Comment analysez-vous la crise de la zone euro ?
Une course de vitesse se joue entre les marchés et les Etats. Tant que les gouvernements européens n'auront pas pris de dispositions fermes et durables pour réagir aux attaques, la spéculation gagnera. Plutôt que de crier à l'atrocité des marchés, la seule réaction doit être l'organisation de l'Europe à la fois dans ses mécanismes de solidarité et le gouvernement économique de la zone. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'une monnaie qui n'est pas encadrée par une autorité politique.
Que manque-t-il aujourd'hui à l'Europe ?
La France et l'Allemagne font défaut. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel portent une lourde responsabilité dans le divorce du couple franco-allemand car la zone euro ne peut fonctionner que s'il y a une totale concordance de vue entre les deux pays qui représentent plus de 40 % de sa puissance économique. La France doit montrer qu'elle est capable de cohérence et l'Allemagne de solidarité. Quand l'attentisme rencontre l'égoïsme, c'est la crise.
Craignez-vous une explosion de la zone euro ?
Oui, parce que le temps de la politique européenne est un temps long, quand celui des marchés est immédiat. Tout retard se paye au prix le plus élevé. Je suis d'une très grande sévérité à l'égard des chefs d'Etat et de gouvernements qui ont repoussé à septembre le règlement de la question grecque. Ils ont ouvert la boite de Pandore. Il est indécent de faire supporter aux Grecs, par des plans d'austérité qui s'ajoutent les uns aux autres, l'impéritie de l'action européenne. Si, comme je l'avais souhaité, il y avait eu une mobilisation beaucoup plus rapide du Fonds européen de stabilité, une ligne de crédit flexible pour résoudre le problème de liquidités, une autorisation immédiate de la Banque centrale européenne pour racheter des obligations secondaires, un emprunt européen – les eurobonds – capable de se substituer aux dettes souveraines, s'il y avait eu une participation plus ou moins volontaire des banques et si l'on avait ajouté une taxe sur les transactions financières que vient d'adopter le Parlement européen, il n'y aurait plus aujourd'hui de crise des dettes souveraines en Europe.
Les créanciers privés doivent-ils s'engager ?
Je crains qu'il ne soit trop tard. Il faut maintenant allonger la durée des prêts du système bancaire.
Comment mener campagne en France dans un contexte économique aussi dégradé ?
En disant la vérité, en montrant une volonté, de l'espérance. Nous devons mobiliser l'ensemble de la puissance de l'Etat au service de la seule cause qui vaille : l'amélioration du destin de la génération qui arrive et donc tout engager pour la jeunesse de la petite enfance jusqu'à l'entrée dans la vie professionnelle.
Est-il raisonnable de proposer, comme vous le faites, un contrat de génération dont le coût est estimé à 7 milliards d'euros ?
C'est la seule idée forte qui ait été proposée pour réconcilier les générations et éviter les effets d'aubaine. Je propose que l'employeur qui garde un senior le temps qu'il acquière ses droits pour toucher sa retraite à taux plein et qui embauche un jeune de moins de 25 ans avec un contrat à durée indéterminée, bénéficie de la suppression des cotisations sociales sur les deux emplois. Un tel dispositif permettra une transmission du savoir et des expériences et une stabilité des jeunes actifs. Il donnera un sens à la politique d'exonération de cotisations sociales qui aujourd'hui coûte plus de 25 milliards d'euros et n'en a plus.
Alors que l'Europe est malade de ses déficits, pourquoi refusez- vous de voter la loi constitutionnelle dite de la "règle d'or", qui instaure l'équilibre des finances publiques ?
Une manœuvre ne fait pas une politique. Nicolas Sarkozy agit comme un repenti. Avec les allègements fiscaux qu'il n'a cessé d'accorder jusqu'à récemment avec la nouvelle baisse de l'impôt sur la fortune, il a déséquilibré les comptes publics au point que nous sommes sur la corde raide et menacés. Ce n'est pas avec le vote d'une telle disposition, d'ailleurs peu contraignante que nous saurons montrer à nos partenaires européens que nous respectons nos obligations et aux générations futures que nous sommes comptables de leurs intérêts. A regarder le comportement de Nicolas Sarkozy ces derniers mois, je me demande s'il n'a pas besoin du prolongement de la crise pour justifier sa propre candidature comme si celui qui n'avait rien fait pour l'éviter pouvait être le meilleur pour nous en protéger.
Si le président de la République convoque le Parlement en Congrès pour ratifier la "règle d'or", que ferez vous ? Vous boycotterez la séance ?
Comme parlementaire, je réponds toujours aux invitations. Je prendrai donc mes responsabilités et dirai : "pour réduire nos déficits et pour engager la France dans la voie du redressement de ses comptes, il ne faut pas changer de Constitution, il faut changer de président". Lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé à l'Elysée, le déficit budgétaire était d'à peine 50 milliards d'euros et la dette publique d'environ 65 % du PIB. Aujourd'hui le déficit avoisine les 100 milliards et l'endettement représente plus de 85 % du PIB. Ce n'est plus la faillite dont parlait François Fillon, c'est la banqueroute.
Dans le projet socialiste, il est question de ramener les déficits à 3 % du PIB en 2014. N'est- ce pas trop tard ?
Il faut rééquilibrer nos comptes publics dés 2013.
Dès 2013 ?
Oui. Je ne le dis pas pour céder à je ne sais quelle pression des marchés ou des agences de notation mais parce que c'est la condition pour que notre pays retrouve confiance en lui. Nous ne pouvons pas laisser gonfler la dette publique au risque de faire de la charge de nos intérêts le premier budget du pays, ce qui altèrerait toutes nos marges de manœuvre. La dette est l'ennemie de la gauche et de la France. Si je suis élu, la première réforme du quinquennat sera la réforme fiscale. Le candidat qui annonce qu'il n'y aura pas d'effort supplémentaire après 2012 sera un président qui se parjurera.
