tard, les deux dernières œuvres ayant été publiées simultanément, en 1852. Comme souvent avec la musique
d’Onslow, son premier essai en la matière fut accueilli avec circonspection par le public parisien tandis que l’Allemagne lui fit fête ; il fallut au Sextuor une vingtaine
d’années pour connaître le succès en son pays, le temps nécessaire pour que le goût des salons évolue suffisamment pour leur faire accepter puis rechercher, ainsi qu’en atteste le succès du
Nonette et du Septuor, des pièces qui, par leur configuration élargie, tiennent autant de la musique de chambre que de la symphonie (le nombre d’instruments du
Nonette est, à un près, le même que celui employé par Gounod dans sa Petite Symphonie de 1888, uniquement pour vents) ou du concerto miniatures. Onslow ne fait pas preuve,
dans ces quatre pages, de l’esprit aventureux qui signe nombre de ses quintettes et quatuors dont on commence seulement aujourd’hui à mesurer pleinement les audaces ; de façon sans aucun
doute délibérée, il mise sur l’extrême raffinement des coloris né d’une science très sûre du mélange des timbres, ainsi que d’une esthétique empreinte d’élégance et de légèreté, modelée sur les
us de la conversation entre gens du meilleur monde, pour retenir, avec succès, l’attention de l’auditeur. Usant d’une clarté formelle toute classique qui renvoie aux modèles bohémiens ou germaniques, qu’il s’agisse de son professeur, Jan Ladislav Dussek (1760-1812), ou de Johann Nepomuk
Hummel (1778-1837), auxquels les parties pianistiques du Sextuor, d’ailleurs dédié à ce dernier, et du Septuor doivent beaucoup, ou de Louis Spohr (1784-1859), dont le succès
de la création parisienne du Nonette, le 28 novembre 1847, encouragea le Français à écrire le sien en employant la même distribution instrumentale, Onslow ne manque également pas de se
souvenir de la manière d’Antonín Reicha (1770-1836), qui fut son maître de composition et dont l’œuvre pour instruments à vents est abondante et pleine d’originalité, mais aussi de celle de
Mozart et Haydn, dont l’esprit semble planer sur le Quintette, le premier dans la limpidité ponctuée d’un indicible trouble qui signe le mouvement liminaire, le second dans la vivacité
espiègle du Scherzo, comme si, arrivé au terme de sa carrière, le compositeur souhaitait adresser un dernier salut à des temps qu’il savait révolus. Cette coexistence de deux mondes
sensibles est d’ailleurs perceptible dans les quatre œuvres, qu’on ne saurait réduire à être les fruits d’une ultime floraison du classicisme ; les Andante à variations, si
populaires dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, du Sextuor et du Nonette sont, à cet égard, éloquents, car ils font
alterner la grâce souriante attendue avec des élans effusifs et de subits assombrissements nettement romantiques. Cette même humeur imprègne également certaines des phrases mélodiques, d’un
lyrisme et d’un abandon à peine contenus évoquant tantôt l’atmosphère des Nocturnes, tantôt celle de scènes opératiques, des premier et troisième mouvements du Septuor. À la fois
ancrée dans la tradition et soucieuse de la revivifier en la confrontant à la sensibilité de son siècle, la musique de chambre avec vents d’Onslow se révèle d’une richesse insoupçonnée et
mérite sans nul doute que l’auditeur d’aujourd’hui s’y attarde.
L’interprétation que l’ensemble Initium (photographie ci-dessous) délivre de ces pages est de très haute volée, et si j’ai un
unique bémol à exprimer, il concernera les cordes de l’Ensemble Contraste dans le Nonette. La prestation de ces jeunes musiciens, dont j’avais pourtant loué l’élégance dans un
récent disque Fauré, y est, à mon goût, trop exagérément riche en vibrato, ce qui a pour conséquence d’empâter une partition requérant, tout au
contraire, finesse du trait et sveltesse des textures. Sans tomber dans l’excès, tout aussi fautif, d’une esthétique absolument non vibrée, il me semble que seul un usage raisonnable de cet
ornement rend réellement service aux œuvres d’avant 1900 ; les lecteurs moins sensibles que moi sur ce point me trouveront probablement trop tatillon. Cette réserve exprimée, ce sont
uniquement des éloges que me semble mériter l’Ensemble Initium, dont le travail aussi précis que sensible sur les quatre œuvres permet de balayer définitivement l’idée selon laquelle elles
pourraient être convenues ou faciles. En les abordant avec une envie et une humilité également indéniables qui leur permettent d’en prendre instantanément la mesure, les musiciens ne tardent
pas à révéler ces pièces comme les véritables joyaux qu’elles sont, mettant aussi bien en lumière la subtilité de leur construction que les trésors de sensibilité qu’elles recèlent, que
celle-ci s’exprime sur le mode de la légèreté (Allegro non troppo du Quintette) ou d’une gravité jamais pesante (Andante con variazioni du Sextuor).
