Avec Metronomy, interview live on the beat

Publié le 26 juillet 2011 par Bertrand Gillet

D’ordinaire, le tout un chacun côtoie les stars par l’entremise des réseaux sociaux, ces Facebook et autres Viadéo qui ont envahi notre quotidien. Véhicule artificiel de “rencontres” pour le moins virtuelles. Désincarnées donc. Sans jamais céder à cette mode un peu vaine, j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer l’une des formations indie les plus en vue : je veux parler de Metronomy.  Et qui plus est, par des voies on ne peut plus classiques. La rencontre devait se dérouler dans les bureaux du label, en plein neuvième, dans un vieil appartement haussmannien. Pour être à la hauteur des lieux et du groupe, je décidais de mobiliser une équipe de choc, Marie, ma photographe aux jambes aussi longues qu’un trépied d’appareil photo et Charles-Baptiste, le jeune maître de la variété française qui allait officier comme traducteur et co-intervieweur. Charles-Baptiste et moi avions été fascinés par une interview de Francis Bacon menée par Thierry Ardisson et Franck Maubert, à l’époque de Bains de minuit, émission culte des eighties. Aussi, nous avions convenu de nous partager les questions de façon à créer un dialogue dynamique et naturel. Nous arrivons aux bureaux de Because avec un léger retard, sans incidence aucune sur le programme. Car au moment où nous franchissons la porte, le groupe n’a pas fini avec l’autre team de journalistes. Dans le jardin tout juste caressé par une pluie fine, nous passons en revue les ultimes détails. La sortie des bloggeuses, deux jeunes fans ayant visiblement créé leur site le jour même dans le but évident de rencontrer leurs idoles, lança le signal tout en me convaincant d’une vérité sociologique : Metronomy par son élégance racée et sa pointitude électro pop a conquis sans le vouloir un public féminin. De jeunes filles en jupons dans la lignée de France Gall, à l’époque où elle chantait Poupée de cire, Poupée de son ou Les sucettes. On les imagine avec leurs couettes battant la mesure alors qu’un ensemble hifi de qualité coule, strate par strate, le millefeuille musical que constitue à l’évidence la musique de Metronomy. Comme elles, nous sommes sensibles à la clarté de la production, leitmotiv de The English Riviera. L’auditeur averti distinguera ainsi chaque instrument, chaque note de façon presque dissociée, donnant à l’ensemble une amplitude invraisemblable. Voilà bien toute la singularité de cet album qui, au bout de 7 mois, semble avoir définitivement marqué l’année 2011. Après quelques minutes de considérations geeks, nous débarquons comme un seul homme dans la pièce où se déroulent les entretiens. Bien que d’emblée fort courtois, le groupe semble impressionné par ce déploiement massif. A grand événement, dispositif à la hauteur. Les poignées de mains s’entremêlent dans les éclats de voix, on se dit bonjour dans anglais fluide, parfois claudiquant, puis chacun s’installe. Les appareils et autres objectifs s’échappent des sacs, les papiers s’échangent, Caroline, mon dictaphone se met en marche comme à l’accoutumée. Charles-Baptiste lance alors les hostilités…

Charles-Baptiste : Commençons par une question très intello, comme les aiment les Français. Le nom du groupe fait référence au métronome, instrument permettant d’indiquer le tempo, vitesse à laquelle doit être joué un morceau.  Le temps est-il une variable essentielle dans la musique du groupe ?

Joseph Mount : (rires) Oui, ce serait, je veux dire, impossible de ne pas avoir de tempo, sinon, il n'y aurait pas de rythme.

Oscar Cash : C'est vrai qu'avant, Jo et moi, on aimait le free-jazz, maintenant on essaie de se rebeller... (rires).

Joseph Mount : Attends, il me faut un café, là. Oui, du coup, il me faut un café, là, vraiment (sourires). Et du sucre, oui, merci. (Pause). C'est bon, on peut continuer.

Charles-Baptiste : Entre The English Reviera et Nights Out, les orientations musicales semblent avoir changé. Peux-tu nous en dire plus ? 

Joseph Mount : Nights Out a été fait de façon très différente. Nous avions toujours fait de la musique sur ordinateur à la maison de façon simple. C'était juste que j'étais habitué. En fait, c'était un peu comme un entrainement. Je me suis entrainé sur ordi, et maintenant il faut utiliser un vrai studio. Je voulais faire quelque chose de plus musical. Depuis que Ana et Gbenga sont dans le groupe, y'a quelque chose de plus live. Il fallait qu'on l'entende, que l'album le reflète. Et puis il faut changer, faire des choses neuves.

Shebam : Electro, dance, pop, prog rock, l’album semble brasser tous les genres. Etait-ce volontaire au moment où tu as commencé son écriture puis sa production ?  

