Donc une fois dans l'aéroport, pas besoin de chercher les panneaux indiquant la direction à suivre, il n'y a qu'à suivre les chariots portant d'énormes bagages, saucissonnés avec ce film plastique rouge transparent dont raffolent les africains! A bagages hyper blindés, renforcement oblige.
En remontant la file d'attente du regard jusqu'au comptoir, si on aperçoit des voyageurs, penchés sur leurs valises ouvertes, s'évertuant à décharger leurs bagages bourrés à craquer (ben oui, ça ne badine plus avec les kilos), stop! On est bon! On ne bouge plus, on est dans la bonne file!
Nous les ivoiriens, nous sommes trop contents de prendre l'avion, surtout quand il s'agit du vol retour sur Abidjan. Une fois à bord, l'excitation règne. La joie se lit sur tous les visages, tellement le retour aux sources est doux! Les regards se croisent en essayant de se reconnaître. Les gens cherchent frénétiquement leur place et se trompent toujours entre la lettre A, côté hublot et la lettre D, côté couloir. Sans compter la "tantie" qui bloque tout le monde derrière elle parce qu'elle a du mal à faire rentrer son bagage à main (que dis-je, son gros sac multicolore du marché d'Adjamé) dans la cabine. "Mais oui, c'est pas fait pour ça, ma tantie! On est dans un avion, ce n'est pas... une bâchée", laissa échapper un parigot "sapé-dernier-cri".
Les bouclent des ceintures cliquettent. L'avion décolle. On attend avec impatience les rafraîchissements. Quelques minutes et quelques gorgées de vin plus tard, les langues se délient, les voix s'élèvent, on commence à sentir l'ambiance du pays dans la joie et la bonne humeur. L'accent chaleureux de la Côte d'Ivoire embaume l'avion, coloré de temps à autres par quelques expressions nouchi. Dans ce tintamarre, j'essaie de trouver le repos.
Le pilote fini par annoncer la descente. A mesure que l'avion se rapproche des terres africaines, les femmes se repoudrent le nez et se recoiffent, les hommes tiennent déjà en main leurs téléphones portables et réajustent leurs vêtements. C'est une vrai préparation. Préparation à quoi au juste?
Au moment pénible à venir!
Puis, l'avion bascule. Le pilote nous recommande de rester assis et de boucler nos ceintures - au cas où certains seraient tenter par des séances gratuites de looping. Par le hublot, la terre se rapproche, les nuages s'éloignent. Le moteur rugit. La vitesse s'accélère à mesure que l'avion amorce sa descente. Les roues se détachent du ventre de l'avion. Les passagers s'agrippent à leur siège. Il règne un calme plus que tendu. Les coeurs sont suspendus.
Le "tonton" a côté de moi fronce le visage comme un citron pressé. Il était en train de passer un mauvais quart d'heure. Qui sait le tourment qui l'envahissait? La "tantie" du siège avant, cherchait avec difficulté à remettre ses chaussures, empêchée par ses formes généreuses qui épousaient d'un peu trop près son siège. On aurait dit que sa survie dépendait de ses chaussures. Acte sécuritaire instinctif, sans doute!
Tous attendent la libération.
Tout d'un coup, le tarmac gronde sous la puissance des roues de l'avion, forçant ainsi le freinage. La pression monte d'un coup, l'angoisse également, jusqu'à ce que tout se relâche. Après trois petits rebonds, l'avion ralenti. Nous avons atterri.
Et là, à cet instant précis, un tonnerre d'applaudissement résonne dans tout l'avion avec enthousiasme.
Ce qui me sidère, à chaque fois, c'est de constater que le pilote est passé en un éclair du statut du simple commandant de bord à celui de star adulée. Manquerait plus qu'on sorte les briquets!
Ce moment était donc si tortueux pour que sans la moindre dignité, les gens se donnent en spectacle comme ça! Peu importe le monde autour, l'important c'est le soulagement, la fin de la souffrance. Est-ce que c'est forcé? Comme disent les ivoiriens. Ils vont même jusqu'à pousser des "wouuuuuh" comme pour chauffer la salle lors d'un concert! Ils vont s'esclaffer en lâchant des "Aaaah, il a bien atterri hein!" tout en cherchant des regards complices (dès que je localise un de ces regards, je m'empresse de regarder ailleurs, je ne peux pas le supporter!!) On a droit également à des "Hmmmm! Non, mais le pilote est fort quoi! On a rien senti!" (bien sûr que t'a rien senti, tu étais dans un état proche du coma!!) ou encore "Tchié! Il conduit bien deh!"... Bon, je vous passent le reste. Certains demandent même à aller saluer personnellement le pilote pour le féliciter. On n'applaudit pas le chauffeur de taxi ou de bus à chaque arrêt, à ce que je sache?
Applaudir, oui, mais quand le pilote réussi son atterrissage selon certains cas. Par exemple:
... sur une piste trop courte, du style après la route, c'est la mer. (Là y a de quoi flipper surtout quand on ne sait pas nager!)
... lorsqu'une commande ne répond plus parce qu'une bande de pigeons s'est prit la tête dans le réacteur!
... lorsqu'un bagage trop lourd bloque le train d’atterrissage. (Là au moins on a quelqu'un sur qui taper.)
... lorsqu'il y a du suspens, quoi!
Oui, là, j'veux bien qu'on se lâche, le pilote mérite des applaudissements car il nous a sauvé de l'infarctus!
Mais applaudir juste parce que le gars a fait son travail... C'est comme applaudir à la fin d'un film au cinéma, ça ne sert à rien! Et c'est trop la honte!
Les gens applaudissent par soulagement. Ils se sont imaginés le pire et ils applaudissent, histoire d'évacuer la tension, se réchauffer aussi au passage et mettre l'ambiance.
Mais quitte à mettre l'ambiance, autant taper dans les mains au son d'un tam-tam, et on enchaîne sur du pure wôyô pour annoncer la couleur dès l'aéroport, avec quelques pas de danse à l'appui!
Quitte à être gaou, soyons le à fond!
* "Tchié" et "deh" sont des exclamations.
* Wôyô: genre musical composé de percussions et d'instruments à grelots, il puise son inspiration des chants du terroirs. Il constitue la base du zouglou.
* Gaou: (dans ce contexte) se comporter comme un villageois.