Le meilleur des mondes ?
Abondance de richesse, pléthore de produits: la société de consommation a comblé le vide laissé vacant par la disparition du sacré, et promet, à défaut de donner un sens à la vie, d’atténuer l’angoisse d’une vie privée de sens par la jouissance de la consommation. L’acte d’achat est un acte hédonique, et en ce sens, lénifiant.
À ce régime-là, nous devrions nager dans une mer de joie, un océan de félicité, un bain moussant de béatitude infinie.
Paraphrasant le koan zen, la société de consommation clame haut et fort, d’affiche en réclame, de spot TV en buzz internet que « jour après jour, c’est un bon jour ».
Et en effet, jamais dans l’histoire de l’homme on n’a produit tant de biens, jamais la richesse générale ne s’est autant accrue. Les technologies se développent chaque jour, les échanges entre les pays et les peuples se démultiplient.
Le monde est devenu un village pierre et vacance planétaire, et les progrès des transports et des télécommunications amplifient les relations économiques, financières, culturelles entre les sociétés humaines.
Bref, aucune raison de s’inquiéter. Puisqu’on vous le dit!
Voici la lecture officielle, matraquée par les médias et nos élites.
La réalité de chaque jour est différente. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ne permettent l’accès qu’à l’information que laissent filtrer les médias mainstream. Les peuples ne se connaissent pas mieux —et à force d’être mêlés par obligation, ont de moins en moins envie de se connaître—, et les recherches les plus modernes montrent les effets de territorialisation des recherches internet: jusques et y compris sur le web, l’accès l’information se restreint dans l’écrasante majorité des cas à l’information en provenance du pays d’origine (et même de la région d’origine) de celui qui lance cette recherche. Un effet lié autant à la gestion des moteurs qu’à la tendance « innée » de l’homme à se raccrocher à son territoire.
Les révolutions arabes nous montrent que l’idée que nous pouvons nous faire des peuples et de leurs régimes tient plus du cliché que de la vérité.
L’emballement dément du néolibéralisme, libéré de ses freins par la chute du mur de Berlin, l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la guerre froide entraîne des conséquences inquiétantes, depuis le changement climatique jusqu’à l’explosion des inégalités, l’enraiement de l’ascenseur social, la socialisation des pertes et la privatisation des gains. Nous constatons chaque jour l’accroissement des injustices, la destruction de nos services publics. Nous vivons chaque jour les effets de la crise, et l’image des souffrances infligées au peuple grec (pourtant deux fois moins endetté que, mettons, le peuple japonais —qui a su cependant refuser de placer son financement et son avenir sous la coupe de la loi des marchés—) nous rappelle chaque jour douloureusement qu’après le faste, puis les restrictions, puis le déclassement, la menace de la banqueroute plane maintenant au-dessus de tous les peuples européens.
Mais comment en est-on arrivé là?
Le monde n’a jamais été aussi riche, mais le monde n’a jamais été aussi dur et injuste.
Les crises se succèdent à un rythme effréné, le malaise s’étend, tandis que les traders, les coucous de l’espèce humaine, font la fête avec l’argent gagné grâce aux bonus, en spéculant sur la sueur, le sang et les larmes des peuples.
En marge des pharisiens qui continuent commes des horloges brisées de clamer la perfection de ce monde en niant la réalité de chaque jour, des voix s’élève sur toute la surface de l’échiquier politique Français pour dénoncer cet état de fait.
D’Arnaud Montebourg en passant par Asselineau et Dupont-Aignant, de Jean Luc Mélechon à Marine Le Pen, et malgré la diversité des analyses et des remèdes proposés, la pathologie identifiée se voit nommer: voici la Mondialisation, mère de tous les maux.
À la fin tu es las de ce monde ancien (Bergère ô Tour Eiffel…)
La mondialisation est un concept vieux… comme le monde. Au deuxième siècle avant Jésus Christ, Polybe, homme d’état grec, écrivait déjà du temps de la splendeur héllénique « Avant, les évènements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres ».
Cet « effet papillon » a été pensé et théorisé depuis plus de deux millénaires.
La problématique de la mondialisation actuelle, est que ce terme est devenu au début des années 1980 un concept politique avec un sens propre (celui que l’on souhaite faire passer auprès des peuples pour le justifier) et un sens figuré (le signifié réel).
Ainsi, la mondialisation est souvent exaltée comme une union des peuples, un « vivre ensemble » mondial qui libérerait les forces vives du progrès et de la civilisation au profit de tous.
En réalité, la mondialisation est un concept pensé et mis en application au travers du filtre de la doctrine capitaliste ultralibéral, qui se confond avec le capitalisme à l’américaine.
