Cette évolution est parallèle à la profanation de l'être humain, à l'effrayant processus de démystification du monde. Or, un monde qui se démystifie étant aussi un monde avalé par le règne de la machine, un monde qui connaît de plus en plus le vertige de l’obsolescence de l’homme, un monde qui se vend et s’achète, nul doute que le livre, comme n’importe quel autre produit, devienne consommable, c’est-à-dire véhicule d’une «parole putanisée».
Du rôle du langage
Une autre question est de savoir si le langage lui-même, attaqué de toutes parts, n’est pas le principal agent infectieux contaminant l’homme moderne et ce qu’il écrit. Le langage corrompu infecterait en premier lieu l’écrivain lui-même, qui, à son tour, ne pourrait créer rien d’autre que des moignons d’œuvre, des sortes de phocomèles littéraires, l’ensemble de cette toupie devenue folle ressemblant à ce camp de concentration verbal évoqué par Armand Robin.
De la liberté et de la création
Nos plus grands prosateurs étaient des hommes qui ne craignaient pas le danger physique, qui parfois même eurent du sang sur les mains, en tout cas qui auraient assurément admis que le comble du déshonneur eût été de courir derrière une subvention étatique plus ou moins maquillée en incitation à la création vivante. Sans danger ou corne de taureau, pas de liberté possible, pas de persuasion, c’est-à-dire de poids, mais au contraire uniquement de la rhétorique, c’est-à-dire moins de la légèreté que de la vanité… Je crois donc que nous avons besoin d’hommes véritables plutôt que de livres, sous la masse desquels nous croulons.
Des navets aux grands succès
Ce n’est tout de même pas un hasard si des œuvres télévisuelles, voire cinématographiques de piètre qualité séduisent des millions de personnes, ce n’en est pas moins un si des navets littéraires, que l’on nous sert à grand renfort de sauce médiatique, se consomment à des dizaines de milliers d’exemplaires : ne me dites pas de ces rinçures qu’elles ont une portée universelle mais parlez-moi plutôt d’une réduction drastique et dramatique de nos attentes, fussent-elles celles de notre imaginaire !
Conclusion
Kierkegaard, dans nombre de ses ouvrages, réclamait à corps et à cri le retour de la «verte primitivité», de la passion en somme, cœur réel et secret de l’Individu tel qu’il le définissait. Pour ma part, je dirai que l’art crève, la littérature crève parce que les hommes sont devenus, depuis quelque temps, une réalité plus rare et même, je suis triste de l’affirmer, plus improbable qu’un bon livre.
Les liens
· Le Grand Souffle - Enquête sur le Roman
· Le texte initial de Juan Asensio / Stalker
· Le blog littéraire et érudit de Juan Asensio