Baissez les charges
Bertrand de Taisne
Une fois établies les grandes lignes du plan de redressement, il faut traquer les charges qui ne contribuent pas à son succès. Le plan de licenciement, les cessions d’immobilisations, les fermetures d’activités et les abandons d’investissements doivent être décidés en ligne avec la stratégie choisie. Pas question évidemment si on est un restaurant qui décide une stratégie de montée en qualité de se séparer de son excellent chef de cuisine, même s’il est cher
Le poste salaires représente pour beaucoup d’entreprises un poste majeur. Pas d’état d’âme, pas de faiblesse. Mieux vaut quelques collaborateurs au chômage que la liquidation de l’entreprise qui les y mènerait tout aussi sûrement….Le dicton : « Les hommes et les femmes sont la plus grande richesse de l’entreprise » est faux dans sa candeur. Le vrai dicton devrait être « Les bons hommes et les bonnes femmes sont la plus grande richesse de l’entreprise ». « Bon » et « bonne » signifiant ceux et celles qui ont les compétences et le comportement souhaité, qui ont cette vision positive et qui, attachés à l’entreprise, vont vouloir tout mettre en œuvre pour la sauver. Discernement et courage… qui a dit que le métier de chef d’entreprise était facile ?
À vous de proposer au personnel, et notamment aux cadres une modification de leur contrat de travail avec une baisse de rémunération. Vous ne pouvez bien entendu pas l’imposer, mais votre exemple sera un atout indiscutable et efficace. Àcharge de revenir aux conditions antérieures dès que la situation de l’entreprise le permettra, en instituant une clause de retour à meilleure fortune. Ayant à choisir entre une baisse temporaire de rémunération et un licenciement économique, beaucoup des cadres passeront le pas.
À propos de la politique salariale, il est fréquent que les augmentations ou primes récompensent avant tout la bonne performance du collaborateur sur la période écoulée. Ceci s’explique par une volonté de justice de la part de la direction, mais ne va pas forcément dans l’intérêt de l’entreprise. Une augmentation affecte l’année qui s’ouvre, mais également toutes les suivantes. La bonne performance d’une année risque de coûter très cher sur la durée !
Une meilleure approche est de considérer les augmentations et bonus comme des investissements dans l’avenir. Cette personne, parce que j’investis en elle, génèrera une valeur supérieure. Vues de l’extérieur, ces deux approches se ressemblent, mais elles sont fondamentalement différentes. Vous pouvez ainsi communiquer à vos collaborateurs que l’entreprise a tout à gagner à ce qu’ils se développent personnellement et professionnellement, et que la politique d’augmentation salariale reconnaîtra les personnes les plus actives de ce point de vue.Apprentissage de nouvelles langues, spécialisations techniques, MBA, cours du soir doivent déboucher sur une vraie différentiation salariale. L’entreprise à tout à gagner à une montée du niveau de son personnel.
Il est également temps de remettre en question votre politique achats. La mise en concurrence des fournisseurs est une recette qui marche. Pour cela, laissez-les faire ce qui est plus de leur ressort que du vôtre. Les constructeurs automobiles ont bien compris que leurs fournisseurs de rang 1 sont plus compétents sur les systèmes qu’eux-mêmes. Au lieu de commander un système qu’ils auraient développé, les constructeurs définissent une fonction et un coût objectif. Le fournisseur vient avec ses propositions, qui sont validées par le client. Ce dernier évite donc au maximum les pièces qui lui seraient spécifiques, toujours coûteuses, et se décharge du développement sur son fournisseur. Ce dernier est libre de développer les solutions à plus faible coût, et les deux parties sont gagnantes.
Bien entendu le service achat passera à un système de bonus suivant le même principe que celui des commerciaux. La difficulté ici consistera à mesurer d’une façon indiscutable les économies d’achat générées. Une concertation avec le responsable achat et le directeur financier devrait permettre de fixer des règles qui ne soient pas ouvertes à discussion.
Les achats vont jouer un rôle de premier plan dans la baisse du prix de revient. Comme pour tous les autres départements de l’entreprise, vous aurez fixé un objectif de baisse des coûts et imposé son rythme. N’hésitez pas par ailleurs à envoyer vos acheteurs visiter les salons professionnels, malgré le coût de ces déplacements. Ils en reviendront avec une mine d’idées nouvelles pour baisser les coûts.
Adaptez les capacités
Un des points clés du plan de redressement doit être l’adéquation entre capacité de production et volume de production réel. Théoriquement, votre production doit tourner à 100 % de ses capacités. Dans ce cas, l’absorption des charges fixes est optimale. Dans la pratique, il est préférable d’atteindre 80 %, ce qui laisse 20 % de capacité non utilisée pour les opérations de maintenance et les imprévus. Tel est très rarement le cas. Il est fréquent que les unités de production tournent à moitié charge. Remonter à 75 % est un minimum. Pour cela, comme il n’est en général pas possible d’augmenter le volume de vente en gardant une marge raisonnable, il convient de fermer des lignes ou même des sites de production. En clair, il vous faut lancer un plan de licenciement doublé d’un plan de cession d’actifs inutilisés.
Utilisez la rupture conventionnelle du contrat de travail
Certains des salariés de ‘entreprise peuvent être tentés par un départ volontaire : proximité de la retraite, projet personnel, propositions d’emploi à l’extérieur…Les possibilités traditionnelles de rupture d’un CDI (départ négocié, licenciement…) se sont enrichies depuis la loi de modernisation du marché du travail de la rupture conventionnelle.
Cet accord amiable entre le salarié et l’employeur ne peut être imposé par l’une ou l’autre des parties.
