Un avocat d’Islamabad vient de déposer plainte contre l’ancien conseiller juridique de la CIA, qui a approuvé les frappes de drones. Il s’appuie sur des clichés pris par un photographe pakistanais.
Publié dans le Figaro le 21 juillet
Emmanuel Derville
Les policiers d’Islamabad viennent de recevoir un document peu ordinaire. Shahzad Akbar, avocat au barreau de la capitale, a déposé une plainte de 14 pages contre John Rizzo, ancien conseiller juridique de la CIA. Il fut l’un de ceux qui a approuvé les bombardements de drones dans les zones tribales pakistanaises, en particulier au Waziristan. Il avait détaillé son travail dans une interview à Newsweek publiée en février. Connu pour abriter des talibans et des mouvements terroristes, le Waziristan est la cible d’avions sans pilote Predator depuis 2004. La New America Foundation, un centre de recherche basé à Washington, a calculé que les frappes ont tué entre 1.579 et 2.490 personnes, parmi lesquelles 297 à 475 civils.
Cliquer pour visualiser le diaporama.Pendant 4 ans, Noor Behram, journaliste et photographe amateur du Waziristan, a parcouru les sites des explosions. Il en a couvert une soixantaine. Son dernier reportage date du 15 juin. « Lorsque je suis arrivé près d’un village qui avait été bombardé, les habitants avaient bloqué la route avec les cadavres, détaille cet homme de 39 ans. Des morceaux de chair étaient répandus sur la chaussée. Ils voulaient montrer que les morts n’étaient pas des talibans, mais des femmes et des enfants. »
Ses images sont exposées à Londres depuis mardi. Certaines sont d’une violence insoutenable. Comme ce cliché d’un enfant de 7 ans, le haut du crâne tranché. Ou celle de son frère aîné, les cheveux en bataille, le visage couvert de sang et de terre. Selon Noor Behram, ils sont morts dans le bombardement de leur maison en août 2010. Shahzad Akbar utilise ces photos comme pièces à conviction. Difficile de les relier aux victimes des avions sans pilote. Alors pour conforter son argumentaire, le juriste s’appuie sur les témoignages de trois familles dont celle de Kareem Khan. Regard fier, teint hâlé et longue barbe noire, cet homme a perdu son frère et son fils le 31 décembre 2009. « Il était 21 heures. Ils étaient dans ma maison en train de prier lorsqu’un missile est tombé, raconte t-il. Je n’ai jamais su pourquoi ils étaient morts. » La New America Foundation publie un compte-rendu de chaque frappe à partir des informations fournies par les autorités américaines et pakistanaises. A propos de l’attaque du 31 décembre, elle ne mentionne que la mort d’un chef taliban. Officiellement, pas de dommage collatéral.
Kareem Khan n’a qu’une idée : se venger. Pour lui, c’est un devoir inscrit dans le code d’honneur de son ethnie, les Pachtounes. Mais comment ? « Nous n’avons pas d’arme pour abattre ces drones. Si les soldats américains venaient nous affronter en face, nous pourrions répliquer », regrette t-il. La justice est sa seule arme. Le combat s’annonce difficile. Shahzad Akbar veut que les autorités contactent Interpol et lancent un mandat d’arrêt international contre John Rizzo. De là à imaginer la police américaine interpeller un ancien agent de la CIA pour le livrer aux Pakistanais…
Copyright photo : Noor Behram
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