Un récent article du journal La Presse de Montréal, dont la Une a occupé un tiers de page suivi des pages 2 et 3 dédiées à des projets farfelus jamais réalisés et proposés par on ne sait qui durant les années ’60 pour la métropole. En reproduisant la photo du maire d’alors, Jean Drapeau, quatre fois sur la Une et trois fois dans l’article, et en écrivant un texte tendancieux, l’auteur a clairement chercher à laisser croire que le maire voulait tous ces projets et visait à démolir tous les vieux quartiers montréalais, au nom du progrès.
De plus, en reproduisant les critiques de Richard Bergeron, chef du parti municipal Projet Montréal, à l’égard de maire Drapeau, l’auteur a voulu donner de la crédibilité à son texte du fait que Bergeron est urbaniste.
Dans toutes les villes du monde, il y a d’innombrables projets proposés par des urbanistes, architectes, promoteurs, groupes citoyens et politiciens. Beaucoup sont irréalistes et rejetés. Et c’est le cas de Montréal. On n’a qu’à voir le Montréal d’aujourd’hui pour se rendre compte que de bonnes décisions ont été prises. Certes, certaines erreurs se sont glissées, mais globalement ce fut un grand succès de planification et de développement.
En 1960, Bergeron avait quatre ans. Aujourd’hui, ses commentaires sur Jean Drapeau sont non seulement infondés mais aussi insultants et injurieux. Il dit : « Il y avait une espèce de honte de ce qu’on était avant. Cette honte c’était nos quartiers… on voulait tout démolir », « À l’époque tout était permis, on pensait que Montréal aurait 7 millions de personnes… il fallait se préparer à la construction de 150 tours. C’était ça, la vision de Drapeau ». En rapport avec le développement du métro, des études avaient été faites sur la base d’une population future de Montréal pouvant varier de trois, cinq ou sept millions. Évidemment, Bergeron, aujourd’hui, pour justifier son opinion, utilise l’option de sept millions, qui évidemment n’a pas été réalisée puisque Montréal n’en a que trois aujourd’hui, pour dire « C’est de la folie furieuse. Ils en fumaient du bon ! Il ne faut pas avoir une réponse excédant de 10 fois le problème posé… » Il dit n’importe quoi ce petit politicien !
Pour Bergeron, l’ennemi noir est l’automobile et il veut l’éradiquer des rues de Montréal. Son approche est simple : il faut tout faire pour embêter les automobilistes afin qu’ils décident de laisser leur auto à la maison et utiliser les transports en commun. Fini les sens uniques, les feux synchronisés, etc. Par exemple, dans l’arrondissement Mt-Royal où il est aux affaires son parti a changé sans avertissement normal, la direction d’une section de la grande avenue nord-sud Christophe Colomb pour casser sa fluidité. Le trafic est maintenant détourné vers une rue secondaire au grand dam de ses résidents, des automobilistes et des camionneurs.
Drapeau est arrivé au pouvoir en 1954. À cette époque, beaucoup de quartiers sont pauvres, sans espoir, délabrés, les maisons de chambres nombreuses, la population permanente en diminution. S’ils n’y avaient pas les paroisses où les gens du quartier se regroupent, la vie sociale serait nulle. La banlieue devient attirante. On y trouve des logements plus propres, mieux chauffés, neufs et les nouvelles familles qui commencent à gagner plus de sous y déménagent. C’est le cas de ma famille qui recherche une meilleure ambiance et qui déménage de St-Henri à Verdun.
Drapeau devient maire en 1954 et entreprend de délivrer Montréal du crime organisé. Il a été élu suite à la commission d’enquête sur le crime organisé où il a présenté avec Pax Plante plus de mille cent chefs d’accusation à l’endroit de 400 maisons de débauche, de 80 personnes, dont des membres du Comité exécutif de la ville de Montréal, et d’une soixantaine d’officiers de la police. Le 8 octobre 1954, le juge François Caron, président de la commission, dépose son rapport sur le jeu et le vice commercialisés à Montréal. Plus de vingt policiers sont condamnés à des peines de un à dix ans de prison et à des amendes variant de 200 à 7,000 dollars. Les chefs de police de Montréal, Albert Langlois et Fernand Dufresne, sont déclarés coupables. Défait en 1958, suite à l’intervention de l’Union Nationale de Duplessis, il redevient maire en 1960.