Résidence sur la terre
Jacques Adda (économiste israélien) la définit ainsi comme « l’abolition des espaces du monde au profit d’un espace mondial sous l’emprise d’une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des cadres physiques et réglementaires ». Selon l’OCDE, elle recouvre trois étapes :
• L’internationalisation, c’est-à-dire le développement des flux d’exportation ;
• La transnationalisation, qui est l’essor des flux d’investissement et des implantations à l’étranger ;
• La globalisation, avec la mise en place de réseaux mondiaux de production et d’information, notamment les NTIC (nouvelles technologies d’information et de communication).
La mondialisation actuelle, ce « processus géohistorique d’extension progressive du capitalisme à l’échelle planétaire », selon la formule de Laurent Carroué, est donc une idéologie – le libéralisme –, s’appuyant sur une monnaie – le dollar –, un outil – le capitalisme –, un système politique – la démocratie, au moins de surface –, et une langue – la langue anglo-saxonne.
Aujourd’hui, les décisions politiques sont prises à un niveau supranational, dans le cadre d’Institutions financières telles que la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International, et au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce. L’Union Européenne participe du dépouillement de la souveraineté des peuples par des institutions dont la légitimité est contestable, puisque les élus des différentes nations la constituant se sont progressivement désaisis des prérogatives régaliennes des états au profit d’une oligarchie de technocrates européens (déjà dénoncée en 1992 par Philippe Séguin dans un discours poignant à l’assemblée Nationale au moment de Maastricht), dont les décisions sont guidées par la doctrine ultralibérale. L’ensemble de ces institutions, qui ont conquis une place centrale dans les orientations financières et économiques mondiales, et par ce biais, politique, sont de plus en plus identifiées par les peuples et mises en accusation pour les effets délétères de leurs décisions, caractérisées par leur opacité et leur illégitimité, dans la mesure où la volonté des peuples n’est plus respectée. La Banque Mondiale et le FMI, censés lutter contre la pauvreté, sont accusés d’aggraver la situation des pays pauvres en leur imposant des choix extrêmes qui organisent le pillage de leurs populations. Quant à l’Organisation Mondiale du Commerce, elle, impose progressivement et avec l’aide active des élites dirigeantes du Nord, des normes qui privilégient les intérêts privés sans considération pour les droits et le bien-être des populations.
De son côté l’ONU, l’Organisation des Nations Unies, qui regroupe les gouvernements en vue du maintien de la paix, peine à faire appliquer certaines résolutions du Conseil de sécurité ou les textes de droit établis sous sa responsabilité du fait de la mauvaise volonté croissante de nombreux États.
La mondialisation actuelle, essentiellement régie par des intérêts privés, est rendue d’autant plus violente qu’elle est caractérisée par une « dérégulation » totale (la disparition des cadres législatifs antérieurement édifiés afin de protéger les peuples). Les gouvernements, en effet, ne cessent d’abaisser les différentes formes de contrôles et de règles qui pourraient encadrer les activités économiques (entamant paradoxalement leur raison d’être même). Ceci a des conséquences sociales, humaines, environnementales, dramatiques. On voit s’accroître, à l’échelle planétaire, des formes de concurrence déloyale entre les travailleurs organisées par les pouvoirs financiers: le dumping social. Les intérêts privés mettent directement en concurrence des travailleurs européens venant de pays aux niveaux de vie très différents, ou des travailleurs européens avec des travailleurs venant des pays du tiers monde. Au lieu de pousser les entreprises à respecter les règles de l’Organisation Internationale du Travail, l’absence de contrôle vise au contraire à s’en affranchir. Et si les entreprises, notamment les multinationales, ont une grande responsabilité, la connivence des dirigeants pratiquant la doctrine du moins-disant social achève de créer les conditions d’un recul général des acquis sociaux liés au progrès. D’autre part, la globalisation de ce qu’on appelle « l’économie criminelle » (drogue, corruption, blanchiment d’argent, criminalité financière, travail clandestin) s’explique aussi par la multiplication des opportunités qu’a entraîné la libéralisation financière dans le sillage des opportunités devenues « légales ».
Devant cet avènement d’un nouvel âge obscurantiste, l’explosion rapide (en 30 ans) des injustices (la moitié de l’humanité réside sur 3 % des terres émergées, la moitié de la richesse mondiale est produite sur 1 % des terres, les 10% les plus riches possèdent 80% des richesses mondiales…) liées à une fiscalité mondiale avantageant toujours plus les possédants, une réponse se doit d’être trouvée. Et devant l’échec de la tentative de destruction des contours des nations afin de créer des territoires globalisés (l’Europe en est le prototype), cette réponse doit s’appuyer sur un socle géographique qui fasse sens.
