En pays étranger
Ces visages sont-ils venus de ma mémoire,
Et ces gestes ont-ils touché terre ou le ciel ?
Cet homme est-il vivant comme il semble le croire,
Avec sa voix, cette fumée aux lèvres ?
Chaises, tables, bois dur, vous que je peux toucher
Dans ce pays neigeux dont je ne sais la langue,
Poêle, et cette chaleur qui chuchote à mes mains,
Quel est cet homme devant vous qui me ressemble
Jusque dans mon passé, sachant ce que je pense,
Touchant si je vous touche, et comblant mon silence,
Et qui soudain se lève, ouvre la porte, passe
En laissant tout ce vide où je n’ai plus de place ?
*
Tendez la main, touchez ces grands monts invisibles
Cet homme vous apporte en cette chambre close
Un peu du ciel qui rôde au-dessus des montagnes.
Rafraîchissez vos mains à ses rives mouvantes,
Penchez-vous et voyez comme le parquet même
Est un lac doux et triste où tremble votre image.
Jules Supervielle, « Le Forçat innocent », Œuvres poétiques complètes, édition publiée sous la direction de Michel Collot, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p. 273
Jules Supervielle dans Poezibao :
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