L'axe de la Place des Arts
Il est vrai que Drapeau a dû prendre de grandes décisions pour planifier la reconstruction de Montréal. La Place des arts est un grand exemple. Il s’agissait de construire une salle de concert digne de la métropole et le maire Jean Drapeau caressait ce projet dès son entrée en politique. Le choix du site fut fortement contesté. En effet, à cet endroit, se trouvait un orphelinat, sous le nom de l’Institut Dominique-Savio. Il s’agissait d’un bâtiment érigé en 1861, connu comme l’Institut Nazareth, également opéré comme orphelinat et foyer pour jeunes délinquants. Le bâtiment abritait une chapelle connue sous le nom de « Buissonnets ». La démolition de cet immeuble en 1960 pour faire place à la salle de concert, en même temps que plusieurs unités résidentielles adjacentes datant de la même époque, souleva l’ire de la population.
Jean Drapeau avait reconnu le potentiel exceptionnel de ce site. Pourtant, sa motivation première était de briser cette barrière économique de la rue Bleury qui séparait l’ouest de la ville où s’installaient les grands magasins, les édifices à bureaux, etc., alors que l’est de la ville faisait figure de parent pauvre où presque rien ne s’y passait.
Avec un recul de 50 ans, force est d’admettre que Jean Drapeau avait raison. Sur le site en question, en plus de la grande salle de concert, se sont érigés la nouvelle salle de l’orchestre symphonique, deux salles de spectacles, les Théâtre Maisonneuve et Port-Royal, le Musée d’Art Contemporain et une sixième salle. La barrière économique est presque disparue et la nouvelle Place des Spectacles s’est installée à proximité. Enfin, l’Institut Dominique Savio a pu s’installer, sans frais, dans des locaux plus adéquats.
Jean Drapeau était un visionnaire et voyait le potentiel des terrains au sud de la rue Ste-Catherine où s’érigeront plus tard la Place Desjardins et la Place Guy-Favreau.
La ville intérieure
La ville intérieure de Montréal fait l’envie de tous les pays nordiques et attire l’attention de gens de tous les pays ! Ce n’est pas de l’urbanisme ça ?
Invité par le CNR, le newyorkais William Zeckendorf, voit vite le potentiel du grand trou béant du centre de Montréal. Il retient les services de l’architecte chinois Idéo Ming Pei (celui de la pyramide du Louvre à Paris), ceux de son collègue Henry Cobb et de l’urbaniste Vincent Ponte. Leur tâche est de planifier le développement de tous les terrains du CNR, au centre-ville et de concevoir l’architecture des bâtiments qui pourront y être incorporés.
Le site est vaste et compact. Selon Ponte, le nouveau centre-ville de Montréal sera viable puisqu’un piéton pourra le traverser en 15 minutes. Il parle de tridimensionnalité et propose de doubler et de tripler certains terrains, qui sont coûteux, en favorisant la construction de niveaux utilisables au-dessus et en dessous du sol. Il se réfère à Leonardo da Vinci qui a fait des sketchs où les piétons et les wagons étaient à des niveaux différents. Il prend comme modèle le Rockefeller center de New-York.
Les trois concepteurs créent la Place Ville-Marie et veulent qu’elle devienne le symbole de Montréal.
Zeckendorf a un grand défi car la Place aura 140,000 mètres carrés de bureaux locatifs au moment où il ne s’en construit que 28,000 à Montréal.
Les 47 étages de la tour cruciforme de la Place sont assis sur une immense galerie de 2,8 kilomètres de long reliée par le premier réseau piétonnier souterrain de Montréal qui rattache la Place Ville-Marie, l’hôtel Reine Élizabeth, le siège social du CNR et la Gare centrale. Le concept de Ponte pour les terrains du CNR est si convaincant qu’il sera retenu par les promoteurs de la Place Bonaventure qui comprendront l’importance de respecter la continuité du caractère spécifique de la ville à étages multiples.
