Ce Billet a été concocté par LamSon, notre nouvelle recrue sur SSAFT. LamSon est post-doc en physique statistique, spécialisé dans les verres et les colloïdes. Il vit au Japon depuis 6 ans. Pendant son temps libre, il conçoit des jeux de rôle innovants sur internet qui apparaissent sur "Comme un Roman, l'association" (http://cur-asso.dyndns.org). Bienvenue dans l'équipe LamSon et que le Funk soit avec toi!
Avec le fabuleux billet de Taupo sur les iris, je trouve l'introduction parfaite pour venir contribuer à ce blog. On va essayer de ne pas faire baisser le niveau.
Mythologie plein les mirettes
Comme l'a si bien dit Taupo, Iris est une déesse grecque, messagère des dieux, portée par des ailes brillantes de toutes les couleurs réunies. De son nom découle l'adjectif irisé
, le phénomène de l'iridescence dont nous allons parler tout de suite, et bien sur le diaphragme coloré de notre œil. L'autre mot pour dire iridescence
moins poétique mais tout aussi grec est goniochromisme
qui, en plus de permettre de frimer en société, explique bien de quel phénomène il s'agit: Gonio
c'est l'angle (comme dans goniomètre) et "chromos" c'est la couleur ce qui nous donne "couleur changeant avec l'angle".
Mais assez de mots savants, et extasions-nous sur la beauté du phénomène. La fragilité des bulles de savons ...
... la nacre des coquillages ...
... les plumes des oiseaux...
... les ailes des papillons...
... et plus prosaïquement l'huile de moteur souillant la chaussée.
Physique de salle de bain
Mais alors, comment ça marche ? Imaginez une salle de bain avec des miroirs parallèles. La lumière se réfléchit sur un miroir, puis sur l'autre, puis sur l'autre, etc.
Mais quel est le rapport: vous n'avez jamais remarqué que votre reflet changeait de couleur dans le miroir. C'est parce que votre salle de bain est beaucoup trop grande! Si vous aviez un espace de quelques micromètre (millièmes de millimètres) entre les miroirs, vous commenceriez à voir des choses étranges. En effet, la lumière visible a une longueur d'onde de quelques centaines de nanomètres (d'environ 400 nm pour le violet à 800 nm pour le rouge en passant par 530 pour le vert). A cette échelle de longueur, on ne peut plus oublier que la lumière est une onde. Or, une onde ne peut avoir qu'un nombre entier de vagues
entre deux murs :
- un creux et une bosse
- ou alors un creux, une bosse, un creux, une bosse
- ou alors un creux, une bosse, un creux, une bosse, un creux, une bosse
- etc.
Pas possible d'avoir trois quart de creux et une bosse, ou un sixième de creux et cinq sixièmes de bosse. Voyons voir si vous avez deviné comment tout cela se combine. Si vous avez exactement 1 micron = 1000 nm entre deux miroirs parallèles, quelle est la couleur d'un rayon lumineux exactement perpendiculaire aux miroirs ? (réponse après le schéma)
Si on met une seule onde entre les deux miroirs, on a par définition une longueur d'onde de 1000 nm. Ce n'est pas visible (infrarouge). Si on met deux ondes, on a une longueur d'onde de 1000 nm /2 = 500 nm, soit un vert printemps. Si on met 3 ondes, on descend à 333 nm c'est à dire qu'on tombe dans l'ultra-violet. Du coup, la réponse est vert
pour les profanes et 500 nm pour les savant fous.
Maintenant, imaginez que le rayon lumineux fasse un angle de 30° avec l'axe des miroirs. Une sinusite aiguë nous apprend que la distance que la lumière parcourt entre les miroirs est alors deux fois plus grande (2000 nm), on peut donc avoir du rouge (3 longueurs d'onde de 667 nm), le même vert que tout à l'heure (4 longueurs d'onde de 500 nm) et du violet (5 longueurs d'onde de 400 nm). Bien entendu, ça marche avec n'importe quel angle : suivant l'angle de rebond de la lumière entre les deux miroirs, une ou plusieurs couleurs sont sélectionnées. Voilà l'origine du goniochromisme expliqué.
Du savon dans la salle de bain
La bulle de savon correspond exactement à la situation de nos miroirs de salle de bain, sauf que les miroirs sont incurvés. En effet, une bulle de savon est constituée d'une mince couche d'eau (l'enveloppe de la bulle) séparant l'air extérieur de l'air intérieur. Les deux interface eau-air jouent le rôle des miroirs en réfléchissant la lumière entre eux, mais en en laissant passer une partie, ce qui nous permet de contempler l'iridescence.
Remarque pour ceux qui suivent : il y a également une grande part d'interférences dans ce phénomène, comme décrit dans la page wikipédia en anglais, mais restons simples.
Un paon au microscope
Grâce à l'iridescence, de nombreux animaux se passent de pigment pour afficher leurs couleurs chatoyantes. Les plumes des paons par exemple présentes des structures périodiques qui agissent comme autant de miroirs de salle de bain.
Images de microscopie électronique à balayage et à transmission de plumes iridescentes de paon. A) Une barbe aux nombreuses barbules d'une plume bleue, B) plusieurs blocs de barbules au sein d'une plume bleue, C) section de coupe transverse d'une barbule de plume bleue, D) section de coupe transverse d'une barbule de plume jaune observée sous un plus fort grossissement, E) section de coupe transverse d'une barbule de plume bleue (transmission), F) section de coupe longitudinale d'une barbule de plume bleue. La barre d'échelle est de 1 micron pour D et de 400nm pour E et F.
Source : Yoshioka, S. and Kinoshita, S., Effect of macroscopic structure in iridescent color of the peacock feathers, Forma, 17, 169–181, 2002
Je vous laisse déjà digérer tout ça, et je vous parlerais surement des opales dans un prochain numéro.