On ne se lasse pas de revoir Il était une fois en Amérique et d’y percevoir de nouvelles strates.
On pourrait noter ainsi que Max, à la fois gangster, homme d’affaires et homme politique, ferait aujourd’hui un parfait représentant de l’oligarchie financière au cynisme illimité qui a plongé le monde dans la crise.
On pourrait aussi revenir sur la dimension juive du film, souvent sous-estimée. L’un des moments les plus émouvants est la séquence de Pessa’h, quand tous les habitants du quartier vont célébrer Pâques à la synagogue, sauf Noodles et Deborah qui vont s’embrasser dans le débarras du delicatessen.
Le passage bouleverse parce que la scène d’amour entre les deux adolescents est déchirante, mais aussi parce que, en reconstituant le quartier juif du Lower East Side, Sergio Leone filme dans le même mouvement un shtetl d’Europe centrale, c’est-à-dire un monde englouti dont il existe peu de traces visibles.
On n’a ainsi peut-être jamais aussi bien vu l’une de ces bourgades juives anéanties par le nazisme que dans cette version fantasmée. Entre la partie années 30 du récit et sa période 1968, les ellipses sont aussi passionnantes que béantes. C’est d’abord Noodles qui s’est “couché de bonne heure” à Buffalo durant trente-cinq ans.
Puis le quartier juif qui a muté en hood noir et latino, ce qui est bien sûr typique de l’histoire des grandes villes américaines, mais évoque aussi la destruction des shtetl. Car entre les années 30 et 60 s’est également produite en Europe la plus terrible des béances, et on imagine mal que l’Européen Leone n’y ait pas pensé.
Est-ce un hasard si, sur les tombes de la bande à Noodles, le cinéaste associe les signifiants “étoile de David” et “1933”, année de l’avènement d’Hitler ? Jamais mentionnée, la Shoah imprègne l’inconscient du film. Leone disait avec raison qu’ Il était une fois en Amérique pouvait se lire “Il était une fois le cinéma américain”.
Mais on y entend aussi, comme murmuré entre les images, “Il était une fois en Europe”.
Article de Serge Kaganski pour lesinrocks.com