Bertrand Delanoë propose de créer un impôt exceptionnel sur les hauts revenus. Etes-vous d'accord ?
Je suis contre les impôts exceptionnels. Il faut une réforme fiscale ample consistant à imposer le même barème à tous les revenus, ceux du travail comme ceux du capital. Les niches fiscales et les mesures dérogatoires doivent être supprimées, l'impôt sur le revenu et la CSG, fusionnés.
Que dites-vous aux classes moyennes, qui craignent de payer pour les autres ?
Qu'elles sont en réalité les grandes victimes du système fiscal actuel. Elles sont souvent imposées sur leur seul revenu, qui est celui du travail, alors que les revenus du capital le sont beaucoup moins. Elles ont peu de possibilité d'échapper à la progressivité de l'impôt faute de pouvoir s'abriter dans les niches. Elles ont un patrimoine de plus en plus difficile à constituer quand les plus grosses fortunes ont bénéficié d'une somme d'allègements. Donc le plus grand nombre des Français a intérêt à la réforme fiscale.
Rétablirez vous la retraite à 60 ans si vous êtes élu ?
Oui, ceux qui ont cotisé pendant 41 années doivent pouvoir partir à 60 ans en touchant pleinement leur retraite. Je ne peux pas admettre qu'ils soient obligés de cotiser 42, 43 ou 44 ans parce qu'ils ont commencé à travailler tôt. C'est injuste.
Eva Joly a remporté la primaire écologiste avec un discours très ancré à gauche. Cela donne-t- il la tonalité de la campagne de 2012 ? Cela vous conduit-il à gauchir votre discours ?
Je suis socialiste. Je veux conduire une campagne de socialiste. Est ce assez clair ?
Pas totalement…
L'enjeu c'est le premier tour. Je ne veux pas faire la campagne des autres, au centre ou à la gauche de la gauche. Je veux porter les engagements d'un prochain président de la République qui doit avoir son identité de gauche et en même temps le souci de rassembler le plus grand nombre.
Martine Aubry vante ses relations avec Cécile Duflot. Et vous ?
J'ai, avec Cécile Duflot des relations qui remontent à la période où j'étais moi-même premier secrétaire. Elles sont bonnes. Nous avons besoin d'une alliance avec Europe Ecologie-Les Verts. Pas un accord de circonstance qui se réduirait à un partage de circonscriptions mais un vrai contrat de gouvernement qui ancrerait l'idée d'une coalition durable pour mener une politique nouvelle.
J'aurais souhaité –ce n'est d'ailleurs pas complètement exclu – que nous puissions le conclure avant le premier tour de la présidentielle de façon à bien marquer notre volonté commune de gouverner avec des propositions qui nous lient. Plus nous serons précis sur la façon de réaliser la transition énergétique, plus nous serons crédibles vis-à-vis du pays. Je défends que la part du nucléaire dans la production d'électricité doit passer de 75 % à 50 % en 2025. C'est le même effort que les Allemands vont fournir pendant la même période, passant de 22 % à 0 %. Qui pourra prétendre que nous pourrions en faire d'avantage en 15 ans ?
Les 9 et 10 juillet, des milliers de personnes se sont rassemblées pour protester contre la construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Votre ami Jean-Marc Ayrault, le maire de Nantes, défend le projet qui est vivement rejeté par les écologistes. Quelle est votre position ?
Il y a une divergence, j'en prends acte. L'actuel aéroport pose des problèmes de sécurité. Sauf à entraver la circulation aérienne dans une partie de la France, mieux vaut en construire un autre.
Mais si les écologistes en font une condition d'un accord avec le PS ?
Il ne doit pas y avoir d'ultimatum. Pas plus que le PS n'a à imposer un modèle ou une exigence incontournable, pas plus les écologistes n'ont à le faire vis-à-vis du PS. C'est le compromis qui doit être cherché.
Parfois le compromis n'est pas possible ?
Personne n'imagine en France que l'alternance puisse risquer de ne pas se faire à cause d'un aéroport.
Après son échec, Nicolas Hulot déclare qu'il est "un homme libre". Cela vous inquiète-t-il ?
J'ai trouvé bien qu'il rejoigne la famille de l'écologie politique et j'estime qu'il doit rester à nos côtés pour 2012. Cela dépend de lui mais aussi de nous.
A quoi sert la primaire organisée par le PS si les candidats ne veulent pas vraiment débattre entre eux ?
Elle a deux objectifs. D'abord mobiliser et renforcer la légitimité du candidat choisi. Pour que ce soit réussi, il faudrait dépasser le million de votants. Le deuxième objectif est de désigner le candidat qui pourra être le meilleur pour gagner en 2012 et présider la France. A l'évidence, les questions de personnes sont posées.
Quel est votre principal défaut ?
Celui qui m'est attribué par mes adversaires est de n'avoir jamais été ministre. Il ne tient d'ailleurs pas car j'ai été pleinement associé par Lionel Jospin aux décisions de son gouvernement.
Et votre principale qualité ?
Ne pas avoir été ministre parce que je ne suis pas usé par le pouvoir et d'une certaine façon, je suis neuf.
Et par le Parti socialiste, que vous avez présidé pendant 11 ans ?
Ce fut un record et un honneur mais depuis 2008 je me suis préparé à exercer une autre fonction.
Craignez-vous un affrontement avec votre ancienne compagne, Ségolène Royal ?
Non, la politique a ses règles et ce sont les seules qui existent.