Le Cameroun censure le ministre français de la Coopération

Publié le 26 juillet 2011 par 237online @237online

Écrit par Le Messager   


Le fait est passé inaperçu. L’entretien du ministre français de la Coopération , Henri de Raincourt, diffusé sur l’antenne de radio France internationale (Rfi) le mardi, 19 juillet 2011 dans la rubrique ‘Invité d’Afrique’ au Cameroun est différent de celui posté sur le site web officiel de la radio. La tranche diffusée au Cameroun a une durée plus courte, 3'523’’ contre 5’52’’ pour l’autre version. Les divergences entre les deux ne s’arrêtent pas là.
La partie diffusée au Cameroun comporte six questions au lieu des huit qui meublent l’échange avec le ministre français. De fait, les préoccupations se rapportant au Cameroun sont fondues en une seule question contre les deux qu’on retrouve sur le site de Rfi alors qu’une des deux questions sur la Rd Congo est escamotée.
Concernant le cas particulier du Cameroun, la question relative à la volonté du président Paul Biya de se représenter à l’élection présidentielle pour un autre mandat de sept ans a été purement et simplement amputée (voir entretien ci-contre). Pour quelles raisons ? S’est-il agi de problèmes techniques ou comme le pensent des observateurs avertis, d’une censure contre le ministre français ? Difficile de répondre de manière tranchée à cette double interrogation.
Nos multiples tentatives de joindre la rédaction en chef de la ‘radio mondiale’ se sont avérées vaines, la ligne directe du maître des céans sonnant indéfiniment dans le vide. Par ailleurs, la demande d’informations adressée via son Email à Christophe Boisbouvier, l’interviewer, pour comprendre les écarts ainsi constatés dans son document, n’avait pas encore reçu de réponses jusqu’au moment où nous allions sous presses hier soir. De même, nous n’avons pu entrer en contact avec le ministre camerounais de la Communication pour en savoir davantage.
En tous les cas, dans l’extrait manquant, Henri de Raincourt, après l’évocation des manœuvres du pouvoir en place au Burkina Faso pour procéder à une modification de la constitution afin de se représenter, le ministre français de la Coopération est sollicité sur la question de la longévité du chef de l’Etat camerounais qui, s’il rempilait lors de la prochaine élection présidentielle, pourrait atteindre 36 ans au pouvoir et serait alors âgé de 85 ans. Des raisons pour le diplomate français d’attirer l’attention de Paul Biya sur les mutations imposées par le temps sur la gestion du pouvoir dans le monde, en Afrique et au Cameroun.
L’homme d’Etat de marteler que «la démocratie est en route, rien  ne saurait aujourd’hui l’arrêter.» Allusions à peine voilées aux contestations inhérentes à l’organisation et à la gestion du système électoral telle que perçue par les populations camerounaises sous le prisme d’Elections Cameroon, l’organe en charge de l’organisation des élections au Cameroun. Notamment, la querelle actuelle concernant la neutralité de certains de ses membres et la représentativité des différents acteurs sociopolitiques en son sein ainsi que des préalables à l’origine de leur désaveu par une frange importante de la population. Occasion pour Henri de Raincourt d’invoquer la force des masses populaires et les «tragiques exceptions» constatées dans de nombreux pays du continent au moment où à en croire Henri de Raincourt : «La France n’a pas de candidat pas plus dans [au Cameroun] que dans d’autres.»

Une partie des propos de Henri de Raincourt (ministre français de la Coopération), diffusés sur Rfi censurés  au Cameroun.

