Une journée historique, en quelque sorte, pour le cyclisme tricolore, ébloui par l’incroyable aventure en jaune de Voeckler mais toutefois à court de victoire depuis trois semaines ! Il aura fallu la persévérance du talentueux Pierre Rolland, malgré tout le travail accompli au service de Voeckler, pour forcer le destin et couronner l’une des révélations de la course. Une réussite insolente, aussi, pour l’équipe Europcar de Jean-René Bernaudeau, battu lui-même de quelques centimètres par le Hollandais Winnen, en 1983. « On gagne où s’écrit l’histoire, c’est émouvant ! C’est une équipe qui va bien» a-t-il déclaré après l’arrivée.
Il n’empêche qu’après les Pyrénées et la traversée des Alpes on ne sait toujours pas qui va gagner ce Tour de France 2011 à deux jours de la fin ! Certes, la hiérarchie a été corrigée au profit d’Andy Schleck, désormais leader malgré un nouveau coup de force avorté avec Contador en début d’étape. Fatigués, comme tous les rescapés de cette 98ème édition, les favoris n’ont finalement pu se départager sur les 21 virages de cette ascension réputée. Cerné de près par les frères Schleck, pris en sandwich par ses deux derniers rivaux directs, Cadel Evans jouait gros. Mais il a fait face avec détermination dès les premières rampes. En fait, c’est lui qui a pris l’initiative. Puis, tout au long des 14 km d’ascension, alors que Voeckler perdait pied, aucune attaque d’envergure n’est venue cette fois le déstabiliser. Mieux même, les frangins luxembourgeois, sérieusement émoussés, l’ont emmené dans un fauteuil, sur un rythme régulier qui a permis à plusieurs opportunistes de se dégager.
Parmi eux, Alberto Contador. Parti à 12 km du sommet, l’Espagnol a repris dans un premier temps Hesjedal et Pierre Rolland, échappés depuis la fin de la descente de la vallée de la Romanche. Un raid solitaire qui aurait dû lui permettre d’effacer son échec du Galibier. Mais Contador a nettement fléchi sur la fin. A 2 km de la ligne, il a même vu revenir sur lui Rolland et son compatriote Samuel Sanchez, sorti du groupe Schleck-Evans qui plafonnait. Un signe qu’on était loin des records de l’époque Pantani-Armstrong ! Ce qui a permis à Pierre Rolland de distancer les deux Espagnols et de profiter d’une situation inespérée pour signer le plus beau succès de sa carrière. A 24 ans, l’avenir lui appartient et il faudra s’en souvenir les saisons prochaines.Un final à haute tension, et à rebondissements, comme la veille. Une étape courte mais prestigieuse et un terrain idéal pour Contador, en quête de réhabilitation. Bête blessée, l’Espagnol avait l’esprit revanchard. Dès le col du Télégraphe, après dix kilomètres, il mettait le bazar dans la course. Une attaque cinglante à laquelle seul Andy Schleck pouvait répondre. En revanche, pas de Cadel Evans, toujours lent à mettre en route et confronté à une nouvelle situation très préoccupante alors que l’écart allait monter à 2 minutes dans le col du Galibier. Un nouveau coup de folie de la part de Contador et Schleck qui mettait le feu au Tour !
Alerte rouge pour l’Australien, obligé de rameuter sa troupe et de retrousser les manches. Inquiétude aussi pour Voeckler qui se lançait tout seul dans une contre-attaque suicidaire. Le maillot jaune, au courage, revenait à 25 secondes du duo Contador-Schleck qui collaborait étroitement. Mais à l’impossible nul n’est tenu et Voeckler, en sur-régime depuis plusieurs jours, consommait dans ce combat pathétique des forces qui allaient cruellement lui faire défaut sur les pentes de l’Alpe d’Huez. Parvenu au point de rupture sur le plan physique, il était repris et même distancé avant le sommet.
Il aura fallu soixante kilometres de poursuite intense via le Galibier pour qu’Evans, bien vite privés d’équipiers mais soutenu par quelques alliés de circonstance, parvienne à effacer l’ardoise avant le pied de l’Alpe d’Huez et à annhiler cette offensive qui aurait pu lui faire tout perdre. Durant de longues minutes, l’Australien a senti passer le vent du boulet mais en définitive, et grâce au chrono final, c’est encore lui qui semble le mieux placé pour inscrire son nom au palmarès. A moins que les frères Schleck ne créent la sensation et lui enlèvent ses dernières illusions ?
Bertrand Duboux