La discipline d’ensemble, la
précision des attaques et les couleurs somptueuses de chaque pupitre, dont il faudrait citer nommément chaque titulaire pour ne pas être injuste, sont mises au service d’une vision
véritablement élaborée qui prend les œuvres au sérieux sans jamais que ce respect soit paralysant, et leur insuffle une vivacité et une luminosité enthousiasmantes. Grâce à une excellente
gestion des dynamiques, à l’écoute mutuelle et à la complicité entre des musiciens dont le plaisir de jouer ensemble est évident et communicatif, ces plus de deux heures de musique ne
connaissent pas de temps mort et parviennent sans mal à tenir l’auditeur sous leur charme. Il me faut dire un mot de Johan Farjot, dont le rôle est essentiel dans le Sextuor et le
Septuor, et qui y effectue un sans-faute, car, outre qu’il démontre des capacités techniques indiscutables, le pianiste de l’Ensemble Contraste parvient, avec une minutie qui atteste
d’une connaissance, voire peut-être d’une pratique, des claviers du milieu du XIXe siècle, à doser la densité sonore de son instrument avec une
intelligence et une justesse assez extraordinaires. Vous penserez peut-être que ce n’est qu’un détail, et pourtant celui-ci change tout, car le piano, libéré de toute lourdeur, particulièrement
dans les registres graves, y gagne grandement en spontanéité et s’intègre avec beaucoup plus de naturel dans la texture instrumentale où il peut briller sans écraser ses partenaires. Les pièces
acquièrent ainsi un équilibre et un raffinement superbes. Notons, pour finir, que ce magnifique travail collectif est servi par une prise de son dont la précision sans sécheresse et la
transparence rendent parfaitement justice au travail des musiciens, en lui offrant un épanouissement acoustique conforme à ce qu’on imagine pouvoir être celui d’un salon des années
1840-1850.
Je vous recommande donc tout particulièrement ce double disque qui constitue, à mes yeux, un apport d’importance à la discographie de
George Onslow, en ce qu’il permet de disposer d’une interprétation artistiquement de tout premier plan, car cohérente, idiomatique et sensible, de sa musique de chambre avec vents, justifiant,
malgré la réserve émise quant au Nonette, l’attribution d’un Incontournable Passée des arts. On espère vivement que le Palazzetto Bru Zane permettra aux excellents musiciens
de l’Ensemble Initium, ainsi qu’à Johan Farjot, de continuer à explorer le répertoire romantique écrit en France pour leurs instruments ; Reicha, Blanc, Gounod, Farrenc ou Gouvy, entre
autres, n’attendent qu’eux.
George Onslow (1784-1853), La musique de chambre avec instruments à vents.
Sextuor pour flûte, clarinette, basson, cor, contrebasse et piano en mi bémol majeur, opus 30*, Septuor pour flûte,
hautbois, clarinette, basson, cor, contrebasse et piano en si bémol majeur, opus 79*, Nonette pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, violon, alto, violoncelle et contrebasse en
la mineur, opus 77**, Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, basson et cor en fa majeur, opus 81.
Ensemble Initium
avec Johan Farjot, piano*, et l’Ensemble Contraste**
2 CD [74’49” et 59’13”] Timpani 2C2185. Incontournable Passée des arts. Ce double disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Sextuor, opus 30 :
[III] Andante con variazioni
2. Septuor, opus 79 :
[IV] Finale. Allegretto
Illustrations complémentaires :
Pierre Louis Henri Grévedon (Paris, 1776-1860), George Onslow, 1830. Lithographie, 32 x 24 cm, Paris, Bibliothèque
Nationale de France.
La photographie de l’Ensemble Initium et de l’Ensemble Contraste, prise durant les sessions d’enregistrement du disque, est de
Batiste Arcaix. Je remercie l’Ensemble Initium de m’avoir autorisé à l’utiliser.