T'as de beaux yeux tu sais!

Publié le 19 juillet 2011 par Taupo


Comme je vous le disais plus tôt, j’en ai pris plein les mirettes durant mon voyage à travers les Etats-Unis. Mais vu que le tri monstre de mes 3700 clichés et vidéos est encore loin d’être terminé, je préfère vous parler tout d’abord des mirettes avant de vous montrer ce qui a gâté les miennes.

Je ne sais pas pour vous, mais je trouve assez dingue qu’avec le temps qu’on passe à se regarder les yeux dans les yeux, on ne prenne pas plus de temps à se demander ce que sont véritablement ces disques de couleurs qui cernent nos pupilles. Heureusement pour nous, certains photographes, comme Suren Manvelyan, se sont non seulement intéressés à nos iris, mais se sont également mis à les mitrailler en gros plan extrême:


Jetons donc les yeux sur  les formes et textures étonnantes que nous cachent ces organes extraordinaires. Tout d’abord avec les yeux marrons cochons:











Ensuite avec les yeux bleus… euh … ciel bleu? Ah non! Amoureux!











Incroyables ces reliefs, cratères et vallées aux couleurs extra-terrestres, non? Mais si vous pensiez que j’allais arrêter mon article à cette jolie galerie d’yeux, vous vous fourrez les doigts dans les vôtres!
Maintenant qu’on a commencé à se pencher sur le sujet, autant poser les grandes questions: Qu’est-ce qu’un iris? A quoi ça sert? Pourquoi sont-ils de couleurs différentes? Etc… 


L’iris est un ensemble de tissus conjonctifs et musculaires qui entoure l’orifice central de notre œil, la pupille. A vrai dire, la principale fonction de l’iris, (en plus d’initier des commentaires poétiques du genre: ton père est un voleur parce qu’il  a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux…) est de moduler le diamètre de notre pupille, par contractions ou dilatations des fibres musculaires qui le composent, et ce afin de contrôler la quantité de lumière qui parvient à notre rétine, la membrane photo-sensible qui couvre la face interne de notre globe oculaire.


L’iris est un ensemble de 5 couches superposées les unes sur les autres. En partant de la couche la plus externe, la plus proche de la cornée, on nomme les 5 couches ainsi: face antérieure, stroma, sphincter irien, muscle dilatateur irien et face postérieure.
La face antérieure est un tissu fibro-vasculaire qui peut accumuler des pigments dans des cellules appelés mélanocytes. Juste en dessous réside le stroma, un enchevêtrement de fibres de collagènes et de cellules parmi lesquelles s’insèrent des fibres nerveuses et des vaisseaux sanguins. Cette couche aussi peut contenir des pigments. Les muscles sphincter et dilatateurs ont des actions antagonistes pour réaliser le jeu pupillaire (si si c’est un jeu… vous avez qu’à vous illuminer l’œil avec une lampe torche devant un miroir… des heures d’amusement en perspective!). Enfin, la face postérieure est composée de deux couches de cellules bien organisées et blindées de mélanocytes ce qui les rend hypra noires.

Mais bon, maintenant qu’on sait de quoi c’est fait, il est temps de se demander pourquoi l’iris de l’œil se pare de si diverses couleurs. Au passage, c’est le fait que les iris sont de couleurs si variées qui explique l’étymologie de son nom: Iris, en Grèce Antique, était la messagère des dieux et ses ailes, aux plumes de toutes les couleurs, laissaient derrière elle la trace d’un arc-en-ciel lorsqu’elle descendait de l’Olympe pour rejoindre la Terre. Du coup les anciens ont prêté ce nom à cet organe aux si multiples teintes.
Classifier les yeux en différentes couleur peut être une tâche particulièrement difficile. On peut se rendre compte de la difficulté si l’on décidait de classer les 24 yeux ci-dessous:

