Plusieurs nouvelles se déroulent dans le monde des courses avec des parieurs jonglant sans cesse entre les gains, les pertes et les dettes. Dans « Autobiographie d’un commis voyageur », c’est un vendeur de chaussures de luxe dont le métier est frappé de plein fouet par la crise qui voit ses revenus se réduire comme peau de chagrin et perd définitivement son emploi à 62 ans. Sans aucune police d’assurance ni retraite, son avenir ressemble à un gouffre vertigineux. « De passage » raconte l’histoire d’un homme exalté venu dans une ville du nord créer une cellule du parti communiste. Après d’autres vaines tentatives à Boston ou Philadelphie, il finira seul, haranguant quelques badauds sur le bord des trottoirs, désespérément accroché à ses illusions perdues. Dans les dix autres nouvelles, ce sont les femmes qui tiennent le premier rôle. Des femmes opiniâtres et pleines de tempérament. Orgueilleuses aussi et difficilement manipulables : une stripteaseuse cinquantenaire que l’on veut mettre au placard et qui prendra une éclatante revanche, une serveuse fière de sa popularité qui n’accepte pas d’être secondée par une nouvelle plus séduisante ou encore cette jeune fille rêvant de devenir comédienne et qui, par le plus grand des hasards, se voit proposer un premier rôle à Broadway. Elle le refusera, persuadée que la pièce est exécrable.
Bien sûr, il faut aimer le genre. Mais quel plaisir de découvrir ces nouvelles ciselées où Cheever montre déjà la virtuosité d’un grand portraitiste en mettant en scène des personnages naviguant sans cesse entre optimisme béat et espoirs déçus. Au final, ces textes aigres-doux m’ont fait passer un délicieux moment de lecture.
L’homme des ses rêves de John Cheever, Éditions Joëlle Losfeld, 2011. 156 pages. 17,50 euros.