Déjà, la première chose à souligner est que ce film n’a pas reçu une très grande promotion en France. Quelques affiches dans le métro ou à l’entrée des cinémas, quelques bandes annonces diffusées aléatoirement, au hasard d’émissions cinématographiques, mais rien de plus. Aucune critique vraiment dithyrambique, le film ne semble pas avoir reçu un accueil brillant dans l’Hexagone.
C’est pour ça que je préviens à l’avance : je vais construire ce billet en deux parties : une pour « tout le monde », dans laquelle je donne simplement mes impressions générales sur le film, et pourquoi il faut aller le voir (parce que oui, il FAUT voir ce film, quelque soit le regard que l’on porte sur le sujet), une autre pour ceux qui l’ont vu, ou ceux qui se foutent de se faire « gâcher » la fin, plus détaillée, dans laquelle je vais pousser un peu plus la réflexion que certains comme Chronic’Art (je les cite eux parce qu’ils me gonflent, mais il y en a plein dans le même sac) se sont efforcés d’occulter. Et dans laquelle je vais surtout tenter d’expliquer pourquoi ce film a eu de si mauvais retours en France, parce que j’en ai ma petite idée, mais ça peut faire mal à l’égo, attention…
Du coup, la totalité du billet ne s’adresse pas forcément à tout le monde, mais j’avais vraiment envie d’apporter une réflexion poussée sur le film, sans pour autant le gâcher, tant la fin est intense et prend le spectateur à la gorge.
Live! est donc un donc un excellent film. Vous regardez certainement ces émissions de télé réalité (même si vous ne voulez pas l’avouer), dans lesquelles vous vous délectez de voir des gens souffrir, pleurer, et aller au-delà de leurs forces et de leurs peurs pour une somme d’argent, l’assurance d’une vie à deux ou un contrat dans une maison de disques. Le tout en étant bien calé dans son canapé, bien loin de toute cette misère, un paquet de chips dans une main et la zapette dans l’autre.
Live! fait plus qu’expliquer à son spectateur le processus de création de ce genre d’émission, il lui montre surtout toutes les dérives de ce genre de jeu, du simple appât du gain à la véritable folie que ça peut engager. On passe du détachement le plus naturel à une implication malsaine dans le film, qui n’hésite pas à coller une grosse claque dans la gueule de son spectateur venu se divertir. Seulement, « ce n’est pas un divertissement, c’est un show ».
La voilà, notre idée. Six candidats, une arme, et une seule balle dans celle-ci. Pour les cinq gagnants, cinq millions de dollars par tête. Pour le perdant, la mort, en direct sur une chaine nationale. L’idée séduit immédiatement Katy, qui décide de se battre pour mener ce projet à terme. Une roulette russe en direct à la télévision, personne ne voudrait rater ça. Comme on s’en doute, ce ne sont pas les obstacles qui manquent. Tant légaux (le suicide est une pratique interdite dans certains États d’Amérique) que moraux (l’église catholique s’empare rapidement de l’affaire et organise des manifestations devant le siège de la chaine). Sans parler de la FCC (le CSA américain), qui ne se laisse pas convaincre si facilement, ou encore des annonceurs, qui se montrent réticents à acheter des espaces publicitaires dans une émission dont le principe est de se tirer une balle dans la tête.
Mais ces obstacles, Katy les passe sans trop de difficultés. Pour elle, peu importe qu’on parle de son projet en bien ou en mal, l’important, c’est qu’on en parle. Ainsi, les annonceurs vont facilement être séduits par la présentation plus qu’émouvantes des candidats, qui sont prêts à risquer leur vie pour sauver la ferme familiale et que leur enfant, né prématurément, puisse avoir une vie décente et reprendre la ferme de son père. La FCC obtiendra que le programme soit diffusé à 1h du matin, loin des heures de grande écoute.
Et le jeu a donc lieu. Ces six personnages, que nous avons suivi pendant une partie de l’émission, sont se retrouvent donc sur un plateau de télévision, en face d’un magnum 357 chargé d’une balle d’argent et de cinq balles à blanc. Cinq d’entre eux repartiront avec cinq millions de dollars, le dernier ne repartira pas. Ils le savent, ils l’ont accepté, que le jeu commence. Jamais, de toute ma vie, je ne me suis senti aussi tendu devant un film. Jamais je n’ai autant retenu ma respiration. Jamais je n’ai autant espéré que quelque chose vienne entacher le bon déroulement des opérations, et que tout s’arrête. En direct, devant plusieurs millions de téléspectateurs, six candidats se succèdent à tour de rôle pour se pointer un revolver sur la tempe, et presser la détente.
Et pourtant, j’en voulais encore. Mes yeux n’ont pas quitté l’écran un seul instant. Durant la dernière partie du film, je me suis surpris a sortir un peu de l’ambiance tendue qui s’en dégageait pour admirer le silence qui s’était soudainement propagé dans la petite salle. Les rires provoqués par les scènes grotesquement comiques des parties légères du film ont cruellement été remplacés par le silence glacial de l’angoisse palpable qui nous entourait.
