Jean Eustache et Ce Fameux Film

Publié le 23 juillet 2011 par Hunterjones
C'était presque 4 heures de film et pourtant j'en aurais pris encore.
Ce n'était que du verbe, 3 heures 40 de français qui jacassent sans arrêt. Des tonnes de plans fixe pour laisser le temps au verbe de s'incruster dans l'image.
Jean-Pierre Léaud, lâché lousse, Françoise Lebrun en déroute mentale (en partie celle d'Eustache lui-même, hypersensible) Bernadette Lafont sexy comme c'est interdit.
C'est du propos extrèmement post-soixante-huitard avec tout ce qu'il y a à haïr du soixante-huitard.
C'est de l'intellectuel à plein régime.
Du très très bavard.
Alors qu'y a -t-il à aimer me direz vous?
Premièrement le titre.
Si on est un homme on sait que l'éternel dilemne est celui de la maman et la putain. Que l'on se souhaite tous incarnée par la même femme mais qui bien souvent, est injuste d'exiger de sa partenaire. Les hommes trichent leurs femmes afin d'embrasser la putain. Ils laissent tomber la putain afin de retrouver la maman. C'est un cycle infernal. Jean Eustache a attaqué les deux de front en 1972 en tournant son fameux film de 3 heures 40. Lebrun en maman, Lafont en putain, Léaud en moulin à paroles.
Eustache ne choisit ni l'une, ni l'autre. C'est le propre des suicidés, l'incapacité de choisir.
J'aime aussi pour cette nette impression (Eustache était issu de l'école du documentaire) d'entrer dans un moment de 1969 ou de 1970. Ce qui n'est pas tout à fait faux car Eustache a dialogué, dans la longue tirade de Françoise Lebrun à la fin, une réèlle discussion qu'il avait eu avec elle. Il a repris presque mot ce moment intense de leur vie commune, sur lequel le film est entièrement bâti.
La Maman et La Putain est un film touchant parce qu'il pose la question universelle de l'injustice fondamentale qui semble présider aux jeux de l'amour, et des souffrances qui en découlent. Léaud a un jeu plaqué surréaliste (comme toujours)qui l'emmène d'un film à l'autre comme s'il venait d'ailleurs, Françoise Lebrun est par contre crédible en bloc de souffrance, Bernadette Laffont est la femme que tout mâle peut rêver de se mériter.
Le noir et blanc de ce film est redoutablement élégant.
Veronika: "Alexandre - Quand je fais l'amour avec vous, je ne pense qu'à la mort, à la terre, à la cendre... "

Marie: "Alors vous faites l'amour avec la mort."
Alexandre: "Pourquoi ? Vous voyez des rivières, des cascades ruisselantes ?"
 Inclus dans la nouvelle vague française par sa forme et ses comédiens, même considéré comme le dernier film de cette nouvelle vague française, le film d'Eustache étonne par sa thémathique décalée. Alors que la société de l'époque revendique une redéfinition des rapports amoureux, le film se termine pourtant sur un très traditionnelle demande en mariage. Il montre la tristesse d'une certaine liberté sexuelle ou encore le désespoir lié à l'interruption volontaire de grossesse. La jalousie frappe chacun des personnage du trio amoureux, tour à tour.
C'est un film troublant car il donne l'impression de visiter le corridor malsain de la dérive mentale qui mènera Jean Eustache à s'enlever la vie en novembre 1981.
À la fin d'Un Amour de Swann de Marcel Proust, Swann se demande pourquoi il a fait tant de bêtise pour Odette qui n'était même pas son genre. Ce film fait écho à ceci.
Insupportable, interminable, pompeux et artificiel, il y a beaucoup à détester dans ce film.
Et pourtant il est merveilleux.
J'aime, mais je ne me permettrais pas de le recommander. Ce n'est pas le genre dit "grand public".
Il y a une fragilité touchante dans La Maman et la Putain.  J'ai vu le film deux fois sur Télé-Québec (where else?) la nuit (when else?) et je veux ce film en dvd.

Toutefois c'est son fils qui détient les droits de diffusion/reproduction et il promet du coffret depuis 2006.
Ouais...si on veut juste un film, on ne veut peut-être pas payer 200$ de coffret des autres films.
C'est ce fameux film que je recherche.
C'est ce fameux film que j'aurai un jour.