Puis viendront le projet du Centre Eaton, l’élargissement de l’avenue McGill College et tous les bâtiments qui la borderont et qui seront dotés d’un réseau de promenades à plusieurs niveaux. Les stations de métro s’intégreront à ces bâtiments et donneront accès au réseau. Plus tard, le complexe Place Desjardins s’ajoutera à l’axe Place des Arts - Place d’Armes et l’ensemble sera relié par un corridor piétonnier continu. De tous les côtés du centre-ville, les nouveaux bâtiments additionneront des kilomètres de voies piétonnières au réseau.
Le rôle du maire Drapeau est déterminant. Grâce à sa ténacité, il dote Montréal d’un métro. Les grands projets qu’il obtient pour la ville insufflent un dynamisme inimaginable pour le centre-ville. Il est le plus grand artisan de la ville intérieure. Avec le président de l’exécutif, il examine chaque nouveau projet, rencontre les promoteurs immobiliers ou les propriétaires de ces futurs projets pour les convaincre de se joindre au réseau. De plus, le plan d’ensemble de la ville de Montréal est incitatif, efficace et favorise la croissance. Par ses règlements particuliers pour la ville intérieure, l’Hôtel de ville en devient le moteur. Ses attributions, par soumissions publiques, de baux emphytéotiques de parcelles importantes de terrain de part et d’autre du tunnel du métro constituent une formule avantageuse autant pour les promoteurs que pour la ville. Ses permissions aux promoteurs d’occuper le domaine public, pour loger les corridors sous les rues, en échange de servitudes pour l’accès du public dans leurs édifices aux heures d’ouverture du métro sont réalistes. Le partenariat et l’interdisciplinarité qu’il suscite avec l’opérateur du métro et les promoteurs immobiliers débouchent sur des projets multiples et bien réussis.
Avec le temps, la ville intérieure de Montréal offre aujourd’hui plus de 30 kilomètres de corridors et est devenue une attraction touristique dont on parle dans le monde entier. Les Montréalaises et Montréalais qui subissent des hivers rigoureux, des accumulations de neige énormes, des étés de chaleur de canicule, d’une humidité approchant 100 % HR, profitent bien de leur ville intérieure.
« Ce qui est encore plus extraordinaire pour eux c’est que cet équipement urbain unique a été réalisé sans que Montréal ait eu à investir un dollar pour le réaliser, pour l’entretenir et pour le surveiller ».
Un travail d’équipe
Jean Drapeau a su s’entourer d’hommes et de femmes compétents. Ainsi, avec ses administrations Saulnier, Niding et Lamarre, il a choisi des chefs de services municipaux qui sont devenus des sommités internationales dans leur domaine, comme l’urbaniste Claude Robillard, le botaniste Pierre Bourque (il deviendra maire), Pierre Charbonneau, l’urbaniste Guy Legault (confrère du Mont-Saint Louis), et plusieurs ingénieurs dont Richard Vanier, Lucien l’Allier, Gaétan Trudeau, Charles Cabana, Edgar fournier, l’arpenteur Charles Antoine Boileau… Le maire avait confiance en son équipe et était fier des employés de la ville.
Jean Drapeau a été le fondateur du Montréal moderne. Oui, il a dû autoriser la destruction de plusieurs résidences (dont un grand nombre étaient des taudis) pour réorganiser Montréal, mais il a lancé des opérations 20 000 logements qui ont revivifié d’anciens quartiers comme le Plateau-Mont Royal et créé de nouveaux.
Il n’y avait rien de « fou, fou, fou » dans les projets d’urbanisme réalisés par les administrations de ce maire extraordinaire.
Richard Bergeron a déjà fait son éloge, mais qu’il vienne aujourd’hui ajouter son fiel pour l’abaisser me répugne. De plus en plus, il démontre qu’il n’est pas l’homme de la situation.
Claude Dupras