Rassembler, rassembler, jusqu’au centre et même au-delà. Depuis une semaine, Ségolène Royal martèle avec insistance ce qu’elle entend probablement mettre en avant comme une de ses marques distinctives par rapport aux autres candidats : la volonté de rassembler « de l’extrême-gauche aux centristes humanistes » et même jusqu’à la « droite gaulliste ». Si la perspective de l’association du centre, du moins de sa version « acceptable » le MoDem, est (déjà) un serpent de mer récurrent dans les débats socialistes, la question de rallier des gaullistes et, plus précisément encore, la « droite gaulliste » pousse la réflexion un cran (nettement) plus loin. Acte visiblement tout sauf irréfléchi puisque Ségolène Royal a enfoncé le clou ce week-end, avec une tribune dans le Monde reprenant de longs extraits de la lettre que lui avait adressée Jean-Marcel Jeanneney, ministre de De Gaulle, durant la dernière présidentielle.
Passons sur l’aspect un peu étrange de cette tribune, qui ressemble à certains égards à un long plaidoyer pro domo fait à la troisième personne. Sur le fond, le message que l’on entend nous faire passer est sans doute celui-ci : qu’il faut rassembler, donc, jusqu’aux gaullistes de droite ; que cela est d’autant plus envisageable avec Ségolène Royal qu’un authentique gaulliste la soutenait en 2007 ; que la ligne politique que porterait ce grand rassemblement serait celle du « combat républicain », pour en finir avec les dérives de l’ère Sarkozy qui a trahi « l’héritage du Conseil National de la Résistance ».
On ne peut jamais totalement dissocier un débat du contexte et du moment dans lesquels il se s’inscrit. En l’occurrence, Ségolène Royal tient ces propos alors que vient seulement de commencer la campagne des primaires socialistes, qui s’adressent aux sympathisants socialistes et plus largement à la gauche ; le tout dans un climat sondagier dont on peut penser ce qu’on veut, mais qui montre avec persistance, depuis des mois, François Hollande, Martine Aubry (et avant son « affaire », Dominique Strauss-Kahn) triompher assez largement de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle.
Le problème du moment, pour tous les socialistes, est donc à double titre le premier tour. Comment faire pour que le candidat socialiste soit le plus haut possible, et ne se fasse pas doubler à la fois par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ? Comment faire pour ne pas trop souffrir d’une dispersion des voix à gauche – autrement dit, comment réussir les primaires pour qu’elles mobilisent la gauche autour du candidat du PS ?
A cet égard, parler dès à présent d’aller chercher des réserves de voix au centre (puis plus à droite encore) ne me semble pas particulièrement avisé. Les débats d’il y a trois ans à ce sujet se faisaient dans un contexte de toute-puissance du sarkozysme, et sous le coup du traumatisme d’une gauche incapable, à l’élection présidentielle, de faire jeu égal avec le candidat de l’UMP malgré sa forte mobilisation. Ils se faisaient également sous la menace d’un MoDem alors fort du succès de François Bayrou au premier tour de 2007. Aujourd’hui, l’électorat centriste et gaulliste se divise entre des candidats qui peinent à s’imposer, tout comme à convaincre (dans le cas de Jean-Louis Borloo) de leur réelle indépendance à l’égard de l’UMP. Ils ne réaliseront probablement pas l’OPA sur le centre gauche qu’avait partiellement réussie Bayrou il y a 4 ans. Mais ils capteront des électeurs du centre et du centre-droit qui n’auront aucune raison de voter socialiste avant le second tour. Dans tous les cas, ils constituent plus un problème interne à la droite qu’une question urgente pour la gauche.
Par ailleurs, on peut craindre que parler avec insistance d’une nécessaire coalition avec la droite ne soit pas la meilleure façon de mobiliser les électeurs de gauche pour la première échéance qui est devant nous – je ne parle même pas du premier tour, mais des primaires. Le rassemblement de la seule gauche est loin d’être réalisé : à part le PRG, aucun parti n’a pour l’instant accepté de jouer le jeu des primaires socialistes. L’important, pour l’heure, est donc de parler à la gauche. On me rétorquera peut-être que c’est une attitude hypocrite, si c’est pour en venir, au bout du compte, à chercher une alliance à droite pour battre Nicolas Sarkozy. Mais encore une fois, la situation actuelle n’impose nullement cette hypothèse ; en outre, chacun conviendra qu’une telle alliance devrait se faire sur un contrat programmatique absolument clair, et que c’est cette question qui actuellement prioritaire.
Or justement, que propose Ségolène, dans sa tribune du Monde, comme contenu pour cette alliance ? Une « certaine idée de la France » : « égalité des possibles », « volontarisme politique », « attachement à la nation », « la prise en compte des aspirations populaires mais sans soumission systématique à l’opinion ; l’idée (…) que les activités régionales sont les ressorts de la puissance économique de demain » ; « viser haut et tenir droit » ; « la démocratie parlementaire, la démocratie sociale et la démocratie citoyenne et participative », « “Liberté, Egalité, Fraternité”, à laquelle j’ajoute la laïcité, la solidarité et la liberté d’entreprendre et de créer ». Tout cela est bien sûr sympathique, mais diablement imprécis. Il ne fait aucun doute que tout le monde (et même Sarkozy) peut se retrouver dans cet éventail de valeurs très « hesselien », et suffisamment large et elliptique pour rassembler un vaste « arc républicain ». Mais derrière ces objectifs généreux peuvent se cacher des politiques fort diverses, et non nécessairement de gauche. Les vrais divergences n’apparaitraient sans doute que si on s’aventurait plus précisément dans l’inventaire des choix opératoires à faire ; tant que cela n’est pas fait, la discussion avec le centre et la droite, fût-elle théorique et monologique, n’a pas grand intérêt.
Surtout que faute d’accord sur des axes plus précis, ce genre de proposition d’alliance ne peut que donner du crédit, insidieusement, à l’idée que les adversaires de Sarkozy n’ont pas grand chose à lui opposer sinon un disparate front du refus. Que le rejet de l’actuel président soit actuellement fort dans le pays ne signifie pas pour autant que le seul antisarkozysme suffira à fédérer 50% des électeurs au second tour contre lui. Un tel calcul pourrait même donner le sentiment, par contraste, que seul le sortant a un véritable projet pour le pays, et que la confusion règne chez ses adversaires. Or c’est précisément cette confusion politique, que Nicolas Sarkozy a cherché (avec l’ouverture) à installer dans le pays, qu’il faut combattre. Ce qui réclame d’abord de reposer des repères clairs dans le débat politique, et de commencer par définir le contenu d’une alternative socialiste et de gauche.
Tant du point de vue de son tempo que du contexte dans laquelle elle s’inscrit, l’insistance de Ségolène Royal à réclamer une alliance très large à droite me semble donc erronée et contreproductive. Les socialistes ne doivent avoir jusqu’à l’automne qu’une seule obsession : rassembler la gauche autour de leurs primaires, que la droite ne manquera pas de fustiger en cas d‘échec ou de succès mitigé.
Romain Pigenel