Initiation

Publié le 23 juillet 2011 par Ladytelephagy

Quand une collègue saisonnière, ayant eu vent de votre passion pour les séries, se tourne vers vous et vous demande : "Et sinon, c'est bien Mad Men ?", alors qu'une seconde avant elle ne jurait que par Grey's Anatomy et One Tree Hill, vous vous sentez l'âme d'un vieux sage dans un quelconque film de kung fu.
Et quand un stagiaire, ayant éprouvé vos connaissances en la matière, vous demande ce qu'il pourrait regarder en l'absence d'épisodes de Chuck cet été, vous ressentez soudain une immense responsabilité, mais une grande fierté.
Ils ne sont pas là pour longtemps, mais pendant les jours ou semaines qu'il leur reste à passer auprès de vous, vous avez l'opportunité d'ouvrir des portes, et ils sont venus à vous exactement pour ça, et qu'ils s'en remettent à vous, qu'ils sont prêts à écouter, qu'ils sont intellectuellement ouverts et disponibles et que tout peut arriver. On peut alors les emmener plus loin.
En fait ça fait longtemps que je n'ai plus eu l'occasion de mener des opérations de contagion dans mon entourage proche. Comme si j'avais décrété, je ne sais pas trop à quel moment, que j'avais suffisamment d'horizons à ouvrir à ceux qui me lisent, sans que ceux qui me voient ne deviennent eux aussi la cible de mes assauts répétés sur l'air de "The Yard c'est trop bien il faut regarder" et "youpichouette j'ai reçu le DVD de Koselig Med Peis". Je ne sais pas du tout d'où ça me vient, non plus.
Et c'est finalement avec tendresse que je réponds à leurs questions et que je pose les miennes. J'écoute les réponses qui me permettront de conseiller au mieux quelques titres, mais pas seulement. Je lis sur leurs visages les choses qu'ils découvrent. Leurs yeux s'écarquillent parce que je mentionne des choses dont ils ignoraient l'existence, la lèvre en suspens, ils réfléchissent rapidement pour mesurer si tel concept leur plairait ou pas, et insèrent des questions plus générales, grâce auxquelles je peux glisser des séries que je ne leur conseille pas forcément mais qu'il peut être intéressant de connaître. Dans ce contexte, mentionner une série australienne ou danoise n'a rien d'incongru, on n'est pas dans le genre de discussion où soudain votre interlocuteur doute de votre santé mentale puisque chacun sait qu'il n'y a des séries qu'aux Etats-Unis. Je ne recommande pas ces séries à des gens qui n'en sont pas au stade où ça peut les attirer, mais je les mentionne parce qu'elles existent et qu'elles font partie du panorama, et parlent d'un sujet similaire, ou présentent au contraire un univers totalement inédit. Je ne cherche pas à leur faire regarder ces séries-là absolument, mais je me dis que si j'en parle, ça leur ouvre quelque chose tout de même. Que je ne vais pas faire comme si je voulais me mettre "à leur niveau" et livrer une information parcellaire, diluée, simplifiée.
Et puis il y a ce moment. La poignée de secondes pendant laquelle mes propos sont jugés, à la fois sur la base de leur sérieux, de leur variété, et de leur adéquation avec la demande initiale. Et soudain je lis que la personne a vraiment été convaincue de regarder A la Maison Blanche, après avoir entendu les comparaisons avec Party Animals et Borgen et Yes Minister et CHANGE. Et je me dis que je viens d'ouvrir un petit verrou téléphagique. Je n'ai pas changé la face du monde.
Mais je viens de semer une graine que je ne verrai jamais germer, mais qui donnera peut-être, oh bien-sûr seulement peut-être, un solide téléphage. Je trouve que c'est une jolie promesse d'avenir.


One day, all this will be yours...