Le 9 juillet, le chanteur argentin Facundo Cabral mourait assassiné au Guatemala. Figure contestatrice et surtout poète de la chanson sud-américaine, sa mort a secoué toute l'Amérique latine. Nous publions ici une sorte de "déclaration d'amour" et de chagrin écrite par Galel Cardenas, écrivain hondurien.
Il n'est pas nécessaire d'être cultivé pour comprendre que l'assassinat de Facundo Cabral [le 9 juillet dernier], auteur compositeur et interprête argentin adoré dans son pays, incarnation (aux côtés d'autres voix latino-américaines) de la poésie humaniste la plus extraordinaire du continent, est une barbarie absolue.
Facundo Cabral était un homme exceptionnel, sans égal par ses talents de compositeur de plaisirs musicaux et littéraires inestimables, porteur de valeurs de solidarité et d'amour illimités.
Né dans la lointaine ville argentine de La Plata le 22 mai 1937, lointaine pour nous, hommes, femmes et enfants d'Amérique centrale, berceau du calendrier astronomique le plus précis qui ait jamais existé [le calendrier Maya], Facundo Cabral a vu le jour au milieu de ce peuple pauvre et marginalisé que l'on trouve dans tous les recoins de l'Amérique de Rubén Darío, d'Octavio Paz, de Gabriel García Márquez, de Jorge Luis Borges, de Julio Cortázar, d'Alejo Carpentier, de Miguel Angel Asturias, de Roberto Sosa, de Roque Dalton.
Une vie émaillée de tragédies : Facundo aurait été muet jusqu'à 9 ans et analphabète jusqu'à 14 ans ; et il est devenu veuf à 40 ans et a perdu son père à 46 ans.
Enfant marginal, il se retrouve en prison tout jeune encore, et fait la connaissance derrière les barreaux d'un prêtre du nom de Simón qui lui apprend à lire et à écrire, et lui dévoile aussi les chemins infinis de la littérature : il suffit de trois ans au jeune Facundo pour rattraper son retard scolaire.
Facundo Cabral était l'auteur-compositeur-interprète de ceux pour qui le pain est une utopie de tous les jours, le toit un rêve inassouvi, la dignité humaine un cours d'eau asséché.
En 1954, le 24 février, précise Facundo Cabral, un vagabond lui récite le Sermon sur la montagne. C'est ainsi qu'apparaît l'artiste naissant, qui écrit alors une berceuse [mythique] intitulée “Vuele bajo”, inaugurant une vie d'une grande richesse, faite d'incessants voyages aux États-Unis et dans le monde.
Facundo Cabral fera plus tard la connaissance d'Atahualpa Yupanqui et de José Larralde, des musiciens qui lui montrent la voie du folklore et de la musique vivante, celle de l'homme de chair et de sang qui, en Amérique latine, doit arracher péniblement à la pauvreté quelques lambeaux de vie.
Vers 1970, Facundo Cabral écrit sa chanson phare, “No soy de aquí ni soy de allá”, et il rencontre cet autre géant de la musique qu'est Alberto Cortez, qui a fait frémir l'humanité avec une voix où l'humanisme coule tel un torrent cristallin.
Ses grands modèles, Jésus, Gandhi ou mère Teresa, sont présents dans toutes ses compositions.
Comme nombre d'artistes rebelles, la dictature argentine l'a poussé à l'exil de 1976 à 1983 [au Mexique].
Facundo Cabral a sillonné le monde, brandissant sa musique et ses mots pour nous interpeller sur le sort du genre humain, luttant contre l'injustice et l'ignominie, mais luttant surtout pour exprimer l'essence profonde de l'homme qui cherche par l'esprit à réaliser les grandes utopies sociales.
Et d'une scène à l'autre, il a offert sa musique comme il s'est offert lui-même dans tous les pays, devant toutes les foules, comme devant l'auditeur solitaire, donnant à entendre son vaste humanisme mélodique et esthétique à fleur de peau.
source: http://www.courrierinternational.com/article/2011/07/18/tuer-une-voix-c-est-tuer-toute-l-humanite