Joseph Mount : (Eclats de rires à l'énumération des genres de musique). Non, je crois que nous quatre ainsi que tous les gens de notre génération, nous sommes les premiers à vivre dans une ère où la pop est différente. Quand j'étais petit la pop c'était Kylie Minogue et Bros, et puis ensuite plus tard, c'était Nirvana et Blur et Oasis... et tout ça reflète comment nous avons grandi. Il n'y a pas d'intention particulière. Beaucoup de groupes aiment dire aujourd'hui qu'ils adorent le R'n'B, contrairement à des groupes comme Oasis (Noel, Liam Gallagher) qui n'aiment que les guitares et les Beatles et ont cette vision très étroite de la musique. C'est ça qui excitant en ce moment, toute cette histoire très large... Aujourd'hui tu peux dire "J'adorais 2 Unlimited !", ça pose pas de problème !

Charles-Baptiste : L’électronique en tant que genre fait-elle partie intégrante de la pop music ?

Gbenga Adelakan : Ça a même carrément pris le pouvoir ! Regarde aux USA. Si on considère que David Guetta c'est de l'électro, quand on voit comment il a pris le contrôle de la musique aux USA, c'est dingue, il a mené la danse. Ici, en France, vous avez eu toujours des gens comme Daft Punk, Justice qui ont été populaires, donc pop, mais qui font de l'électro.

Ana Prior : C'est ça, la pop, au fond.

Joseph Mount : C'est vrai que ce qui est populaire est pop, et aujourd'hui l'électro est tellement populaire... C'est comme le dub step. Avant, c'était underground au UK, et maintenant c'est juste normal, c'est de la pop.

Gbenga Adelakan : Et puis aussi, la pop a toujours besoin d'être nouvelle, ou de donner l'illusion qu'elle l'est. Et avec le web, par exemple, les producteurs vont prendre des influences de partout, et faire un break dubstep au milieu d'une chanson de Britney Spears, histoire d'être dans le vent.

Shebam : Avant la création de Metronomy, tu jouais, je crois, de la batterie dans divers groupes. Dans quelle mesure cela a-t-il influencé ta façon de composer ?

Joseph Mount : D'une façon très évidente... Si tu apprends le piano, tu commences chaque chanson avec le piano. Enfin, j'imagine, quoi. Donc si tu apprends la batterie, tu commences par des beats. Donc j'ai commencé en faisant des beats (sourire) ! Je peux rien faire sans avoir un rythme, en fait. Bien sûr depuis j'ai appris un peu la guitare et le piano, donc je peux commencer avec autre chose. Mais au départ, j'avais des chansons, c'était juste que de la batterie, quoi.

Shebam : Tu as même remixé Britney Spears ???

Joseph Mount : Oui, c'est vrai, mais pas vraiment officiellement. Disons que quelque part, j'espère que Britney regrette de ne pas l'avoir rendu officiel (sourire ironique). Mais c'était fun !

Ana Prior : T'as remixé quoi ?

Joseph Mount : C'était sur Toxic. C'est vraiment une grande influence pour Metronomy, cette chanson.

Shebam : On retrouve dans le son de l’album une dimension moderne, voire contemporaine. Tu n’es pas vraiment un revivaliste dans l’âme ?

Joseph Mount : Un revivaliste ? Je crois que tout cela est très subjectif. Pour moi, cela ne sonne pas comme un pastiche de vieille musique. Mais on peut reconnaitre ce qui l'a influencé. Aujourd'hui, sauf si tu fais de la dance super pointue, t'as toujours quelqu'un pour te dire que t'essaies de faire du son 70s ou 80s ou revival. On essaie juste de ressusciter quelque chose.

Gbenga Adelakan : Je veux dire, nous n'avons que 5 décennies de musique pop sur laquelle nous baser (rires) !

Shebam : L’artwork de l’album renvoie à une image très américaine, comme si il avait été enregistré dans un studio à Miami. Avoue, tu en as marre de la météo anglaise ?

Joseph Mount : Ouais, ouais carrément ras l'bol (rires) ! Voilà, donc, c'est l'endroit où j'ai grandi, l'English Riviera, dans le Sud de l'Angleterre sur la côte, et c'est un endroit aspirationnel, qui essaie d'être le Miami anglais. Tout l'artwork vient des prospectus touristiques qui essaient de vendre l'image de Nice ou de Miami. Et pour être honnête, y'aurait un côté comme si ça avait été créé en dehors de l'Angleterre, où il fait horrible et pluvieux. Ça peut être vraiment chaud l'été comme dans le Nord de l'Europe mais l'hiver il fait froid, super froid même parfois.

Oscar Cash : Disons que c'est imprévisible. Beaucoup d'Anglais se font brûler, parce que quand nous voyons le soleil, nous n'avons aucune idée de combien de temps ça va durer.

Joseph Mount : Disons que si d'un coup il fait beau là-bas, t'as vraiment l'impression d'être n'importe où. Et il peut parfois faire beau... Mais bon.

Charles-Baptiste : Le clip de The Bay oscille entre élégance et érotisme. En avez-vous contrôlé les moindres aspects ?

