Belair-ville brûle. On ignore la cause de cet incendie. Le narrateur observe passivement le bidonville qui flambe. Il n’est pas seul. Ils sont trois. Elle, lui et le dogue. Lui parle et dit ce qu’il voit de cette place centrale qui est son espace, son territoire, leur espace, leur territoire. Il voit la foule s’ameuter progressivement, venant des quatre coins de la ville. Impuissante, silencieuse, contemplative, avant de sombrer dans la panique. Les secours de l’état-mal-organisé tardent à venir. Elle, lui et le dogue garde une forme de stoïcisme, d’impassibilité. Ils sont les enfants de la préparation, de la réparation. Ils préparent leur bac. Ils sont dans la rue, avec ce chien de bonne race qui a déserté la belle villa où il était bien traité pour rejoindre ce couple qui marche libre et seul en sa compagnie dans la nuit de cette grande ville haïtienne. Ils doivent se préparer, ils doivent réparer. Ils passent le baccalauréat le lendemain. Ils ont plein de projet, bien que dans la rue. Ils marchent, elle, lui et le dogue. Ils s’éloignent de cet endroit de folie, de leur grande place refuge assaillie par les badauds venus des quatre coins voir le bidonville qui flambe.
Guy Régis Jr fait parler la jeunesse haïtienne, ou en tout cas une frange de cette dernière, un peu comme Gary Victor l’a fait dans son récent roman Le sang et la mer. Une jeunesse qui questionne les mythes fondateurs de ce pays, interroge les aïeux, ceux qui se sont battus. Une jeunesse qui n’a connu que cette misère actuelle et tenace, mais qui en s’instruisant doit faire face aux combats des anciens, s'y accrocher.
Et puisque dans nos livres, tout se règle par le feu, par les têtes coupées, ce que nous apprenons. Que cela se fasse et qu’on en finisse ! Que cela se fasse et que tout recommence après. Coupez les têtes ! Brulez ! Ce que disent les aïeux. Ce que nous nous disons restant ainsi, dans notre même posture qu’avant ce bruit, ce branle-bas infinis.
Deux écoliers sommes-nous. Fils et fille de la réparation. Fils et fille de la préparation, disent les gens. Nos têtes dans les livres : Brûlez ! Brûlez !
Pendant que les flammes elles se répandent vivement. Que leur fumée embue les nuages. Qu’elle force le ciel à se renfrogner sur Belair-ville. Ce bidonville furoncle. Ce large bidonville flagrant devient ne devient que ruine et délabrement. Brûlez ! Brûlez ! Brûlez pour arrêter d’enlaidir la ville enfin !Page 14, Edition Vents d’ailleurs.
En lisant, les premières pages, j’ai d’abord pensé que ce roman était une métaphore de ce tremblement de terre dévastateur qui à détruit Port-au-Prince et Léogâne en 2010. Mais, l’auteur a laissé en dernière page, une indication attestant que ce texte est de novembre 2006, donc prémonitoire d’une certaine manière. Cette jeunesse dont on ne sait pas grand-chose, questionne les mythes fondateurs haïtiens puis le duvaliérisme. Avant de se dévoiler progressivement, avant que l’identification du dogue, de la fille Elise, du narrateur Elisée se fasse pour le lecteur. Le propos devient une introspection, un ressenti de l’intériorisation de la violence que peut générer dans l’individu un tel système en déliquescence. Le lien entre elle, lui et le dogue, va leur permettre de faire face ensemble jusqu’à la prise du trophée des capitaux...
C’est un texte bouleversant qui se délite un peu sur la fin au niveau de l’écriture et de la densité du propos. Mais, Guy Régis Jr produit là un texte très fort, dérangeant, sans issue avec très peu dialogues. Parce qu’Elle, Lui et le dogue se comprennent sans dialogue. Ils se comprennent… Un livre à mettre entre les mains de ceux qui veulent comprendre le vécu des jeunesses du Tiers monde, loin du confort, de la liberté et des capitaux.
Guy Régis Jr, Le trophée des capitauxEditions Vents d'Ailleurs, 158 pages, paru en 2011
Voir la chronique de Remue.netGuy Régis Jr s'exprime sur les 5 questions d’Île en île Photo - copyright Patrick Fabre, 2009