Article publié initialement sur Memesprit
Je suis tombé sur des photos de l’exposition «Les Espaces Palimpsestes» un peu par hasard (en parcourant la page d’Owni, très bon site d’info décalée), et j’ai tout de suite été séduit par les qualités plastiques de ces photos, et par le concept de cette série, qui insère des bouts de peintures de maîtres au milieu de graffitis en plein cœur de squats abandonnés.
On trouve très peu d’informations sur l’auteur (Patrick Baillet) et sur son œuvre, et même son site n’est pas très bavard… Une recherche rapide sur le blog expert du Street Art Stencil History X n’a donné aucun résultat (le fait qu’il s’agisse de Street Art pouvant légitimement être discuté, on en reparlera plus bas). On a eu la « chance » en allant voir l’expo de tomber sur le propriétaire de la galerie, et j’espérais en apprendre enfin un peu plus sur le travail de Baillet mais en fait le galeriste (en plus de nous abreuver de banalités, et de réflexions sur l’art urbain étonnantes de la part de quelqu’un qui a choisi d’y consacrer sa galerie) avait l’air d’en savoir autant que moi sur le sujet (je cite : « c’est un prof de… je sais plus quoi » (la bonne réponse est : design), « non, ce n’est pas la première fois qu’il fait ce genre de choses, c’est son truc » -mais sans donner plus de détails sur le reste de son travail) : un peu gênant pour quelqu’un qui prétend exposer les œuvres des artistes pratiquement par altruisme, mais je m’éloigne du sujet.
J’ai été un peu déçu dans un premier temps en découvrant que l’artiste n’avait pas réellement reproduit les œuvres de maîtres dans ces lieux, mais que son travail avait en fait « seulement » consisté à prendre les lieux en photo, puis à insérer numériquement les bouts d’œuvres dans ses images. Mon premier réflexe, un peu idiot mais naturel (vous avez peut-être le même en ce moment), consistait à juger que son mérite était moins grand : tripatouiller la palette graphique demande en effet vraisemblablement moins de temps et moins de talent que de reproduire matériellement l’œuvre sur les murs de ces squats. Mais après tout, réussir à produire d’aussi belles photos et à donner l’illusion de cette parfaite intégration est déjà la preuve d’un talent certain. Par ailleurs, le support numérique, s’il est certes plus moderne, n’est pas pour autant moins noble que la plus traditionnelle peinture ; et surtout l’Histoire de l’art a déjà eu maintes fois l’occasion de nous prouver que ce qui fait un chef d’œuvre peut tenir aussi bien à la prouesse technique de l’artiste qu’à la puissance de son concept.
Et ici, le concept est bon, à double titre.
A moins d’être anormalement insensibles, nous sommes tous inexplicablement touchés par la vision de ruines ; on trouve dans les manifestes des Romantiques et dans tout un tas de thèses d’esthétique des tentatives d’explication de cette étrange fascination.
Or ici, d’une part, Patrick Baillet choisit des lieux délabrés, en perdition, comme cadre de ses installations : hangar désaffectés, immeubles désolés… sublimées par l’œil et le talent du photographe, ces ruines, même modernes, retrouvent souvent la beauté des ruines classiques. D’autre part, à l’instar du palimpseste évoqué dans le titre de l’expo (pour mémoire, un palimpseste était –outre un défi pour qui veut taper le mot au clavier, essayez pour rire- à l’époque où le papier était plus rare qu’aujourd’hui, un parchemin dont on grattait la surface pour faire disparaître ce qui y avait été inscrit dans un premier temps, afin de retrouver un support utilisable pour de nouveaux écrits), les peintures de maîtres viennent s’insérer entre la trame du mur et les graffitis récents, évoquant une magnifique existence passée qui aurait été progressivement recouverte par les formes d’expression ultérieures : on se retrouve alors ému à la fois par la beauté de ce qui reste, mais aussi par l’idée de ce qui a disparu, et que notre imagination est libre de rêver sous des formes plus ou moins fantastiques.
On pourra regretter par contre que le procédé artificiel de la numérisation prive l’œuvre de ce supplément d’âme que peut avoir une œuvre abandonnée par son créateur dans des lieux oubliés, condamnée à n’être vue de personne ou presque –mais qui ferait le bonheur de ceux qui la découvriraient par hasard.
C’est d’ailleurs la limite qui sépare les réalisations de Patrick Baillet de ce qu’on appelle véritablement le Street Art : même s’il en reprend les codes et l’esthétique, en entrant à l’inverse dans les galeries, l’artiste préfère la notoriété aux charmes plus discrets de la clandestinité. Et au lieu d’œuvres « gratuites » n’appartenant plus à personne sinon à ceux qui peuvent les contempler librement, choisit la marchandisation de son art, que des amateurs ou des commerçants pourront s’approprier pour le plaisir de les posséder ou pour leur seule valeur pécuniaire.
C’est dommage, mais ça n’enlève pas leurs qualités plastiques, ni leur force évocatrice, à ses photos, que je vous encourage donc à aller découvrir sur son site, ou mieux, grandeur nature dans la galerie Lazarew (qui en a rassemblé une quinzaine pour son exposition Les Espaces Palimpsestes) 14 rue du Perche à Paris (Métro St Sébastien Froissart) avant la fin du mois d’août, pour ceux qui passent par là.