Qui fait la loi sociale ?

Publié le 25 juillet 2011 par Jblully

La question peut paraître saugrenue et la réponse évidente : le législateur, a l’initiative, parfois, de l’exécutif. Pourtant, ce monopole constitutionnellement reconnu est, de facto, contesté aussi bien par les juridictions comprises au sens large (juridictions européennes, Conseil constitutionnel, juridictions judiciaires) que, en matière sociale, par les partenaires sociaux. Revue de détails des errements

L’interférence des juridictions

L’influence de la jurisprudence sur la construction du droit, particulièrement en droit social, est indiscutable de même que son principal travers : la rétroactivité des décisions de justice. Le débat est connu et nous n’y reviendrons pas si ce n’est pour souligner, encore et toujours, l’insécurité juridique conséquente.

Ce défaut est d’autant plus patent que l’autorité appelée à se prononcer a la capacité de remettre en cause la légitimité même de la loi. C’est le cas lors d’un contrôle de conventionalité, compétence attribuée à toutes les juridictions du fond. Souvenons-nous du défunt Contrat Nouvelles Embauches, même s’il est vrai que le dispositif ne valait pas réellement la peine que l’on se batte pour lui.

C’est également le cas lorsqu’une instance supra nationale se chargera de stigmatiser les défauts de notre législation au regard des engagements internationaux de la France. Force est de constater que ces instances sont de plus en plus nombreuses et que leurs interventions se multiplient à la demande des plaideurs syndicaux qui ont bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient trouver, au-delà du cas individuel défendu, à une décision de portée générale sanctionnant la loi française. Citons, par exemple, les décisions du Comité européen des droits sociaux condamnant le forfait-jours que la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de sauver in extremis : jusqu’à quand ?

De là à considérer que l’on organise l’insécurité juridique par la potentielle remise en cause permanente de la loi, il n’y a qu’un pas que le législateur a lui-même franchi à l’occasion de la réforme constitutionnelle instaurant la question prioritaire de constitutionnalité. Nous avons déjà fait état dans ces colonnes de l’impact incommensurable de cette réforme qui fait peser sur tout la législation française, et donc sur les justiciables – au premier rang desquels les entreprises – une épée de Damoclès, comme c’est le cas par exemple pour la journée de solidarité. La première qualité de la loi n’est-elle pas d’être stable afin d’être connue et appliquée ? Doit-on, pour remédier au doute perpétuel, envisager un contrôle a priori et systématique de toute nouvelle loi par le Conseil constitutionnel ? La question mérite au moins d’être posée.

La prédominance des partenaires sociaux ?

Spécificité du droit social : la présence de partenaires sociaux. L’idéal partagé de démocratie sociale a conduit le législateur à leur déléguer une partie de ses prérogatives (article L. 1 du Code du travail). Cet état de fait appelle deux remarques.

Soit l’on admet par principe que le Parlement réduise sa mission au seul enregistrement et à la mise en musique des mesures conventionnellement arrêtées : dans cette hypothèse le législateur ne doit alors pas se permettre d’aller au-delà de leurs desiderata comme ce fut le cas lors du vote de la loi démocratie sociale et temps de travail à l’été 2008.

Soit l’on rejette par principe ce dispositif et le législateur ne doit alors pas conditionner l’entrée en vigueur de ses réformes à l’absence de conclusion d’un accord collectif sur le même thème. C’est pourtant ce qu’il vient de faire, à l’occasion de la proposition de loi pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, en repoussant l’application des mesures relatives aux groupements d’employeurs au 1er novembre 2011 sauf à ce qu’un accord national interprofessionnel ait été conclu d’ici là. Pour une fois que des dispositions remettaient en cause le principe de la solidarité financière des membres d’un groupement d’employeurs, écartant ainsi le principal écueil au développement de cette forme d’organisation du travail, comme le demande de longue date la CCIP ! Reste donc à attendre 4 mois pour savoir si la règle retenue sera effective. Nouvelle épée de Damoclès…

A la veille de la trêve estivale 2011, la confusion des genres n’a donc jamais été aussi forte et la question n’est plus aussi saugrenue qu’il y paraissait au début de ce billet : qui fait la loi sociale ? Gageons que nous ne sommes pas prêts d’en connaitre la réponse.