(À partir d’ici, je préfère prévenir que la suite risque de gâcher le plaisir de ceux qui ne connaîtraient pas encore le dénouement de l’histoire, je vous laisse donc le choix de continuer ou non) Évidemment, l’insoutenable connaît un dénouement. L’émission suit son cours, et la cinquième balle finit par être la bonne. À ce moment précis, ce n’est pas tant le public en panique, ni la petite amie du perdant en larmes, ni même le fait que la production insiste auprès des cameramen que l’émission continue et qu’il faut continuer à tourner, qui sont les plus dérangeants. À ce moment là, oui, la pression est retombée, mais on ne se sent pas franchement mieux.
Qu’est-ce que le film essaie de nous dire ? Que les producteurs, que personne ne supporte (surtout en France, où c’est la mode d’insulter des émissions qu’on ne raterait pour rien au monde), ont effectivement les dents longues. Au point même d’inviter certains candidats à jouer leur vie pour somme d’argent conséquente. Mais aussi, et surtout, on nous montre implicitement à quel point on a apprécié le spectacle. Un homme vient de se suicider devant nos yeux, et à aucun moment nous n’avons voulu qu’il retire son arme, qu’il la dépose, et qu’il abandonne. Car nous voulions que cela arrive. Nous ne souhaitions la mort de personne, bien entendu, mais elle faisait désormais partie du jeu. De la même manière que cela ne nous dérange plus de voir un mec tromper sa femme à la TV, de la même manière que nous pouvons regarder des gens crever de faim et chopper des maladies graves sur une île, nous pouvons également pousser le vice jusqu’à regarder quelqu’un mourir, pour notre plaisir.
Et c’est, à mon avis, la raison pour laquelle le film n’a pas eu le succès qu’il mérite. Non pas qu’il n’ait pas rencontré son public, au contraire, je pense que toutes les personnes concernées un tant soit peu par le sujet l’ont justement vu. Et n’ont pas voulu voir le message derrière. Parce que la vérité n’est jamais facile à entendre. Parce qu’on ne veut pas s’entendre dire qu’on est capable de regarder quelqu’un se tirer une balle si on nous le proposait. Parce qu’on détourne simplement les yeux d’une vérité qui apparaît aujourd’hui comme étant de plus en plus évidente.
Il suffit de regarder les critiques françaises pour s’en convaincre. Je cite Studio : « En 2008, à l'heure où notre tube cathodique se permet toutes les horreurs, a-t-on encore la force de s'émouvoir ? Pas sûr. Avec son Live !, Bill Guttentag prend, lui, le parti d'en rire (jaune !), signant un film de "téléfiction" amoral, incorrect, barré. » Incorrect ? Amoral ? Et pourtant, lorsque les Pays Bas ont lancé la rumeur d’un jeu de télé-réalité dans lequel un donneur d’organe déciderait de la personne qu’il sauverait, laissant mourir les deux autres, n’y avez-vous pas tous cru ? N’avez-vous pas tous crié au scandale, en brandissant votre morale à deux francs, pour crier contre une émission que vous auriez été des millions à regarder ?
Et c’est pourtant vrai. On n’ose jamais vraiment y croire, on préfère se dire que c’est une fiction, mais on se retrouve toujours à un moment donné bien confortablement dans son canapé, avec un thermostat réglé sur 21°C, regardez un mec courir sur les routes brésiliennes pour quelques sous, ou un autre se coller un flingue contre le crâne pour 5 millions. Ça arrivera, ce n’est qu’une question de temps. S’il y a dix ans, quelqu’un vous avait dit que vous regarderez une homme ou une femme crever la dalle sur une île et sucer des cailloux pour « survivre », vous ne l’auriez pas cru.
En définitive, Live! n’est pas un film moralisateur. Il donne simplement au spectateur ce qu’il voulait voir : des gens risquer leur vie. Il ne nous dit pas que c’est intelligent, stupide, normal ou immoral. Ils ne nous juge pas, ne nous condamne pas, ne nous porte pas en triomphe et ne nous déroule pas le tapis rouge. Il nous met simplement en face de notre réalité, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, qu’on veuille en prendre conscience ou non. Pour peu que le spectateur veuille bien s’imprégner un tant soit peu du film, il en prendra forcément une claque. Parce que le film va jusqu’au bout. Parce qu’à travers le côté (pas si) énorme du concept énoncé, on se rend compte que non-seulement c’est plausible, mais qu’en plus ça fonctionne.
La première fois qu’on entend « roulette russe », on ne peut pas s’empêcher de sourire en imaginant six mecs alignés avec un flingue sur la tempe, en se disant que ces connards de producteurs feraient n’importe quoi pour s’enrichir. Une fois que l’émission est lancé et que la balle est tiré, on fait beaucoup moins le fier. Parce qu’on ne sait même pas si on doit regretter ce qu’on a vu. Voilà le plus dérangeant. Qu’il s’agisse d’une pure fiction ou d’un film d’anticipation, il est clair que Live! mérite bien mieux que l’accueil qu’il a reçu. Attendons que le concept existe vraiment, ce n’est de toutes manières qu’une question de temps…