Mêmes causes mêmes effets. Le ramassage des algues vertes sur les plages a des allures de châtiment de Sisyphe. Pour avoir osé défier les dieux, ce fils d'Eole fut condamné à faire rouler éternellement, dans le Tartare, un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir à son sommet. Les mortels bretons sont eux condamnés à ramasser encore et encore des tonnes d'algues vertes sur les plages.
La liste des nuisances de ces marées vertes n'est pas close. Outre les désagréments visuels et olfactifs, la liste des victimes animales suspectes s'allonge. En 2009, un cheval était mort des suites d'un oedème pulmonaire lié au dégagement d'hydrogène sulfuré. Deux chiens l'avaient précédé en 2008. Depuis les sangliers qui furètent sur les plages semblent menacés. Après les sangliers, "j'ai peur que demain ce soient des enfants" s'inquiète André Ollivro, président de l'association Sauvegarde du Penthièvre.
Faudra-t-il qu'un accident dramatique survienne pour que les autorités changent leur fusil d'épaule ? La disparition il y a deux ans d'un chauffeur qui transportait des algues vertes demeure controversée même si officiellement le décès est lié à une défaillance cardiaque.
En tout état de cause, le nettoyage des plages souillées est un pis-aller. France Nature Environnement (FNE) avait en février tenté de taper dans la fourmilière à travers une campagne choc qui lui avait valu une volée de bois vert des autorités nationales et régionales.
Les causes de la prolifération des algues vertes sont désormais bien connues. Elles sont principalement liées à des concentrations élevées de nitrates dans les eaux, apportés par les activités humaines, en particulier l'agriculture.
Ces algues existent depuis toujours dans la flore sous-marine mais connaissent un développement fulgurant dès que certaines conditions sont réunies : des fonds faibles et une eau claire, un confinement naturel de la biomasse et surtout, une source d’azote minéral sous forme de nitrates ou d’ammonium.
Nitrates vous avez dit nitrates ? Le mode de production agricole breton est en cause. Engrais déjections du bétail et cultures fourragères pour l’élevage sont des sources importantes de pollution des cours d'eau. Si la quantité "naturelle" de nitrate dans les rivières bretonnes est évaluée à 2 ou 3 mg/l, elle atteignait en 1971, date des premières mesures, 4,4 mg/l pour culminer aujourd'hui à …30 mg/l en moyenne.
Les agriculteurs ont certes divisé par trois les rejets d'azote depuis 1998, mais il serait impératif d'aller plus loin. C'est là que les choses bloquent.
Le Chef de l'Etat porte en la matière une lourde responsabilité. En visite sur la presqu'île de Crozon pour parler protection du littoral et de la mer, Nicolas Sarkozy a défendu, le 7 juillet dernier, les agriculteurs contre les "intégristes" de l'écologie. "Sur cette affaire d'algues vertes, il serait absurde de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs qui font d'énormes progrès en la matière". "Les agriculteurs ne sont pas coupables de choix économiques qui ont été faits il y a longtemps."
Avec 2012 en ligne de mire, Nicolas Sarkozy veut ménager les agriculteurs. "Il faut réduire le flux d'azote de façon ambitieuse en associant les agriculteurs à ce mouvement, mais ça va prendre du temps", a déclaré le Chef de l'Etat qui ne veut pas remettre en cause l'agriculture productiviste mais tenter d'en limiter les nuisances par des solutions techniques telles que la méthanisation. Une erreur grossière car le méthane ne contient pas d'azote. La méthanisation extrait le carbone du lisier pour produire du biogaz, mais l'intégralité de l'azote se retrouve dans le résidu liquide répandu dans les champs.
Autre signe de l'incohérence des autorités dans la lutte contre les algues vertes, l'agence Reuters rapporte que l'association Eau et Rivières de Bretagne s'inquiète d'arrêtés ministériels en préparation visant à assouplir les règles d'épandage d'azote agricole contenu dans les déjections animales.