Colette vue par Truman Capote au Palais Royal en 1947
Et la chambre renvoyait au luxueux confinement de ses romans les plus profanes – disons, Chéri et La fin de Chéri- avec des rideaux de velours, dressés contre la lumière de juin. On s’apercevait bientôt que les murs étaient tendus de soie : que la lumière, rosâtre et chaude, filtrait de lampes drapées dans des foulards rose pâle. Un parfum – quelque mélange de roses et d’oranges, de tilleul et de musc – se balançait dans l’air comme une buée : comme une brume légère.
Colette et sa collection de sulfures.Ainsi elle était là, calée par des couches d’oreillers à bordures de dentelles, les yeux liquides de vie et de gentillesse et de malice. En travers de ses jambes, un chat d’un gris singulier était étendu, plutôt comme un couvre-pied supplémentaire.
Ce qui frappe ensuite le jeune écrivain, c’est sa collection de sulfures anciens. Devant son admiration, Colette lui fait don d’une de ses plus belles pièces et c’est à partir de ce moment-là qu’il est devenu collectionneur de ces petits objets.
Il y avait peut-être un millier de ces «presse-papiers» couvrant deux tables de chaque côté du lit: des demi sphères de cristal emprisonnant des lézards verts, des salamandres, des mosaïques millefiori, des libellules, un panier de poires, des papillons posés sur des feuilles de fougère; des tourbillonnements de blanc et de rose, et de bleu et de blanc, ruisselant comme un feu d’artifice; des cobras entrelacés dans leur lutte; de jolis parterres de pensées, d’éclatantes poinsetties.(...)
Elle m’expliqua que c’était là le dernier raffinement de l’art des cristalliers, de ces artisans inventifs de la joaillerie du cristal qui firent la réputation des créations françaises de Baccarat, de Saint-Louis et de Clichy. Prélevant comme au hasard l’un de ces presse-papiers, particulièrement beau et grand, qui explosait de mille feux aux mille coloris, elle me montra l’endroit où était cachée la date, 1842, à l’intérieur de l’un de ses minuscules boutons de fleur.
Les plus beaux sulfures, me dit-elle, ont été fabriqués entre 1840 et 1880. Depuis lors, toute cette industrie a périclité. Il y a environ quarante ans que j’ai commencé cette collection. C’était passé de mode à l’époque et il y avait des aubaines magnifiques au marché aux puces. Aujourd’hui, bien sûr, une belle pièce coûte une fortune. Les collectionneurs se comptent par centaines, alors qu’il n’existe peut-être que trois ou quatre mille pièces en tout qui méritent un coup d’œil. Celle-ci, tenez (elle me tendit un sulfure de la taille environ d’une balle de base-ball), c’est un Baccarat. Il porte un nom: la Rose blanche.A la question de Colette voulant savoir quelles images l'une de ces pièces lui évoquait, il répond : «Des petites filles dans leurs robes de communiantes»Ravie de la réponse, Colette lui offre alors le sulfure.
C’était une pièce taillée à facettes, exempte absolument de bulles d’air et décorée d’un seul motif très simple: une rose blanche, montée directement sur centre fixe, avec quelques feuilles vertes.
Truman Capote par la suite se mettra à la recherche des plus beaux, partout dans le monde. Les plus beaux, il les emportait toujours avec lui, dans tous ses voyages «parce qu’une fois éparpillés tout autour de la pièce, ils peuvent me faire paraître chaleureuse, et personnelle, et rassurante, la plus anonyme et sinistre des chambres d’hôtel.» Parfois aussi il en offrait un à une personne chère et c’était toujours un de ses préférés en souvenir des paroles de Colette:«Mon petit, cela ne rime à rien d’offrir une chose si l’on n’y tient pas personnellement.»
La Rose blanche, Les Chiens aboient de Truman Capote, Souvenirs, sites, silhouettes, (nrf, Gallimard, 1977, 222 pages). Traduit de l’anglais par Jean Malignon.