Michel Rocard est un homme politique français atypique. Dans un milieu globalement assez médiocre intellectuellement, il est probablement un des rares a posséder une vision lucide de l'évolution de nos sociétés. Mais cette intelligence de l'analyse est, chez lui, mêlé à un piètre sens tactique. Démonstration autour d'un passionnant article publié dans le Nouvel Obs le 14 juillet sous le titre "Comment vaincre la crise". Analysons ensemble sa copie.
Commençons par distribuer les bons points: la première partie de l'article est une excellente analyse. Michel Rocard fait, trop rapidement à mon goût, le lien entre la crise et la disponibilité des matières premières et des aliments. Il est un des rares à comprendre que crise économique et crise écologique sont étroitement liées même si son analyse mériterait d'être approfondie. Il a compris que le chômage était un phénomène de masse qui touche toute l'Europe et les Etats-Unis. Il analyse avec finesse le piège de la dette.
Il est assez lucide pour ne pas se faire d'illusion sur la réforme de la finance mondiale. Il a la franchise de dire ce que les autres n'osent pas dire. Le multilatéralisme est un échec : les grands de ce monde, par égoïsme, par frilosité ou par conviction, ne feront rien collectivement.
Mais son article, hélas, révèle ses faiblesses dans la seconde partie consacrée aux solutions à cette crise. Là, l'élève Rocard peut mieux faire. Hanté par les défauts de la souveraineté nationale, il propose une "coalition de gouvernement" censés créer un noyau active luttant contre l'effet de serre et la finance internationale. Homme politique du XXeme siècle, il escompte ainsi retrouver l'esprit de la CEE de 1957 et espére un effet tâche d'huile qui a fait passer les Six créateurs de l'Europe à 25.
C'est une grave illusion: la seule solution est l'unilatéralisme. Les seuls pays qui s'en sortiront seront ceux qui comprendront que le problème de la crise est un problème de crise écologique, d'accès à des ressources fossiles et non-renouvelables sur lesquels nous avons basés notre développement économique. Seuls les pays qui mettront en place une économie de la durabilité des productions industrielles et alimentaires s'en sortiront. Et il y aura alors effet tâche d'huile quand les autres pays les imiteront.
Mal entouré et mal conseillé, Michel Rocard croit encore, dur comme fer, aux vertus du nucléaire. Il emploie les arguments habituels des nucléolâtres sur le nombre de morts mais oublie l'essentiel en notre monde où l'argent est roi: le nucléaire sera de moins en moins rentable et va coûter de plus en plus cher aux pays qui persisteront à l'utiliser. Sa vision du nucléaire est encore celle des technocrates énarques du siècle dernier qui n'ont pas vu venir l'essor des énergies renouvelables et l'importance des économies d'énergies.
Enfin, même si il a la lucidité de comprendre que le retour de la "grande" croissance est devenu impossible, il espère encore en une "petite croissance" pour lui nécessaire. Encore une fois, Michel Rocard est un homme dépassé : le credo de la croissance qui a bercé notre monde à partir des années 50 est un refrain d'un autre temps qui associe automatiquement prospérité matérielle, travail et croissance du PIB.
Terminons par un bon point : Michel Rocard parle avec bonheur du travail et du chômage. Il sait, lui, que la seule solution, à moyen terme, est la réduction du temps de travail et une meilleure répartition de celui-ci. Aujourd'hui, le coût croissant du chômage et de la précarité est à la fois direct (indemnités chômage, RMI, ...) et indirect (violence, santé, dépression, ...). Je suis d'accord avec lui sur l'idée que c'est la modulation des cotisations sociales, dans un cadre négocié, qui pourra le permettre.