Éloge de la souveraineté
« Vieille France accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau! » — De Gaulle
Défaire pour refaire
Mais qu’est-ce que la démondialisation? Démondialiser c’est en premier lieu limiter le « libre » échange, à travers la relocalisation de la production et des emplois et le retour à un protectionnisme ciblé via des droits de douane, qui aura pour conséquence non négligeable de permettre de rationaliser l’usage fait des ressources de la planète. Démondialiser implique ensuite de définanciariser l’économie mondiale via la re-régulation de la sphère financière et la réintroduction de contrôles des flux de capitaux, de façon à réinstaurer une véritable politique de civilisation appuyée sur la souveraineté des peuples, étayée à partir d’espaces géopolitiques qui fassent sens.
Comme il est devenu maintenant apparent, la doctrine libérale n’a rien eu de plus pressé que de déclarer l’espace national dépassé et de promouvoir les transformations structurelles (déréglementations en tout genre) susceptibles d’inscrire cette affirmation dans la réalité. L’histoire des XIXe et XXe siècles a donné suffisamment de raisons de se méfier de l’hypertrophie hors sol du principe national érigé comme une fin en soi qui a pour nom « nationalisme ». Elle n’a cependant produit aucune conception opératoire alternative de la souveraineté politique. C’est pourquoi, décrédibilisant par une rhétorique fallacieuse l’idée de nation, le libéralisme détruit du même coup celle de souveraineté, en prenant bien soin, signe de sa parfaite hypocrisie, d’éviter toute reconstruction d’une souveraineté susceptible de contrebalancer le pouvoir des marchés financiers à des échelles territoriales élargies (supranationales, voir mondiale). Car l’idée de nation souveraine pourrait fort bien être étendue au-delà des ensembles territoriaux et culturels où elle a d’abord trouvé naissance, pour embrasser des ensembles autrement composites mais rendus cohérents par la mise en commun d’un destin — cela même qu’on appelle souveraineté —, extension au terme de laquelle il deviendrait plus clair que souveraineté et nation, c’est en fait un tout, et que l’une n’est qu’un autre nom de l’autre. C’est même une idée agitée comme un leurre dans le débat public lorsque les peuples ont des velléités de vouloir se ressaisir de leur souveraineté: « il faudrait créer une gouvernance mondiale… »: ce serait une possibilité souhaitable en effet, mais qui restera du domaine du vœu pieu, tant l’abus de pouvoir fait partie intégrante de l’ADN du capitalisme, et tant il est improbable que les marchés financiers choisissent de renoncer eux-mêmes à une partie de la puissance qu’ils ont acquise de haute lutte par la ruse.
Que ces ensembles nationaux ou supranationaux constitués en corps politiques délibèrent, fixent leurs règles et les fassent appliquer, c’est ce dont le néolibéralisme ne veut à aucun prix. On l’a beaucoup laissé faire jusqu’ici, et la question est de savoir jusqu’où on le laissera aller encore.
S’il est permis de solliciter de nouveau l’histoire récente, il y aurait vraiment lieu de se méfier des mouvements de reconstitution violente des souverainetés quand elles ont été trop agressées — car la souveraineté peut aussi se donner les formes les plus haïssables. Or on ne peut pas tout à fait exclure que, après deux décennies d’érosion, de déclassement, de violences sociales et d’agressions continues, on commence à se rapprocher dangereusement de l’un de ces points critiques. Aussi l’idée d’une reconquête ordonnée et salvatrice offre-t-elle une perspective politique qu’on pourrait juger diablement intéressante, peut-être même urgente…
Pour qu’une démondialisation humaniste remplace la déshumanisation de la mondialisation
Elle a bien sûr dans un premier temps l’inconvénient d’épouser toutes les apparences du passéisme en promouvant l’idée de nation tant raillée par le néolibéralisme et tous ceux qui, à gauche, estiment utile de lui apporter leur concours (François Hollande, Martine Aubry…), mais au prix de cette réduction qui la fait concevoir comme un ersatz d’elle même et toujours dépouillée de son corrélat pourtant essentiel : la souveraineté nationale — il faudra bien un jour que tous ces braves gens disent si, désireux de reléguer la nation aux oubliettes de l’histoire, ils veulent y faire également disparaître l’idée salvatrice de souveraineté.
A moyen terme en tout cas, il est possible de préférer le « passéisme » —du point de vue des ultralibéraux— de la reflexion politique, dans laquelle les arbitrages de l’endettement public seraient de nouveau faits sien par la nation qui retrouverait prise sur l’avenir de son peuple, à un monde mondialisé hallucinant de modernité autant que d’injustice et de cynisme, dans lequel ce sont les marchés de capitaux qui fixent la dîme prélevée sur la richesse nationale par des banquiers des quatre coins du monde.
Et il est possible de trouver quelque valeur à cette conclusion somme toute assez simple : si la mondialisation n’est en définitive pas autre chose que la dissolution des souverainetés par la marchéisation de tout, alors démondialiser c’est repolitiser en se réappropriant la chose publique, la res publica. La révolution de la démondialisation mène au renouveau de la République!