Il lui aura fallu du temps (sept saisons) et de la suite dans les idées, mais surtout de la persévérance et du courage pour que Cadel Evans puisse enfin inscrire son nom au palmarès du Tour de France, à 34 ans.
Un couronnement tardif qui en fait le vainqueur le plus âgé de l’après-Guerre (cinq mois de plus que Bartali, en 1948) mais un sacre amplement mérité pour un athlète trop souvent sous-estimé, critiqué et méprisé, surtout par les médias français et le public qui ne voyaient en lui qu’un profiteur et un « suceur de roues » alors que l’Australien a eu le plus souvent affaire à des champions surfaits et frelatés, aujourd’hui tombés en disgrâce ! Lui n’a pas changé, toujours fidèle à son personnage: intègre, discret et réservé, gestionnaire de ses efforts et traçant sa route sans se soucier des autres, mais sachant aussi attaquer quand l’occasion se présente (championnat du monde 2009 à Mendrisio, Flèche wallonne 2010).
Jusque là il y avait les pionniers du cyclisme australien : Sir Hubert Opperman, vainqueur en 1931 de Paris-Brest-Paris et 12ème du Tour de France enlevé par Antonin Magne ; plus tard les Phil Anderson (5ème en 1982-84), Stephen Hodge, Allan Peiper, Neil Stephen, Scott Sunderland, Robert McEwen, Bradley McGee, Mickael Rogers (9ème en 2006) et compagnie, tous protagonistes à un bon niveau ou leaders occasionnellement. Désormais Evans offre à l’île continent son premier triomphe en jaune sur les Champs Elysées. Un sacre historique, qui a valeur de symbole et qui récompense aussi au passage la tenacité et la passion d’un amoureux du vélo, l’homme d’affaires suisse Andy Rihs, l’ex-patron de Phonak, jusque là très malheureux avec ses précédents leaders. Propriétaire des cycles BMC, celui-ci est à l’origine, avec son partenaire américain Jim Ochowicz, de cette nouvelle aventure qui a porté à la consécration Cadel Evans.
Un vrai champion qui gagne à être connu et qui aujourd’hui récolte les fruits de sa patience, et de sa régularité en émergeant au sommet d’une hiérarchie revue et corrigée par rapport aux années maudites. Une hiérarchie où apparaissent les Voeckler, Rolland, Taramae, Boasson-Hagen, Jeanneson, Roy et compagnie. L’espoir d’un avenir nouveau. Pour s’en convaincre, il suffit de voir à quelle vitesse s’est montée l’Alpe d’Huez par rapport à l’époque Pantani ou Armstrong… et dans quel état de fatigue se trouve le peloton après ces trois semaines d’une course longtemps figée et bloquée en ce qui concerne les favoris.Et pourtant, avec un parcours très montagneux et quatre arrivées en altitude ainsi qu’un seul chrono de 42,5 km, l’édition 2011 était très favorable aux grimpeurs. Et donc à Contador et Andy Schleck. Si le premier (il a gagné le Giro) n’a pas évolué à son niveau de 2010, le second s’est fait l’auteur d’un grand exploit le jour du Galibier, mais il échoue à la deuxième place pour la troisième année d’affilée car trop limité contre la montre. C’est dans cet exercice individuel, très physique et très exigeant, qu’Evans a concrétisé son triomphe personnel. Mais c’est surement dans la longue remontée du col du Lautaret, puis en assumant seul la poursuite sur les pentes du Galibier qu’il a forgé son succès en évitant que la course, ce jour-là, ne bascule définitivement en faveur du cadet des Schleck.
Une prise de conscience qui confirme que l’Australien sait être à la hauteur de ses responsabilités et qu’il s’impose en patron sans en avoir l’air sur le terrain. C’est la force d’un coureur qui sait parfaitement gérer les situations et ses efforts (cf. l’arrivée à Gap) et qui connaît ses possibilités pour avoir travaillé étroitement avec l’entraîneur Aldo Sassi, au centre sportif de la Mapei (sa deuxième équipe, en 2002), à Castellanza, près de Varèse (Italie). Celui-ci avait vite décelé chez lui une VO2 max exceptionnelle et nul doute que Cadel doit une bonne part de sa progression et de sa réussite à ce préparateur physique, décédé subitement en décembre dernier, et avec qui il était très lié.
Une collaboration qui a fait d’Evans le champion qu’il est devenu par un patient travail en profondeur et le souci du détail dans la préparation de ses objectifs. En gagnant Tirreno-Adriatico début mars, puis le Tour de Romandie fin avril et le Tour de France en juillet, il a prouvé aussi qu’il est possible d’etre présent et compétitif à un haut niveau plus qu’un mois par saison et il faudra bien qu’un jour les « maîtres » actuels du cyclisme revoient leurs théories à ce sujet. L’Australien n’est pas un surhomme, simplement un sportif discipliné et un grand professionnel.
C’est ainsi qu’avec son équipier suisse Steve Morabito il s’est retiré durant deux semaines en mai-juin dans un petit hôtel des Alpes valaisannes, sur les hauteurs de la Gemmi (2'400 m). Chaque matin, tous deux descendaient par le téléphérique s’entraîner en plaine et remontaient le soir pour y profiter des bienfaits de l’altitude. Cette approche méticuleuse de son métier l’a hissé vers les sommets où il évolue depuis plusieurs saisons déjà. Mais certains auront mis du temps pour s’en convaincre. Car la malchance et les déboires ne l’ont pas épargné, retardant longtemps son avènement. Dès 2003 chez Telekom, il se fracture trois fois les deux clavicules. Puis il n’est pas retenu pour le Tour 2004 autour de Jan Ullrich. Il quitte alors T-Mobile pour les Belges de Davitamon (2005), puis Silence-Lotto (2008). Mais, mal soutenu et peu considéré, il ne sera jamais le leader incontesté qu’en a fait le Racing Team BMC (directeurs sportifs John Lelangue et Fabio Baldato) depuis deux saisons. Et encore a-t-il été handicapé en 2010 par un trait de fracture au coude après une chute !
Une noire malchance qui lui a souvent collé à la peau et occulté ses mérites aux yeux de beaucoup. Mais les connaisseurs savaient bien qu’un jour ou l’autre Cadel Evans finirait par conjurer le mauvais sort pour que justice lui soit enfin rendue.
Bertrand Duboux