Tristane Banon peut-elle faire basculer le dossier DSK à New York ?

Publié le 21 juillet 2011 par Labasoche


David Koubbi, avocat de Tristane Banon, qui accuse Dominique Strauss-Kahn de tentative de viol, a indiqué qu’il n’était pas contre une audition de sa cliente par la justice américaine, après avoir rencontré mardi à New York des responsables du bureau du procureur Cyrus Vance. L’objectif est-il de consolider son propre dossier ? Est-il d’ajouter de l’eau au moulin du procureur américain ? « Il est normal que le procureur se renseigne sur le passé de l’accusé comme sur celui de l’accusatrice, pour être en mesure de prendre une décision de qualification sur la base de ces critères (prosecutorial discretion) », explique Stephen Dreyfuss, avocat au barreau de New York et ancien substitut du procureur de New York. « Mais le principe est que la cour de New York n’est compétente que pour des crimes et délits commis dans le comté de New York (île de Manhattan) », précise-t-il.

À ce stade, on ne sait pas encore si le procureur a l’intention d’introduire les témoignages d’autres femmes, dont celui de Tristane Banon, dans la procédure. Si tel était le cas, il est peu probable que le juge lui donne un blanc-seing. Les avocats de DSK chercheront probablement à écarter ces « preuves » d’actes criminels non compris dans l’acte d’accusation (uncharged crimes). En effet, dans la procédure criminelle américaine, la conduite passée de l’accusé ne peut en aucun cas influencer les jurés en leur faisant croire qu’il aurait une prédisposition à commettre ce type de crime. Cette règle a été énoncée par la décision new-yorkaise « Molineux » de 1901, dans laquelle le procureur évoquait le fait que l’homme accusé d’avoir empoisonné le directeur de son club de sport avait empoisonné une autre personne dans le passé. La cour d’appel a jugé qu’il « a(vait) franchi la ligne blanche » en essayant d’associer l’acte litigieux à des crimes antérieurs. L’accusé a ainsi pu bénéficier d’un nouveau procès. Mais la jurisprudence américaine est aujourd’hui plus nuancée.

Crime avec la même signature

L’introduction de « l’affaire Banon » et d’autres témoignages dans la procédure new-yorkaise engagée contre l’ex-patron du FMI dépendra des raisons justifiant leur place dans la procédure. « Une preuve peut être acceptée ou refusée selon la raison qui la fonde », décrypte Stephen Dreyfuss. Dans l’affaire « Molineux », le juge a estimé que la preuve d’un délit antérieur n’était pas recevable pour prouver la tendance (propensity) de l’accusé à commettre le crime pour lequel il comparaissait. Mais il peut exister d’autres raisons de relater des faits antérieurs, dont le but pourrait justifier leur recevabilité. Le juge pourrait, en effet, permettre au procureur d’introduire des témoignages dans son prosecution case, « si la défense de DSK entend démontrer le caractère non intentionnel des actes litigieux », présume Me Dreyfuss.

Face à une défense fondée sur le « malentendu » ou « l’erreur » sous-tendant la relation sexuelle, le procureur pourrait produire une série d’uncharged crimes pour prouver que l’attitude de l’accusé s’inscrit au contraire dans un common scheme ou plan. Il s’agit, en clair, de démontrer que d’autres actes sexuels imputés au même auteur portent la même signature, a fortiori si les victimes sont du même acabit que la plaignante et que les actes concernés sont proches dans le temps. « Dans le cas de Tristane Banon, la rencontre était prévue et acceptée, ce n’est donc pas le même cas de figure », doute Ron Soffer, avocat aux barreaux de Paris et de New York. « Le juge doit, en outre, veiller à ce que l’esprit des jurés ne soit pas pollué de manière démesurée par une preuve extérieure. Il devra donc peser la capacité de cet élément à détruire l’objectivité des jurés », ajoute Me Soffer. C’est donc la pertinence de l’incident relaté par Tristane Banon qui fixera le curseur de la recevabilité de son témoignage. D’autant qu’il n’est pas question de juger l’affaire Banon à New York.

Vers un procès rapide ?

Pour l’heure, « il n’est pas du tout sûr que le procureur se désiste volontairement de la procédure », pronostique Stephen Dreyfuss. « Si la défense maintient son refus de négocier un plaider coupable, je crois qu’il y aura un procès. » L’audience du 1er août, si elle n’est pas à son tour reportée, sera une audience de mise en état. C’est à cette date que la défense indiquera au juge quelles motions (requêtes) elle souhaite déposer sur la base des pièces communiquées par le procureur. Les avocats de DSK avaient, dans leur demand of discovery, réclamé tous les résultats des tests ADN, la liste des témoins, tous les documents, messages, photos et vidéos saisis à l’hôtel et au restaurant McCormick & Schmick’s, où DSK est allé déjeuner, juste après avoir quitté l’hôtel, avec sa fille Camille.

Le juge fixera alors un calendrier et une date de plaidoiries pour le dépôt des motions auxquelles le procureur devra répondre point par point. Certaines d’entre elles viseront probablement à écarter ou à limiter certaines preuves (motions to supress evidence), voire à écarter l’ensemble des charges (motion to dismiss). « Les avocats de DSK peuvent démontrer au juge qu’aucun jury populaire ne peut légitimement décider qu’il n’y a pas de doute raisonnable et qu’il ne peut donc y avoir un procès », présume Me Soffer. Le juge fixera aussi, le cas échéant, la date du procès.