Cela faisait déjà une bonne dizaine d’années que les 1000 et une nuits trônaient dans ma bibliothèque. Incapable d’aller plus loin que quelques pages. Et puis il y a quelques semaines, j’ai réessayé, et le déclic a eu lieu. Ce livre là est magique.
Pour ceusses qui ne connaissent pas l’histoire, et pour la faire courte, un sultan déçu par la fidélité de son épouse (et des femmes en général d’ailleurs) décide de passer chaque nuit avec une vierge différente et de la trucider à l’aube. Arrive le tour de Shéhérazade, qui , maligne, décide de raconter une histoire une fois l’acte sexuel passé, une histoire dont elle taira la fin jusqu’à la nuit suivante, et ainsi de suite chaque nuit (certaines histoires s’étalent sur plusieurs nuits). Je ne vous dit pas la fin, bien entendu, je n’en suis qu’à la 106ème nuit…
Mais déjà, et au bout de quelques 400 pages, quelques faits me frappent, dans cette traduction dite du Dr Mardrus:
- La structure narrative des premiers contes est impressionnante par ses mécanismes récursifs à deux ou trois niveaux: Shéhérazade va raconter des histories dans lesquelles des personnages eux-mêmes racontent des histoires. On perd parfois le fil, malgré la qualité de la traduction.
- La magie et le surnaturel sont souvent présents. L’afrit est un personnage central des premiers textes.
- Les histoires sont en fait des contes assez longs, qui se déroulent parfois sur deux ou trois générations. Des personnages apparaissent au début puis ne sont plus évoqués, et les comportements sont parfois loin de toute logique. Il y a du Rav Nahman dans certains d’entre eux.
- Les récits sont assez différents, et me font penser à non pas une rédaction unique, mais à plusieurs textes collectés, comme autant de légendes provenant de peuples ou de tribus différents. On pense aussi à l’écriture de la Bible et à l’apport des légendes des peuples environnants.
- La joyeuseté des textes: on ne pense qu’à bouffer, à s’envoyer en l’air (et parfois jusqu’à 15 fois d’affilée et sans viagra!), à se trucider aussi, mais joyeusement. Les héros n’ont pas froid aux yeux, et un des héros trucidera 50 adversaires d’affilée pour plaire à sa belle.
- Très étrangement, le vin fait partie des habitudes alimentaires des personnages musulmans mis en scène, qu’il s’agisse de riches marchands, de sultans ou de princesses. L’ivresse et souvent le prélude aux ébats sexuels, d’ailleurs.
- Les guerres entre musulmans et chrétiens me rappellent la chanson de Roland, mais en sens inverse. Les méchants ont changé de camp, bien entendu. Mais les symboliques sont les mêmes: le héros prêt à se battre contre mille adversaires, les liens d’amitié, le dévouement à son maître.
- La poésie (la poésie arabe, s’entend) est partout présente: dans les prières, les déclarations d’amour, les conseils d’un père à son fils, les mensonges et les fourberies. Je ne connais malheureusement pas assez le cinéma et la « grande » chanson arabe (Om Kalsoum et al.), mais j’imagine assez bien combien ces textes ont pu inspirer les imaginaires culturels jusqu’au siècle dernier. Je me souviens d’ailleurs que la chanson préférée de ma mère s’intitule « Af layla wa layla« …
- Enfin, les personnages sont, comment dirais-je, sympathiques: ils sont humains, dans leurs comportement,s leurs errements, leurs questionnements. Il y a du Pantagruel dans ces nuits là…
(Pour ne pas rester ignare, voici donc un enregistrement sonore de l’interprétation d’Om Kalsoum.)