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[Interview] William Audureau, auteur de "L'histoire de Mario"

Publié le 18 juillet 2011 par Axime
[Interview] William Audureau, auteur

C'est à l'occasion du salon Japan Expo 2011 que les éditions Pix'n Love ont dévoilé une nouveauté dans leur catalogue déjà bien fourni. En effet, on pouvait découvrir en passant sur leur stand un ouvrage surprise, consacré à la star des personnages de jeux vidéo, intitulé L'histoire de Mario. William Audureau, auteur de ce livre, était présent sur le salon pour présenter son travail et enchaîner les dédicaces. Nous n'avons donc pas résisté à l'envie de lui tendre notre micro pour lui poser quelques questions. Un entretien que nous vous proposons de retrouver ci-dessous, en audio ou à l'écrit.


William Audureau, auteur de L'histoire de Mario

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[Interview] William Audureau, auteur
[Interview] William Audureau, auteur


Néluge : Nous sommes sur le stand Pix'n Love à Japan Expo 2011 avec William Audureau à l'occasion de la sortie de son livre "L'Histoire de Mario". Pour commencer, pourrais-tu te présenter rapidement ?

William Audureau : Je suis journaliste spécialisé dans le jeu vidéo et la high-tech depuis une dizaine d'années. J'ai commencé à Nintendo Magazine au tout début des années 2000. J'y ai travaillé plusieurs années avant de rejoindre Jeux Vidéo Magazine entre 2006 et 2008, puis j'ai évolué vers Chronic'art, SVM, et plus récemment 01net.


Néluge : Dans ton parcours, il y a notamment cette collaboration avec le Magazine Nintendo, tu t'intéresses donc à la marque depuis longtemps déjà ?

William Audureau : Tout à fait, Super Mario Bros est tout simplement mon premier jeu. Même si j'essaye de mettre l'affectif de côté dans ce livre, il est avant tout centré sur une passion qui a été la première pour moi, et une parmi tant d'autres dans les années 80. Après, effectivement, j'ai eu la chance de voir mon rêve de gamin exaucé en travaillant pour Nintendo Magazine où, je me souviens, je me suis retrouvé à faire un dossier pour les 20 ans de Super Mario Bros, ou les 25 ans de Mario, puisqu'il y a toujours un petit décalage. Déjà je m'étais frotté un peu à son histoire et ça m'intriguait. A l'époque, il y avait moins de sources, Nintendo parlait moins de sa propre histoire et Florent Gorges n'avait pas encore fait son admirable travail de défrichage (ndlr : "L'histoire de Nintendo", éditions Pix'n Love). Ce dossier, je l'ai fait à l'époque sur cinq ou six pages, et j'avais l'impression qu'il y avait beaucoup, beaucoup plus à dire sur Mario.

J'ai toujours été assez fasciné par le côté "Pop" du jeu vidéo : les personnages, leur aura, que ce soit dans Street Fighter ou chez Nintendo. J'ai proposé un jour à Pix'n Love de faire une collection sur les héros de jeu vidéo. Une collection dans laquelle on aurait pu trouver Lara Croft, Pikachu, et comme numéro un je voulais évidemment commencer par Mario. Le livre est né de cette idée, même si il a beaucoup évolué, puisque ce n'est plus du tout une collection mais un livre unique. Mon idée s'appliquait à énormément de personnages, mais l'histoire de Mario est beaucoup trop dense, beaucoup trop riche. Il fallait prendre le temps et la place, et je me suis dit qu'au lieu de faire 90 pages sur toute sa carrière, j'allais en faire 400 sur les dix premières années.


Néluge : On peut lire dans le petit aparté à la fin du livre que ce dernier a aussi évolué vers ce qu'il est aujourd'hui pour des questions indépendantes de ta volonté, de droits par exemple.