 
On peut cependant établir que, si un nombre important d’intermédiaires existe, les yeux varient essentiellement entre le bleu clair, jusqu’au marron très foncé en passant par le vert. En commençant à écrire cet article, je me disais que j’allais avoir une réponse simple et nette sur le phénomène physique et génétique à l’origine de la couleur des yeux… Que me-trompais-je!
Exemple: bêtement, je pensais que la couleur des yeux s’expliquait uniquement en fonction de la quantité ou la nature des pigments accumulés dans les diverses couches de l’iris. Le fait est pourtant que le pigment contenu dans les cellules qui colorent l’iris, la mélanine, est brun-noir. Du coup, c’est vrai que pour faire des yeux marrons cochons, il nous faut un max de mélanine dans les mélanocytes – la mélanine absorbe la lumière ce qui donne l’apparence foncée à l’iris. Mais pour faire des yeux bleus alors? Si on cherche la différence sur la proportion de mélanocytes, on découvre que les iris bleus ont autant de mélanocytes que les iris marrons. La différence majeure vient de la nature et quantité de mélanine contenue dans les mélanocytes. Les yeux bleus possèderaient des mélanocytes peu riche en mélanine sur la face antérieure de l’iris (bizarrement, la face postérieure, elle, reste supra noire dans les deux types d’yeux). La lumière qui arrive sur un iris bleu n’est donc pas absorbée par la face antérieure et continue son petit bonhomme de chemin à travers les autres couches plus profondes. Arrivée sur la couche postérieure, une partie de la lumière est absorbée mais le reste est réfléchie, rebondit, et doit repasser par le stroma. C’est dans cette couche que la lumière va subir une modification: le collagène du stroma va dévier la lumière, qui va subir une dispersion que les physiciens appellent diffusion de Rayleigh…

Eh mais moi je demandais juste pourquoi on a les yeux bleus! Pourquoi je me retrouve à devoir sortir ma calculette et faire de la physique des particules?
La vie est ainsi faite: dès qu’on aborde un sujet qui touche à la couleur, on peut s’attendre à de la physique dure au tournant.

Bref, revenons à nos Rayleigh: celui-ci a découvert le phénomène qui nous intéresse, si tant est qu’il l’a observé en étudiant le ciel (et en se demandant pourquoi le ciel est bleu). Pour faire bref, le ciel (et certains iris) parait bleu à cause de la dispersion que la lumière subit en interagissant avec les molécules qui composent l’atmosphère. Chaque radiation lumineuse prend une couleur différente en fonction de sa longueur d’onde et il s’avère que la lumière bleue est diffusée de manière plus importante que les radiations lumineuses correspondantes aux autres couleurs.


Le ciel (ou les iris des personnes aux yeux bleus) apparait donc bleu et la lumière qui nous parvient directement du soleil (à laquelle il manque une partie des radiations bleues), nous parait légèrement plus jaune qu'elle ne l'est avant d'avoir traversé l'atmosphère. Vu depuis une navette spatiale, en dehors de l'atmosphère, notre soleil émet donc une lumière qui nous parait plus blanche que celle qui est perçue sur terre.

Au passage, sachez que la plupart des enfants à la peau blanche sont nés avec les yeux bleus. Cela vient du fait que la mélanine produite par les mélanocytes s’accumule plus lentement chez ces marmots qui peuvent acquérir leur couleur d’iris définitive à l’âge de 3 ans.

“Et les yeux verts et gris?” me demanderez-vous… Je vois que vous désirez ma mort…

Et bien les avis sont assez partagés sur la question et il faut savoir que les recherches ne sont pas encore totalement concluantes sur la question. C’est à vrai dire la même chose pour les yeux bleus et si l’explication que je vous ai fournie est valable pour la plupart des cas, il existe des iris bleus pour lesquels cette explication ne peut pas répondre totalement au phénomène. On évoque ainsi la dispersion de Tyndall qui, contrairement à la dispersion de Rayleigh, dépend du fait que les molécules que la lumière traverse soient massives et en suspension.
Pour illustrer le phénomène, imaginez que votre stroma soit un verre d’eau rempli de farine (où la farine joue le rôle des fibres de collagène). Et bien vous serez peut-être surpris d’apprendre que de la farine en suspension dans de l’eau diffuse la lumière selon la dispersion de Tyndall et le tout nous parait bleu:


Pour les yeux gris, on invoque plutôt la dispersion de Mie (ouais ouais, je sais, on se disperse là…) qui est en quelque sorte l’extension de la dispersion de Tyndall mais où les particules en suspension atteignent une taille suffisante pour disperser l’ensemble des rayons lumineux (et donc dispersent non seulement la lumière bleue, mais aussi rouge, vert, etc… ce qui donne au final une dispersion d’une lumière qui nous parait blanche).
La dispersion de Mie permet d’expliquer pourquoi un ciel nuageux, le lait, la fumée de cigarette, et certains iris nous paraissent blanc-gris.
En ce qui concerne les yeux verts, il est possible que pour ce cas-ci, il ne s’agisse encore de quantité de mélanine. Les iris verts accumuleraient un peu de mélanine mais pas trop.
Résumons donc: La couleur des yeux est en partie due aux pigments (la mélanine) pour les yeux marrons et vert mais aussi au comportement de la lumière traversant les fibres du collagène du stroma.
Voici à titre d’exemple la couleur des yeux d’un individu atteint d’albinisme et qui ne possède pas un pouième de mélanine:


Cela permet de se rendre compte de tous les facteurs jouant sur la texture et la couleur des iris en dehors des pigments. On s’aperçoit par ailleurs que les iris sont bel et bien vascularisés, ce qui donne cette couleur rouge un poil flippante.

