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une charmante nouvelle de Maupassant en rimes

Publié le 26 juillet 2011 par Dubruel

CORRESPONDANCE

Ma chère tante,

Je serai chez vous, aux Régaces,

Pour l’ouverture de la chasse.

J’aimerais tellement taquiner

Vos chasseurs, tante affectionnée !

Au diner, vous les autorisez

A s’asseoir à votre table

Avec leurs habitudes détestables :

Sans se changer, sans se raser…

Si je ne suis pas présente,

Cela les enchante.

Mais j’y serai.

Et tel un général, je passerai

La revue. Si un seul s’obstine,

Il ira souper à la cuisine

Avec les bonnes !

Sur le savoir-vivre des hommes

Il y a beaucoup à raconter.

Il faut leur montrer de la sévérité.

C’est le règne de la goujaterie.

Figurez-vous, tante chérie,

Que vendredi, dans mon compartiment

De train, un monsieur tranquillement

Retira ses brodequins

Et enfila devant moi des escarpins.

Un autre, un vieux parvenu

Mal élevé bien entendu,

Assis en face de moi, a planté

Son sac Vuitton

A mon côté

Sans me demander aucune autorisation.

Arrivée à l’hôtel, un galonné

Sans doute aviné

Voulant attraper sa clé au tableau

A fait chavirer mon chapeau.

Pas un geste pour m’aider à l’arranger.

J’arrivai à la salle à manger

Le chef de rang

Ne fut pas davantage déférent.

A minuit, en sortant du bal

Donné chez le Préfet Vernal

Le portier a failli me renverser

Il n’a pas dit un mot pour s’excuser.

Le lendemain, à la plage,

J’étais assise près de deux sauvages

Débraillés, vulgaires, infréquentables.

Ils racontaient des histoires abominables

Usant de réflexions honteuses

Et de boutades monstrueuses.

Ils n’ont pas vu qu’ils m’importunaient.

Et c’est moi qui dus m’écarter

Pour éviter de davantage les écouter

Juste après, je dessinais

Non loin d’un homme fin d’aspect

Qui inspirait le respect.

Il lisait et ne leva pas une fois

Les yeux sur moi.

Je demande comment il se nomme

On me répond Sully Prudhomme.

Cet auteur n’a pas crié de grossièretés.

Il ne doit pas heurter

Les femmes sans s’excuser.

Il doit être délicat, vibrant, civilisé.

Je tâcherai qu’il me soit présenté rapidement.

L’heure de la poste me pressant,

Je vous embrasse, ma chère tante,

Votre nièce aimante.

Ma chère nièce,

Je fus, comme toi,

Très indignée autrefois

Par l’impolitesse du sexe dit fort.

L’âge venant, je vois aussi nos torts.

Si les hommes sont souvent impolis,

Les femmes se croient tout permis.

Elles ont parfois une indécence indue.

Elles estiment que tout leur est dû.

Aujoud’hui, je trouve par contre

Que les hommes ont à notre encontre

Beaucoup d’égards. Au reste, ils sont

Ce que nous en faisons.

Dans une société où les femmes

Seraient de grandes dames,

Ils deviendraient gentilshommes,

Ou tout comme.

Si, sur un boulevard,

Deux femmes se croisent :

Quelles attitudes ! Quels regards !

Elles se toisent.

Si le trottoir est étroit,

L’une cédera le pas, tu crois ?

Ou demandera pardon ?

Jamais, non !

Deux voisines de palier

Discutent dans l’escalier.

Elles occupent la largeur entière

Des marches. Si un locataire

Est en train de monter,

Dérangées, elles vont rouspéter.

L’autre jour, j’arrivais chez Blanc,

-Le restaurant où j’ai mes gourmandises-

Toutes les tables étaient prises.

Une dame au chignon blanc,

De noble tournure, réglait.

Elle s’en allait.

Lorsqu’elle me vit, elle ne bougea pas.

Pendant un quart d’heure, elle resta,

Enfilant lentement ses gants.

Elle regardait les tables, considérant

Ceux qui, comme moi, attendaient.

Or, deux jeunes gens achevaient

Leur repas. M’ayant vu à leur tour

Ils appelèrent en hâte le garçon pour

Payer et me laisser leur place.

Ils attendirent même avec grâce

Leur monnaie debout au comptoir.

J’ai pu ainsi très vite m’asseoir.

C’est à nous, vois-tu, ma jolie,

Qu’il faut apprendre à être polie.

P.S : Je ne veux pas que tu passes

Pour l’ouverture de la chasse.

Pourquoi gâter, ma chérie,

La joie de nos amis

En leur imposant une toilette élégante 

En ce jour de plaisir campagnard ?

Je t’adresse mes baisers les plus rares.

Ta vieille tante.


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