Les années 75. On conteste plus que jamais les valeurs bourgeoises sur fond de drogues, de cigarettes, d'art et de poésie. On est très entichées de D.H. Lawrence, récemment redécouvert.
Gillian Brauer, 20 ans, brillante étudiante de troisième année, voudrait briller encore davantage aux yeux de Andre Harrow, son charismatique professeur de littérature, qui, cette année-là, a créé un atelier de poésie aussi recherché que sélectif. Fatigué des poèmes plus ou moins convenus qu'elles produisent, Harrow décide de faire écrire et lire en classe à ses élèves leur journal intime, n'octroyant ses compliment qu'aux confessions les plus osées, ce qui provoque surenchères et accidents parmi les élues (anorexie, tentatives de suicide). Car, on s'en doute, toutes ces demoiselles sont amoureuses de leur professeur qui en joue sans vergogne. Et Gillian est décidée à plaire autant que Harrow à séduire. Une situation classique, mais dont Oates ne saurait tolérer qu'elle soit ordinaire. La liaison de Gillian avec Andre Harrow n'a donc rien de banal. Très vite, le rôle glauque de la mystérieuse Dorcas, l'épouse -française- d'Andre, apparaît dans toute sa perversité.
J'ai dévoré ce roman mais il m'a laissé une empreinte très forte de malaise. Quelle atmosphère malsaine, que de drames qui se trament dans les couloirs et les salles de cette école, que de mal être... On comprend parfaitement que des jeunes filles veuillent briller aux yeux de leur professeur pour s'attirer ses grâces, son admiration, voire son amour, mais je n'ai pas pu m'empêcher d'être scandalisée par l'attitude de cet homme qui manipule de façon si désinvolte, prend et jette, utilise et au final saccage ces filles. On comprend d'ailleurs bien mal ce qu'elles lui trouvent, à cet homme, qui parait sous la plume de Oates bien laid et surtout fort désagréable, pédant même. Son mystère très certainement, son aura intellectuelle également, et probablement aussi le coté sombre du personnage, qui telles la lumière pour les lucioles, les attirent alors qu'elles savent, sentent qu'elles s'y brûleront les ailes...
"Andre Harrow était verbeux, tyrannique. Il était gentil, et condescendant. Il ne cessait de nous interrompre tout en nous exhortant à "dire ce que nous pensions, si nous ne voulions pas que quelqu'un le fasse à nore place".
Automutilation et autodestruction, humiliation, dégradation de l'être... On en a la nausée et pourtant on dévore ces quelques 100 pages sans pouvoir s'arrêter, subjugés par la maitrise de l'auteur, par son écriture, et par la noirceur des personnages, de ce prof indigne et de sa femme, complice, peut-être encore plus malsaine que lui. Nous sommes dans la perversité pure et la force de l'auteur est de plutôt suggérer que de décrire précisément, et de nous laisser imaginer.
Et en nous résonnent les phrases que ce professeur serine à ses élèves, pour qu'elles expriment dans leur journal, qui sera lu devant la classe, leurs pensées les plus profondes, leurs souvenirs, leurs angoisses.
"N'ayez pas peur : fouillez au fond de vous mêmes."
"La façon dont une obsession naît s'enracine comme une mauvaise herbe virulente..."
"Allez profond, plus profond. coupez la jugulaire."
On voudrait bien la couper, cette jugulaire, la sienne bien sûr. On sait bien que tout cela finira mal... Je sais que les années 75 étaient encore empreintes de la libération des moeurs et d'une certaine attitude "cool" et j'ose espérer que de telles actions ne pourraient plus avoir cours de nos jours...
Superbe et ignoble à la fois. A lire !
Le poème de D.H. Lawrence qui a donné son titre au roman :
Je vous aime, pourries,
Délicieuses pourritures.
J'aime vous aspirer hors de votre peau
Toutes brunes et douces et de suave venue,
Toutes morbides ...
Sorbes, nèfles aux couronnes mortes.
Je l'atteste, merveilleuses sont les sensations infernales,
Orphique, délicat,
Dionysos d'en-bas.
Un baiser, un spasme d'adieu, un orgasme momentané de rupture
Puis seul, sur la route humide, jusqu'au prochain tournant
Et là, un nouveau partenaire, à nouveau se quitter ...
Une nouvelle ivresse de solitude parmi les feuilles périssantes glacées de gel.
Un roman lu par Kathel, Cynthia, Lillounette, Noukette, Lou, Le livraire, Ys, Lhisbei, Choco, Sita (très original billet en images), Sandy, Fantasio, Restling, Praline, Ankya, Sylvie, Delphine, Liyah...
Catégorie VégétauxAmour à sens unique, et qui finit mal