Au cœur de l’île de la Cité, considérée comme le berceau de la ville de Paris, le promoteur Immorose Prestige nous convie à un véritable « Paradis au cœur de Paris », comme il est dit dans la vidéo de présentation du projet. (Voir la vidéo)
Contre une « Eurodisneyisation des capitales »
Site internet, cartes d’invitation, dossier de presse, invitation de journalistes devant la tour Saint-Jacques, vidéo à l’appui et voix « off » entraînante sur une mélodie qui semble sortie tout droit d’un film de Francis Veber : tout a été fait pour que le projet fasse plus vrai que nature.
En réalité, derrière cette intrigante agence mêlant « immobilier » à « morose », se cache le collectif artistique H5. Connu notamment pour son court-métrage « Logorama » récompensé en 2010 aux Oscars, cette équipe de graphistes iconoclastes avait déjà créé l’évènement en 2007 au cœur de la Nuit Blanche parisienne en transformant l’Hôtel de Sens (abritant la bibliothèque Forney) en gigantesque centre d’affaires.
Les réactions sont immédiates et la mairie du IVe arrondissement n’a même pas le temps de dire « ouf » que son standard explose déjà sous les appels furieux des habitants.
Quatre ans après, le groupe remet le couvert et va même jusqu’à organiser une fausse conférence de presse en forme de canular. Les journalistes sont présents et les bloc-notes frétillent face aux premières déclarations d’Aldric Beckmann, architecte du cabinet Beckmann N’Thépé et associé au projet :
« Nous voulons un Paris équilibré, qui choisisse son environnement urbain. »
Car ce faux projet architectural met en exergue une peur. Celle de voir Paris, selon les propres mots de H5, « devenir une ville pour riches, un îlot pour fortunés ».
« Par ce projet, on pouvait prendre la parole »
Contacté par Rue89, le collectif H5 précise l’origine du projet :
« C’est un projet qui trouve sa source en 2007 lorsque la mairie de Paris nous a invité à investir la bibliothèque de Forney. Intitulé “Renaissance”, le projet a beaucoup choqué les habitants et plusieurs personnalités comme Michel Piccoli sont mêmes venues sur place. »
Pour H5, cette reconversion soudaine est un premier pas vers une prise de parole. Le collectif ajoute :
« Les réactions ont été telles que nous avons décidé de reprendre cette idée quand on a entendu parler des projets de l’AH-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) autour de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu.
On s’est rendu compte qu’avec ce faux projet immobilier, on pouvait prendre la parole et donner notre point de vue de citoyens. On en a parlé avec nos amis architectes et on a décidé de pousser le bouchon plus loin en remodelant entièrement l’île de la Cité. »
La remise en cause de l’évolution de l’Hôtel-Dieu
Sur le site de la mairie du IVe arrondissement, qui supporte le projet du collectif, est exprimée une véritable remise en cause du projet de l’AH-HP à l’égard de l’Hôtel-Dieu, hôpital le plus ancien d’Europe :
« Comment ne pas voir dans cette démarche un écho à la décision de la directrice de l’AP-HP de transformer l’Hôtel-Dieu en un vaste pôle administratif, cela afin de vendre au plus offrant les immeubles libérés par le siège […] ? »
En effet, en mars dernier, la directrice générale de l’AP-HP annonce une réorganisation de l’hôpital : ses services d’hospitalisation et de chirurgie ambulatoire vont être transférés à l’hôpital Cochin et, à l’avenir, l’AP-HP aura son siège à l’Hôtel-Dieu.
A l’AP-HP, on se défend de vouloir vendre l’Hôtel-Dieu, justifiant cela par des « simples transferts de services » et en affirmant que la vente des bâtiments qui abritent aujourd’hui le siège « n’a aucun rapport avec l’Hôtel-Dieu ».
« Je trouve ça purement scandaleux »
Pour Ludovic Houplain du collectif H5 :
« Ce faux projet Immorose Prestige, c’est la logique vers laquelle l’Hôtel-Dieu se dirige, poussée à son paroxysme. Lorsqu’une logique financière s’en mêle, c’est vers cela que l’on se dirige. »
Décriant le manque de transparence autour des opérations immobilières de l’Hôtel-Dieu, Ludovic Houplain précise que les citoyens doivent avoir leur mot à dire à propos de l’architecture de la ville de Paris. « C’est ce que nous avons fait », conclut t-il.
Quelques mois après la polémique sur le sort de l’Hôtel de la Marine, le collectif d’artistes essaye de lancer un débat public mais n’a pas reçu que des soutiens. Quand on quitte le groupe de graphistes et qu’on on leur demande quel serait leur « Paris paradisiaque », ils répondent :
« On sait juste que si Paris deviendra un jour ou l’autre une image de notre faux projet immobilier, ce ne sera pas possible pour nous. »
Voir l’article sur Rue89.
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