Le principal avantage du point de vue du salarié est qu’il peut percevoir les indemnités Assedic, alors qu’une démission ne lui ouvrirait pas ce droit.Pour l’employeur, c’est un moyen rapide, non conflictuel et souvent économique de réduire le nombre des employés, et, par là, la masse salariale.
Le salarié et l’employeur, qui peuvent se faire assister comme pour une procédure de licenciement, négocient un accord qui va être concrétisé par une convention écrite. Celle-ci va mentionner la date de cessation du contrat et le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (qui doit être supérieure à 1/5e de mois de salaire par année d’ancienneté plus 2/15e de mois par année au-delà de 10 ans).Cette indemnité bénéficie des mêmes exonérations fiscales et sociales que l’indemnité de licenciement.La convention peut être dénoncée par l’une ou l’autre des parties dans un délai de quinze jours suivant la signature.
Passé ce délai, elle doit être envoyée à la direction départementale du travail qui a alors quinze jours pour la vérifier et l’approuver.Passé ce délai, elle est réputée approuvée. Le contrat prend fin au plus tôt le lendemain de l’homologation formelle ou implicite de la direction départementale du travail.Quand la rupture conventionnelle concerne un salarié protégé, l’inspection du travail doit également donner son accord.
Attention, soyez très prudent si vous envisagez des licenciements économiques dans les mois qui viennent.En effet, l’inspection du travail peut à posteriori considérer ces ruptures conventionnelles comme des licenciements économiques déguisés, et les réintégrer dans ces derniers, ce qui serait coûteux à la fois en termes financiers et en terme de crédibilité pour l’entreprise.
Utilisez si besoin le chômage partiel
Pour réduire la voilure, vous devez penser à diminuer la masse salariale, et un plan de licenciement peut s’imposer.Mais il existe également une solution qui permet de réduire temporairement les charges salariales sans laisser partir des collaborateurs dont vous aurez besoin dans un avenir proche.Il s’agit du chômage partiel, souvent appelé chômage technique.
Cette mesure correspond à une baisse temporaire d’activité imputable à la conjoncture économique ou à certains événements particuliers : difficultés d’approvisionnement en matière première ou en énergie, sinistre ou intempéries exceptionnelles, transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise ou autre circonstance exceptionnelle.Elle ne concerne que les non cadres de l’entreprise (les cadre n’étant pas au salaire horaire n’entre pas dans la population cible).Elle peut concerner tout ou partie du reste du personnel.
Le principe, renforcé par la volonté politique de Nicolas Sarkozy, est qu’il faut mieux pour la nation suspendre temporairement des emplois que procéder à des licenciements.Le système est financé par le salarié, qui voit sa rémunération baisser sur la période, l’employeur, qui prend à sa charge une partie des salaires, et l’état, qui apporte plusieurs allocations spécifiques.
Le chômage partiel peut concerner une réduction partielle d’activité ou un arrêt total pendant une certaine période.
Depuis le 1er janvier 2009, pour les entreprises relevant de l’accord du 21 février 1968 (commerce, industrie…), le salarié en chômage partiel reçoit une rémunération égale à 60% de sa rémunération brute (50% auparavant) avec un minimum de 6,84 euro par heure.Cette somme inclut le montant de l’allocation spécifique de chômage partiel, le reste étant pris en charge par l’employeur.Les allocations de chômage partiel sont exonérées de cotisation de Sécurité Sociale, mais sont soumises à la CSG et à la CRDS.
L’allocation spécifique de chômage partiel versée par l’état pour chaque heure de travail perdu est de
§3,64 euro dans les entreprises de moins de 250 personnes
§3,33 euro dans les autres.
L’état prend à sa charge ces allocations dans la limite d’un contingent ne dépassant pas 800 heures (600 auparavant), voire 1.000 heures pour certaines industries.Les allocations de chômage partiel sont versées à l’employé à échéance normale de la paye.
Afin d’obtenir le remboursement par l’état de l’allocation spécifique de chômage partiel, le dirigeant doit préalablement :
§épuiser les RTT patronaux
§consulter les représentants du personnel et obtenir leur avis écrit (cet avis est donné à titre consultatif seulement)
§Adresser une demande préalable au directeur départemental de travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) qui doit notifier sa réponse dans un délai maximum de 20 jours
Enfin, l’employeur doit communiquer à la DDTEFP les états nominatifs de remboursement aux salariés.
Dans les cas résultant d’un sinistre ou d’intempéries exceptionnelles, l’employeur prend la main.Il dispose en effet dans ce cas d’un délai de 30 jours pour adresser sa demande à la DDTEFP.Il peut donc placer les salariés en chômage partiel avant de demander l’autorisation à la DDTEFP.A lui de s’assurer que la situation entre bien dans le cadre défini par la loi.
Prenons le cas d’une entreprise ayant cinq employés au salaire horaire et décidant de chômer une journée par semaine (30 heures par mois).
Nom
Taux horaire
Indemnité à verser
Allocation spécifique
Économie (entreprise)
Baisse de rémunération
Aubert
9,37
205,20
109,20
311,60
22,04
Baron
14,80
222,01
109,20
531,01
111,00
Chapon
13,07
205,20
109,20
472,46
88,83
Dominique
12,60
205,20
109,20
452,27
78,39
Edouard
10,02
205,20
109,20
339,87
20,25
TOTAL
1042,81
546,00
2.107,21
Dans ce cas, l’entreprise bénéficie d’une réduction de 2.107,21 euros de charges salariales mensuelles.Les employés, eux, perdent entre 20,25 et 111,00 euros nets dans le mois, soit entre 1% et 5% de leur salaire net, ce qui est douloureux, mais pas tragique.