C’est une belle histoire de femmes qui nous est racontée dans ce roman sur fond d’histoire de Chine et de traditions culturelles très particulières comme celle, si douloureuse, des pieds bandés et cassés à six ans et des deux années de souffrances que les petites filles devaient endurer par la suite, sans compter la difficulté de marcher pour ces femmes confinées à vie à l’intérieur de leurs demeures. Les servantes qui, seules conservaient leurs grands pieds, étaient les plus méprisées aussi. C’est pourquoi les mères elles-mêmes tenaient à maintenir cette coutume. La narratrice, c’est Fleur de Lis, celle qui deviendra la femme la plus respectée de l’endroit, contrairement à toute attente, mais les destins ici se croisent et ne se ressemblent pas: la grande Histoire, celle d’un pays qu’elles ne connaissent pas vraiment, bousculera les vies particulières. Nous sommes dans les années 1850 et la révolte des Taiping contre les troupes impériales oblige les habitants à fuir à pied dans les montagnes et à y rester affamés dans le froid glacial, trois mois durant. C’est un autre épisode qui m’a beaucoup marquée.
Enfin, je retiendrai également un autre aspect très fort de ce livre, c’est l’utilisation, par les femmes de cette région du Hunan, du nu shu, un langage secret, inventé par elles et qui leur restait exclusivement réservé. Elles étaient analphabètes cependant et ne savaient ni lire ni écrire les signes masculins mais elles possédaient leurs propres codes. Elles s’écrivaient ainsi entre elles sur du papier, du tissu ou sur des éventails communs mais comme le tout était brûlé avec leur corps lors des funérailles, il n’en reste pas grand chose et cet aspect reste encore bien méconnu. Je trouve pour ma part cette révélation très étonnante et j’essaierai d’en savoir plus. Y a-t-il eu d’autres exemples ainsi d’écriture et d’alphabet purement féminins ? Quelques citations dont j’aimerais me souvenir :Sur une laotong, une amie de cœur à vie.Elle vous aimait comme une laotong est censée le faire : pour tout ce que vous étiez , et tout ce que vous n’étiez pas. Mais vous raisonniez de manière trop masculine. Vous l’aimiez comme un homme,la jugeant et l’appréciant selon vos critères.Sur l’écriture féminine, le nu shu.
A l’époque, je n’avais jamais vu un seul exemple d’écriture masculine, aussi m’était-il impossible de faire la comparaison. Mais à présent, je sais que les caractères utilisés par les hommes sont plus épais, chacun remplissant l’intérieur d’un carré, tandis que notre nu shu fait plutôt penser à des pattes de mouche ou aux empreintes que laissent les oiseaux dans la poussière. Contrairement à l’écriture masculine, chaque caractère en nu shu ne représente pas un mot spécifique. Nos signes sont plutôt de nature phonétique. Ainsi, un même caractère peut servir à noter plusieurs mots, dont la prononciation est identique : un seul caractère sert à noter les mots: «paire» et «père», par exemple, mais le contexte permet généralement d’en différencier le sens. On peut l’écrire à l’encre ou au pinceau mais on peut le broder aussi ou le chanter devant un auditoire féminin. Mais il faut avant tout le lire et le conserver en secret. Car les deux règles les plus importantes concernant le nu shu sont les suivantes: les hommes ne doivent jamais apprendre l’existence de cette écriture, ni se retrouver d’une manière ou d’une autre en contact avec elle.Les hommes nous voyaient broder des mots en nu shu sur leurs chaussures et nos carrés d’étoffe, ils nous entendaient psalmodier nos chants et lire nos cahiers de mariage. Mais ils considéraient notre écriture avec condescendance et la jugeaient trop inférieure à la leur pour s’y intéresser.Le système d’écriture des hommes comporte plus de cinquante mille caractères, tous différents les uns des autres, chacun porteur d’un sens ou d’une nuance spécifique. Le nôtre se compose à tout prendre de six cents caractères, dont nous nous servons phonétiquement pour noter environ dix mille mots. Il faut toute une vie d’étude pour apprendre l’écriture des hommes. Nous apprenons la nôtre une fois pour toutes, quand nous sommes encore des gamines.Fleur de neige , Lisa See, (Flammarion, 2006, 405 pages), Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Ménard. Titre original: Snow Flower and the Secret FanLu en Lecture Commune avec Sandrine et Liliba . Autres billets aussi chez Biblioblog, Esmeraldae,