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Eoliennes et radars : le Juge confirme un refus de permis de construire à la suite d’une expertise judiciaire

Publié le 25 juillet 2011 par Arnaudgossement

éolien.jpgLa Cour administrative d’appel de Douai vient de rendre, ce 30 juin 2011, un arrêt important pour la problématique de la cohabitation des éoliennes et des radars de météo France. Arrêt d’autant plus intéressant qu’il procède d’une expertise judiciaire. Analyse.


A titre liminaire, je rappelle que j’ai animé, le 5 juillet 2011, un colloque du Bureau de coordination des énergies renouvelables, largement consacré à la coexistence des éoliennes et des radars. Les interventions lors de ce colloque sont consultables sur le site internet du Bureau.

http://www.enr-ee.com/fr/franzoesisch/newsdetails/datum/2010/01/14/article/150/konferenz-w/

S’agissant de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 30 juin 2011, Ministre de l’écologie contre Société E. n°09DA01149), j’attire votre attention sur le fait qu’il vient d’être publié à l’AJDA (AJDA du 25 juillet 2011 p 1497) accompagné d’une note de M Xavier Larue, rapporteur public sur cette affaire.
Les faits
Dans la présente espèce, la société E. avait déposé une demande de permis de construire pour la réalisation d’un parc de six éoliennes, dans la Somme, pour des machines de 109 mètres, chacune composée de trois pâles de 44 mètres de long et d’un mât de 65 mètres de haut.
A la suite d’un avis de Météo France, le Préfet de la Somme a refusé le permis de construire pour ce parc situé dans la « zone de coordination » du radar d’Abbeville, les éoliennes devant être implantées à 18 kms dudit radar. Le Préfet a motivé son arrêté de refus par référence à la nécessité « d’assurer la surveillance météo
Dans cette affaire, la société E. avait saisi le Tribunal administratif d’Amiens d’un recours tendant à l’annulation du refus de permis de construire décidé par arrêté préfectoral du 27 octobre 2006. Par jugement du 27 octobre 2006, le Tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté entrepris du Préfet de la Somme. Ce jugement a été frappé d’appel, devant la Cour administrative d’appel de Douai, par le Ministre de l’écologie.
L’expertise judiciaire et le rapport de l’ANFR du 19 septembre 2005
Saisie de ce jugement du Tribunal administratif d’Amiens, la Cour administrative d’appel de Douai va, ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire. M Larue note qu’ « il a notamment été demandé à l’expert de se prononcer sur la validité du modèle utilisé par l’Agence nationale des fréquences pour déterminer les risques de perturbation d’un radar, notamment météorologique, par les projets éoliens ». Cette mission d’expertise sera confiée à la Cour à M Denis-Laroque , ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole nationale supérieur des télécommunications.
Cette mission a notamment porté sur le rapport de l’ANFR en date du 19 septembre 2005 qui a servi de base à la rédaction du « Guide sur la perturbation du fonctionnement des radars par les éoliennes » en date du 3 juillet 2007. L’Expert estimera que ce rapport de 2005 est « approximatif et exagérément optimiste en ce qu’il conduit à sous-estimer l’effet des projets éoliens sur la qualité et l’exploitation des radars météo ».
Le rapporteur public puis la Cour accepteront de suivre l’analyse – plus rigoureuse – de l’Expert judiciaire et concluront à la réalité du risque que fait courir le projet de parc éolien en cause, pour le fonctionnement du radar d’Abbeville.
M Larue note : « la cour a donc pu constater que le préfet n’avait pas commis d’erreur d’appréciation relevée par les premiers juges, en jugeant qu’un tel projet, au regard de la dégradation des données météorologiques d’Abbeville afférente au projet, générait des risques pour la sécurité des personnes et des biens, dans une région comportant 61 sites industriels classés SEVESO ».
Confirmation du refus de permis de construire
Sur le fondement, notamment, de cette expertise judiciaire, la Cour administrative d’appel de Douai va donc, d’une part annuler le jugement frappé d’appel, d’autre part confirmer la légalité du refus de permis de construire opposé par le Préfet de la Somme à la société E.
En premier lieu, la Cour juge que ce refus était à bon droit fondé sur les dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme :

