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Elles ont retroussé leur jupe puis se sont précipitées derrière le transformateur E.D.F.
Une courte pause pipi le temps d’un feu vert. De l’autre coté du carrefour, j'attends au feu rouge de l'échangeur à la sortie de la rocade. Ce nœud Gordien qu'Alexandre-le-Grand ne dénouera pas est celui de notre organisation moderne de la circulation et des inégalités enchevêtrées. Un spot idéal pour une population de laveurs de pare-brise et de porteurs d'écriteau improvisé sur un bout de carton avisant le peuple repu de l'info instantanée et poignante: "jé fain!". Puis le travail de mendicité reprend. Les femmes tapent la manche avec un gobelet de café Mac Do réaffecté en sébile dans une main, l’écriteau dans l’autre tandis que les gamins nettoient les pare-brise des bagnoles bloquées dans la zone rouge du feu tricolore. C’est ma faute ! Début des années quatre vingt dix, la chute de Ceausescu, le mur de Berlin qui se casse la gueule et quelques mois après, je donne une pièce à un gamin qui me dessine un cœur avec son éponge à dégueulasser les vitres à ce même carrefour sur mon pare-brise. Des milliers d’autre moi coupable de n’avoir que des soucis de caddie à remplir et de place de parking à trouver, ont donné. L’épaisseur de l’armure, protégeant de la sensibilité de chacun, est indexé sur le vécu et les ressentis personnels. Il y a les indifférents nantis par le loto ou l’héritage. Ceux-là s’accommodent assez bien de la déveine des « différents ». Le degré de pauvreté leur servant d’étalon pour jauger leur propre richesse et ce privilège les renforcent dans leur condition d’élus issus de la cuisse de Jupiter. Ceux enrichis par la bonne fortune de leur labeur attribuent au seul mérite le bien ou le mal acquis. L’infortune ou la fortune n’est pour eux qu’une conséquence et pourvoie cyniquement l’entrepreneur dans sa recherche de main d’œuvre. Ceux d’entre ces deux mondes n’ont pas le cuir assez tanné pour supporter le spectacle de la déche. Sans doute la proximité de son maelström pouvant encore les happer les incite-t-ils à se donner bonne conscience en se délestant de quelques cents. Là-bas dans sa patrie le gamin est revenu, adulte et enrichi, pour acheter son village après quelques années de mendicité assidue. L’histoire finit bien ! « Faites la charité, vous entretenez la misère ». Oscar Wilde ! L’illustre Oscar. Wilde le précieux, esthète, subtil et raffiné. La lisant, cette phrase me choquât. Dans mon spicilège personnel, elle dérange mon paradigme. Elle s’agrippe dans mon esprit occupé à plein temps à faire de la varappe contre la falaise de mon incompréhension comme une main s’accroche à la moindre aspérité. La qualité de son émetteur lui donne tout son crédit. Il faudrait être passif à la contemplation du désespoir d’autrui ? Se désolidariser du sort des plus faibles? Si Oscar le dit je peux me fier à son expérience et son intelligence. Lui qui, prisonnier dans sa geôle, impécunieux et mourant, à qui l’on présentait la facture de son incarcération, rétorquait pertinent et lucide: « je meurs au dessus de mes moyens ». Pourtant le constat cynique et inhumain qu’elle contient me dérange avant que de m’y ranger, avec ma rage, mon impuissance, mon désespoir et mon indignation. De retour au pays l’ancien mendigot informât ses compatriotes, crédible de sa réussite et légitime de son exemple, que le paradis n’était pas très loin de leur enfer. Que sans parler la langue ni pratiquer un métier on pouvait gagner là bas en mendiant plus qu’ici en grattant la terre si basse et si ingrate avec l’attrait du tourisme en plus. En deux mots efficaces: Le dernier de là-bas pouvait devenir le premier ici. La bible ne mentait pas. De bonne volonté ou par calcul inconscient, il se fit généreux et jouât les évergètes comblant les carences des équipements public, stade, école. Stade surtout: le sport collectif favorise mieux l’abrutissement et détourne les agressivités. Avec l’aura d’un bienfaiteur, il finançât les candidats à l’aventure. A quel moment victime d’ingratitude exigeât-il des intérêts pour couvrir les pertes des débiteurs indélicats qui profitèrent de sa générosité ? De cela et sans doute de la peur primale de retourner dans la fange de la pauvreté, il organisa des filières. Il prit des garanties auprès des familles restées au pays. Les otages atteint du syndrome de Stockholm, par leur servitude volontaire encouragèrent son gout du luxe et décuplèrent son appétit croissant du profit. Les prix du passage à l’ouest augmentèrent car il fallut soudoyer des intermédiaires dans les institutions judicieusement placées. Ainsi, de tiraillements moraux en nécessité exponantielles le mendiant devint mafieux et le mécène un loup pour ses compatriotes. Privations, contraintes, sévices, insalubrité des squats. J’ai vu des enfants en guenilles débarqués de berlines luxueuses, lâchés aux croisements avec leur éponge, une bouteille d’eau et une raclette à vitre. D’autres, quelques bouquets de muguet sur des étals improvisés, en place dés quatre heures du mat' se garantissant le bon spot pour les premiers chalands du premier Mai enfleuris de vert et de blanc avec la "tite" rose rouge en "cadeau ". Celles-là sortaient de leur camps de base du Mc Do avec leurs gobelets en carton reconvertit en sébiles….. Le temps d’un feu vert elles ont retroussé leur jupe puis se sont précipitées derrière le transfor-Mateur (?!) E.D.F. Oscar avait raison!