Joseph Mount : Merci pour l'élégance et l'érotisme. Disons qu'au départ nous voulions un clip qui rende cette région d'Angleterre sexy et glamour. Et ça a coïncidé avec ce que voulait David Wilson. Le truc génial avec la vidéo, c'est qu'au final, il a fait beau, c'était un peu un miracle, il aurait pu faire un temps dégueulasse. Je sais pas. Au final on s'est demandé si c'était pas trop sexy, mais bon, non ça va, c'est pas trop sexy non plus... (sourire).

Gbenga Adelakan : La plupart des gens trouvent que l'idée de sucer une sucette n'est même plus sexy mais carrément stupide, mais bon, voilà nous on a trouvé ça sexy au final (sourire) !

Shebam : Je suis un fan de mellotron. Y en a-t-il dans l’album ?

Joseph Mount : Du mellotron ? Non, y'en a pas. Vous en entendez dans quelle chanson ?

Shebam : Je sais pas, sur la chanson qui me fait le plus penser à l'école de Canterbury (Caravan, Soft Machine) ... Dans le début du morceau avec l'envolée de claviers...

Joseph Mount : (sourire) Ahaha oui, je vois c’est sur Some Written ! Non, c'est pas du mellotron, mais du moog, qui d'ailleurs est censé sonner comme une flûte. Mais je ne connais personne qui possède un Mellotron, sauf peut-être un Beatle...

Shebam : Quel artiste ne t’a jamais influencé ?

Joseph Mount : C'est bon, ça !

Gbenga Adelakan : Quelqu'un que nous devons tous haïr, alors ? Ou plutôt quelqu'un en qui nous sommes totalement indifférents ?

Oscar Cash : Un truc qui ne nous a laissé aucune impression...

Joseph Mount : Franchement... Cat Stevens, non (éclats de rires) ? Tout le monde est d'accord (rires) ? Nan mais je veux dire, il faut penser à un artiste totalement non significatif, quoi.

Gbenga Adelakan : Non significatif  ? Je veux dire, il a changé son nom, il s'appelle Yussef Muslim... Je ne sais pas.

Joseph Mount : Je pensais à Jimmy Nail, mais bon, non. Notre réponse : Cat Stevens.

Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu sur un disque ?

Metronomy : (éclat de rires généralisé) Vous êtes sûrs que c'est dans le bon sens (re-éclat de rires) ?

Ana Prior : Une île déserte... ?

Joseph Mount : La Corse, c'est la seule île où je ne sois jamais allé, en fait.

Oscar Cash : Tobago.

Gbenga Adelakan : Tu peux vraiment capturer ça sur un disque.

Joseph Mount : Très bonne question, en tout cas. Je crois que c'est ce qu'on essaie de faire depuis des années, au fond. Ouais, Tobago.

Charles-Baptiste : Une citation pour l’avenir ? 

Gbenga Adelakan : "Une main lave l'autre, je n'ai aucune peur."

Shebam : On inverse les rôles, pose-moi une question ?

Gbenga Adelakan : Quel est le gadget technologique qui t'excite le plus en ce moment ?

Shebam : Mon Ipod.

Gbenga Adelakan : Arrête, mec, et l'Ipad 2 ? Je croyais que vous étiez des geeks !

Shebam : Nan mais je suis un geek psychédélique, tu vois. Je suis obsédé par les groupes américains des sixties comme The Chocolate Watch band, The Electric Prunes, tous les trucs obscurs, l'alpha et l'omega de...

Joseph Mount : Ok, ok, alors... si tu devais détruire un album de ta collection de disques pour sauver la vie de l'un d'entre nous... lequel serait-ce ?

Shebam : CD ou Vinyle ?

Joseph Mount : Vinyle.

Shebam : 10 CC, How Dare You.

Metronomy : Wouhou. Wow, très rapide ! Bravo. Très bon choix.

20 minutes chrono. Rien à voir avec une déclinaison croisée entre le journal gratuit et la série cryptée. Malgré la solennité de l’instant, le job a été fait et il y a du matos, des bons mots, des bonnes photos qui font la puissance rock de cette interview. Bon, ok, je m’emballe mais n’est-ce pas la qualité première de tout rock critic ? Nous aussi, nous ne sommes pas là pour cachetonner, notre boulot n’en demeure pas moins un sacerdoce, une sorte de mission spirituelle : on défend des groupes, des œuvres et des créations, on s’engage pour un certain classicisme salutaire ou pour une modernité à toute épreuve. Parfois avec mauvaise foi mais toujours avec honnêteté et vérité. Malgré ses hésitations, Metronomy a délivré un album de vérité. En reléguant l’opus précédent à l’état de maquette, de piste de travail, les quatre musiciens embrassent l’idiome pop en le fondant dans le terreau d’une musique actuelle et en même temps, au-delà des modes, puissamment incarnée. On peut le dire, pour eux, l’avenir s’annonce passionnant. 

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Traduction : Charles-Baptiste

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Photos : ©Marie Prats



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