Non, il n’écrit pas, il efface. Tous les jours, systématiquement, absurdement, rituellement, il efface à la gomme une page de ‘La Recherche du Temps Perdu’. Il frotte, il gratte, il amincit le papier, parfois il le troue et on voit la page suivante au travers. Il recueille les vestiges, les décombres, petits bouts de gomme, infimes morceaux de papier encré. Et ainsi, page après page, il poursuit sa tache. Restent ici et là quelques mots, qui ont résisté, qui ont survécu; ils ne forment pas de phrase cachée, mais on croit parfois y discerner un sens, une ligne de force : sur telle page, ils semblent parler du temps, et peut-être de la beauté sur telle autre.
Jérémie Berrequin exposait jusqu’à hier (sorry!) à l’Ecole Buissonnière dans le XIème. On peut voir son travail sur son blog, et acheter ses livres à demi effacés. A côté des feuilles elles-mêmes, exposées en double page, des toiles reprenaient l’image de la feuille effacée, qui devenait alors en grand format comme une porte vers un autre monde. Ce travail sur la mémoire s’applique à merveille à Proust, mais on pourrait jouer aussi avec l’histoire et la construction de la mémoire collective.
Se dénommant ‘Estompeur’, il exposait aussi des dessins au fusain, portraits familiaux, mémoriels, scolaires, qui, eux aussi, avaient subi l’épreuve de la gomme à peine terminés, comme des fantômes, des résurgences. Ci-contre Mélan(col)ie.
Ce manque, ce vide, ce rituel de création de néant sont sa marque propre. On peut penser au travail de Mario Garcia Torres. Voilà un artiste à suivre, je crois.