Martine Aubry a donc annoncé son intention, si elle était élue, d'augmenter le budget de la culture de 30 à 50%. C'était certainement la meilleure recette pour séduire le public et les acteurs d'Avignon. Mais est-ce raisonnable et… nécessaire? Et pour quoi faire?
En quelques décennies, le monde de la culture a considérablement changé. Paris n'est plus la capitale culturelle mondiale qu'elle fut, alors même que des efforts considérables ont été réalisés pour aider les créateurs à vivre.
Ces efforts se sont traduits tout à la fois par une multiplication des acteurs (compositeurs, romanciers, poètes, peintres, cinéastes, comédiens…) et par une amélioration sensible de leurs conditions de vie. Hier, les romanciers, peintres et poètes qui voulaient vivre de leur plume devaient multiplier les expédients, ils enseignent aujourd'hui dans les conservatoires, les écoles des beaux-arts et vont de résidence en résidence. Jamais il n'y a eu, tant à Paris qu'en province, autant de spectacles, d'expositions, de concerts. Il ne se passe pas de soirée à Paris sans un concert de musique contemporaine (musique savante, j'entends). Il n'est pas un département qui n'ait son musée d'art contemporain, pas une ville qui n'ait son festival. Mais pour quel public? La demande n'a pas suivi l'explosion de l'offre. Ce n'est pas, comme on le dit parfois, que les oeuvres proposées soient trop difficiles ni que le public se soit évanoui mais l'offre est infiniment plus importante que la demande : l'amateur le plus intéressé ne peut passer toutes ses soirées au concert! Il lui faut choisir. L'offre est d'autant plus importante que les mécanismes qui la limitaient hier ont disparu : s'il est plus facile de vivre (chichement) de son art aujourd'hui qu'il y a quarante ans, il est aussi (et par voie de conséquence) plus difficile de sortir du lot. On compte par dizaines les compositeurs de musique contemporaine (les peintres, les poètes…). N'importe quel adolescent curieux pouvait, dans les années soixante, citer les noms des quatre ou cinq compositeurs de quarante ans qui comptaient. Il lui suffisait de lire les programmes du Domaine Musical, les critiques de Jacques Bourgeois ou d'Antoine Goléa pour se faire une idée. Qui peut aujourd'hui prétendre en être capable? Les avant-garde ont disparu et avec elles l'engagement du public. Plus rien ne scandalise mais plus rien n'enthousiasme non plus. La culture est devenue consommation aimable de la bourgeoisie diplômée. C'est elle qui applaudit aux promesses de Martine Aubry. C'est elle que ses promesses, si elles se réalisent, satisferont. Mais est-ce cela que l'on veut?
Répondant à Martine Aubry, Frédéric Mitterrand indique que la "politique culturelle relève d'abord du soutien à la création, à l'idée de l'art, de la beauté et de leur mise à disposition à l'ensemble des citoyens." Une définition que ne désavouerait probablement pas la candidate socialiste. Manque cependant l'essentiel : ce qui fait un style, une marque, un signe et donne aux artistes et créateurs d'ailleurs l'envie de venir vivre et travailler en France… La réussite d'une politique culturelle se mesure moins à son budget qu'au désir des créateurs étrangers de s'y associer.
Si Paris n'est plus la capitale culturelle qu'elle fut, ce n'est certainement pas faute d'argent. Celui-ci n'est, d'ailleurs, pas, en matière de création, le nerf de la guerre. Le budget ridicule du Centre d'Essai de la radio de Pierre Schaeffer a plus fait pour la création musicale en France que ne feront jamais toutes les classes de composition ouvertes dans les conservatoires. C'est faute de vie et d'enthousiasme.