Dans de nombreux pays  africains, les gens protestent contre les présidents qui veulent s’accrocher au pouvoir. Après le printemps arabe, y aura-t-il un printemps africain ?
Le printemps africain, en tant que tel, il est commencé depuis déjà un certains temps dans différents domaines. Que ce soit sur le plan économique avec des croissances dans un certain nombre de pays comme le Ghana avec des prémices ce week-end. Et, au cours de l’année 2011, excusez du peu, la croissance au Ghana tournera autour de 14%. Deuxièmement, le printemps il est aussi démocratique. Que ce soit en Guinée Conakry, au Niger ou en Côte d’ivoire, je le rappelle c’est la démocratie qui l’a emporté.
Il y a trois semaines, à l’Assemblée nationale, le ministre français Juppé a fait un parallèle entre la Libye et le Sénégal : « il faut éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets » a-t-il dit. Que pensez-vous de la décision d’Abdoulaye Wade de se représenter, l’an prochain à 86 ans, après 12 ans de pouvoir ?
C’est à chaque pays de se déterminer. C’est à chaque pays de déterminer les modalités d’organisation de ses élections et de voter pour qui bon lui semble. Simplement, ce que le ministre d’Etat a voulu faire remarquer, c’est que ça concerne tout le monde et pas seulement l’Afrique. C’est que l’évolution politique de la planète, la mondialisation, l’accélération du temps politique, du temps économique montrent qu’aujourd’hui on ne pourra plus, comme on le faisait autrefois, même dans des conditions parfaitement démocratique et légitime, rester aussi longtemps au pouvoir comme il y a encore quelques années. La planète tourne à vive allure, les dirigeants devront s’accoutumer au fait qu’on ne fera pas carrière entière à la tête d’une mairie, d’un département, d’une région ou d’un Etat.
L’avocat français Robert Bourgi affirme que le soir des émeutes du 27 juin à Dakar, Karim Wade l’a appelé pour faire intervenir l’armée française. Est-ce que vous confirmez ?
Je n’étais nullement informé et, de toute façon, je pense que si Karim Wade l’a fait, il s’est trompé d’époque. Parce que la France n’est pas là pour assurer le service d’ordre dans aucun  pays d’Afrique quel qu’il soit. Donc, ça aussi c’est une vision, si tant est que ce qui est dit est vrai, est toujours et déjà dépassé.
Autre pays à problème : le Burkina Faso. Beaucoup prête au président Compaoré, l’intention de vouloir réviser l’article 37 de la constitution afin de pouvoir se représenter en 2015. Que pensez-vous ?
Je confirme qu’effectivement cette question a fait l’objet d’un certain nombre de déclarations il y a déjà d’ailleurs plusieurs mois au Burkina Faso. J’observe qu’en ce moment, c’est un sujet qui ne semble plus dans les déclarations publiques être  d’actualité. Il y a un certain nombre d’évènements qui sont passés par là. Je crois que la réforme de la constitution est beaucoup moins un sujet d’actualité qu’il y a quelques mois. En tout cas tel que je peux l’observer.
Il y a deux semaines vous étiez au Cameroun. Après 29 ans de pouvoir, le président sortant va s’y représenter pour un mandat de sept ans. 29 ans plus sept ça fait 36 ans. Est-ce que ce n’est pas un bail un peu trop long ?

C’est au président Paul Biya de répondre à la question. Ce n’est pas à moi. La France n’a pas de candidat, pas plus dans ce pays que dans d’autres. Pas de candidat.
Depuis quelques jours au Cameroun le ton monte sur les équilibres à l’intérieur de la commission électorale Elecam. L’opposition menace d’empêcher par tous les moyens la tenue de la présidentielle d’octobre prochain si la composition d’Elecam n’est pas revue. Est-ce que vous n’êtes pas préoccupé ?

Je crois un jour qu’il faut comprendre qu’en Afrique comme ailleurs, l’environnement politique qui précède l’élection a totalement changé et qu’il y a suffisamment de pays dans lesquels les mouvements de populations ce sont développés depuis le début de l’année 2011. Pour comprendre encore une fois que l’environnement a changé. Tout s’est modifié et aujourd’hui l’opinion publique est très informée et en temps réel, et elle ne veut en aucun moment se laisser voler, à aucun prix, son désir de participer à la vie démocratique. Je crois qu’il faut bien saisir cette évolution des mentalités et des populations. La démocratie est en route, rien  ne saurait aujourd’hui l’arrêter. Ne serait-ce que par la révolution numérique qui a fait prendre connaissance à tous les peuples de leurs forces irrésistibles. Même si encore, ici ou là, il y a de tragiques exceptions.
Au Congo Kinshasa, le pouvoir a fait supprimer le second tour de l’élection présidentielle de novembre prochain. Est-ce que ce n’est pas un exemple de bricolage électoral qu’a  dénoncé Alain Juppé devant la Chambre , il y a trois semaines ?
Je ne sais pas si c’est un exemple de bricolage électoral. En tout cas, effectivement, nous avons pris acte de ce changement dans l’organisation des élections dans ce pays. Si on nous avait demandé conseil, je ne suis pas certain que ce serait celui-ci que nous aurions donné.
Et, l’opposition congolaise dénonce un enrôlement des électeurs très partisans avant la présidentielle. Partagez-vous son inquiétude ?
Encore une fois je me permets de dire  à tous les responsables, au président de ce pays comme à tous les autres, aujourd’hui la situation est différente. Et que la population n’accepte plus que par un certain nombre de mesures plus ou moins efficaces, peut-être, mais plus ou moins recommandables en quelque sorte, modifient le résultat des élections. C’est quelque chose qui n’est plus de mise aujourd’hui. Je crois que la raison et la prudence militent pour qu’on adapte ce nouveau comportement à cette révolution.