Un autre domaine où les idées reçues tombent en masse, c’est la génétique derrière la couleur des yeux. Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, on m’a longtemps laissé croire que la couleur des yeux était un bon exemple d’un caractère génétique suivant une loi héréditaire Mendélienne, c’est à dire un modèle simple de ségrégation de caractères (ou allèles d’un gène) qui se trouvent sous forme récessive ou dominante: dans ce modèle, les yeux doivent leur couleur à un gène existant sous forme d’un allèle bleu ou brun et dont chaque individu hérite d’une forme de leur père et de leur mère. L’allèle bleu étant récessif, il doit être transmis par la mère ET le père pour que le caractère ‘iris bleu’ soit visible:

 
Mais rien n’est simple quand on taquine les yeux, et les généticiens se sont mis à se gratter la tête quand ils sont tombés sur les nombreuses distributions de ce caractère suivant les schémas suivants:


Une des manières les plus adéquates pour expliquer ce genre de phénomène, autrement qu’en questionnant la fidélité des parents, c’est de considérer que la couleur des yeux dépend de plusieurs gènes. A l’heure actuelle, on a identifié un gène qui semble être le plus important pour déterminer si les iris vont être bleus ou marrons: un gène qui s’appelle OCA2 (mais il aurait pu s’appeler bob que ça ne vous en aurait pas fait une plus belle jambe…). OCA2 serait ainsi un gène responsable de la bonne maturation et production de la mélanine dans les mélanocytes des iris. D’autres gènes, tels HERC2, LYST et DSCR9 (mais pourquoi pas Riri, Fifi et Loulou…) semblent intervenir dans la balance. Si la tendance continue, cela rendra pratiquement insoluble l’identification de tous les gènes responsables de la couleur de nos mirettes.
Et pourquoi est-ce si important? Et bien une des raisons pour lesquelles on aimerait bien trouver le cocktail nécessaire pour déterminer la couleur de nos yeux, c’est qu’il s’agirait d’un outil particulièrement efficace pour le département de médicine légale: L’identification de la couleur des yeux d’un suspect en séquençant l’ADN extirpé d’un de ses poils bouclés laissés sur la cuvette des WC de la victime, ça le fait, non?
Malheureusement, les efforts actuels peinent à dépasser un taux de prédiction supérieur à 50%…

Un dernier mot maintenant sur l’origine des yeux clairs: vous aurez peut-être remarqué que ceux-ci se trouvent en abondance dans les populations européennes par rapport au reste du monde. On peut se demander comment a émergé ce caractère dans la population et surtout pourquoi celui-ci s’est répandu? Y’a t’il un avantage sélectif derrière les iris azurés ou s’agit t-il juste d’un caprice des dérives génétiques ou d’un phénomène de sélection sexuelle?
A l’heure actuelle, il n’y a pas de modèle particulièrement développé et argumenté. On est arrivé cependant à estimer la date de l’émergence de ce caractère: il y a 10.000 ans. Cela fait assez court et laisse suggérer qu’il a fallu une sacré force de sélection pour qu’autant de paires d’yeux bleus se retrouvent dans nos populations.

A titre anecdotique, un modèle m’a tapé dans l’œil: une étude ayant montré que les individus possédant des yeux bleus sont moins susceptibles aux dépressions saisonnières (la déprime générée par les longs hivers), il est envisageable que ce caractère ait été sélectionné par les rudes hivers que subissaient les populations européennes néolithiques…

Ah et puis vu qu’on a détaillé à ce point l’œil… Vous savez ce qu’on dit: un œil pour un œil, une dent pour une dent:


Zoom into a Tooth by Weird_Weird_Science

Liens:
Suren Manvelyan
Anatomie de l’Iris

Références:
Sturm RA, Larsson M: Genetics of human iris colour and patterns. Pigment Cell Melanoma Res 2009, 22(5):544-562.
Franssen L, Coppens JE, van den Berg TJTP: Grading of Iris Color with an Extended Photographic Reference Set. Journal of Optometry 2008, 1(1):36-40.

Liu F, Wollstein A, Hysi PG, Ankra-Badu GA, Spector TD, Park D, Zhu G, Larsson M, Duffy DL, Montgomery GW et al: Digital quantification of human eye color highlights genetic association of three new loci. PLoS Genet 2010, 6(5):e1000934.