« Considérant qu'il ressort suffisamment des pièces du dossier, et notamment de ce rapport d'expertise comme d'une note établie par Météo France le 1er mars 2011, que les dysfonctionnements induits par les éoliennes sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique au sens de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison de la perturbation importante de la détection des phénomènes météorologiques dangereux qu'elles entraînent sans réelle possibilité de neutralisation de leurs effets ; que la société EDP Renewables France, qui a produit des dires tout au long de l'expertise, ne peut être regardée comme remettant en cause sérieusement, par les éléments qu'elle apporte en appel, la pertinence scientifique de la méthode, des travaux ou des conclusions du rapport alors même que selon des mesures réalisées par Météo France le 2 mai 2007 le parc éolien de Saint-Maxent-Tilloloy, dont l'installation avait été d'ores et déjà autorisée à la date de l'arrêté du 27 octobre 2006, est à l'origine d'une zone de perturbation qui est située à moins de 10 km de la zone analogue susceptible d'être engendrée par son projet ; que la société ne saurait utilement soutenir que les radars utilisés pourraient être adaptés afin de permettre la réalisation de son projet ; qu'ainsi, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, c'est sans erreur d'appréciation que le préfet de la Somme a pu refuser de délivrer les permis de construire les installations litigieuses, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison des risques pour la sécurité publique induits par les éoliennes projetées sans que des prescriptions spéciales ne suffisent à y remédier »

Il convient de souligner cette phrase : « que la société ne saurait utilement soutenir que les radars utilisés pourraient être adaptés afin de permettre la réalisation de son projet ». Des solutions de traitement des interférences entre radars et éoliennes sont en effet en cours de réalisation. La généralisation de la mise en œuvre de ces solutions est porteuse d’espoir en ce qu’elle permettrait de sortir d’une logique d’interdiction ou de coordination par zones définies en fonction d’un kilométrage à partir du radar concerné. Toutefois, à la suite de cet arrêt, il semble préférable de négocier la mise en œuvre d’une telle solution en amont de l’instruction d’une demande de permis de construire plutôt qu’en aval. Les informations disponibles ne permettent pas non plus de savoir si la question de cette solution de traitement a été discutée lors de l’expertise judiciaire.
En second lieu, la Cour souligne que l’absence d’organisation d’une « procédure de coordination » recommandée par l’ANFR n’a pas d’incidence sur la légalité du refus de permis de construire.

« (…) aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au préfet d'engager la procédure dite de coordination recommandée par l'ANFR ; que, par suite, le moyen tiré du vice de procédure pour ne pas l'avoir mise en oeuvre doit, en toute hypothèse, être écarté ».

En troisième lieu, l’arrêt rappelle que le Préfet est libre de consulter Météo-France avant de statuer sur une demande de permis de construire un parc éolien :

« (…) aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle à ce que le préfet de la Somme consulte Météo France avant de prendre l'arrêté litigieux ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment pas des termes de ce dernier, que le préfet se serait senti lié par cet avis"

Conclusion
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai doit retenir l’attention par sa portée. Il procède en effet d’une expertise judiciaire qui, comme le note M Larue à l’AJDA, a dépassé le périmètre du cas d’espèce pour analyser la pertinence du rapport de 2005 de l’ANFR. Cet arrêt retiendra donc l’attention dés lors qu’il est publié à un instant où le Gouvernement s’apprête à publier de nouvelles dispositions réglementaires relatives à la cohabitation des éoliennes et des radars. En toute hypothèse, une chose est certaine : toute partie qui entend solliciter d’une juridiction la désignation d’un expert doit très attentivement examiner toutes les conséquences de sa position. Dans le cas présent l’expertise judiciaire n’a pas remis en cause mais bien plutôt confirmée l’analyse retenue par le Préfet pour s’opposer à une demande de permis de construire.


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