William Audureau : Je suis un grand garçon, roux, fou et rêveur, et à l'origine je pensais que je pourrais faire cette collection sur tous les personnages de jeu vidéo, mais j'avais surtout sous estimé un point : c'est quelque chose que l'on ne peut pas faire sans l'accord des éditeurs, puisque les personnages leurs appartiennent, c'est normal. Et il n'y a pas deux éditeurs qui aient la même politique... Le temps de les convaincre tous, c'était difficile, et il y avait la question des illustrations qui pouvait aussi être délicate. C'était vraiment une entreprise énorme. Je ne vais pas dire qu'elle est absolument morte, mais ça ne pouvait pas se faire aussi facilement que j'imaginais.


Néluge : Pour ceux qui n'auraient pas vu le livre, c'est tout de même assez conséquent niveau volume. Précédemment tu écrivais plutôt dans des magazines des textes type articles, assez courts, en tout cas bien loin des 400 pages de "L'histoire de Mario". Est-ce ton premier ouvrage d'une telle taille ?

William Audureau : Je vais vous faire une petite confidence, mais il ne faut pas que ça vous effraye, parce que c'est vrai que les deux sujets n'ont pas grand chose à voir. Je suis un ancien universitaire, comme ça arrive à plein de gens - ça se soigne -, et j'avais fais ma maitrise sur Platon. Il y a une petite similitude, puisque je l'avais orientée sur l'histoire de Platon dans ses toutes premières années en tant qu'écrivain. Je ne sais pas ce que j'ai avec le début de carrière d’icônes... Mais cette icône de la philo m'avait beaucoup inspiré, et j'avais adoré faire plein de recherches sur cet auteur dont on disait tout le temps que finalement c'était juste le scribe de Socrate.

Je me suis dis que ça pouvait être marrant de faire ça dans un domaine qui a priori n'a aucun rapport, celui du jeu vidéo. Et finalement il y a des approches qui se retrouvent. Notamment, quand on parle de personnages ultra célèbres qu'ils soient fictifs ou réels, il y a tout le temps plein de mythes autour d'eux, plein d'idées préconçues, ou tout simplement des légendes, des informations qui sont souvent à 70% vraies et 30% fausses, ou l'inverse. Il y a énormément à creuser, et on a envie de savoir en vrai c'est quoi, c'est qui, qu'est ce qui s'est passé ? J'ai un peu cette culture universitaire d'aller creuser, trouver le petit bouquin pas très connu ou la vieille interview... C'est une chose que j'ai beaucoup appliqué dans ce livre, et si vous avez le courage d'aller lire la bibliographie, c'est une chose comme dix pages. La bibliographie, c'est de l'humour universitaire essentiellement : ça consiste à avoir le plus de pages possible dont on sait pertinemment que personne n'ira les lire. Et pour cause : il n'y a rien de plus chiant qu'une bibliographie.


Néluge : Alors justement, où es-tu allé chercher toutes les informations pour écrire "L'histoire de Mario" ? Directement chez Nintendo, dans des magazines ? As-tu rencontré Miyamoto ?

William Audureau : Non, non ! En fait, j'ai trouvé toutes les informations sur Wikipédia. Les 400 pages, c'est du copier/coller...

Non, plus sérieusement, je n'ai pas eu la chance d'interviewer Miyamoto. J'ai participé à une table ronde avec lui, mais je n'ai pas pu lui poser les questions que j'aurais voulu. Mais ce n'est peut-être pas plus mal, parce que naïvement je pense que je lui aurais posé des questions qui lui ont déjà été posées. Il faut savoir que Miyamoto ne répond pas à des interviews depuis un, deux ou trois ans, mais depuis vingt-deux ans. Il a quasiment répondu à toutes les questions que j'aurais spontanément eu en tête. Ne pouvant pas avoir accès à lui, mon réflexe a été de lire toutes les interviews qu'il a donné. Et c'est d'ailleurs ce qui a constitué une grosse part de la documentation de ce livre. C'est un travail d'archiviste, qui consiste à aller trouver la petite interview publiée en tchécoslovaque dans la Pravda locale en 1988, ce qui n'est pas toujours évident. D'ailleurs on a toujours l'impression que l'on risque d'en rater une. Mais si la bibliographie est si longue, c'est aussi pour ça, parce que j'ai essayé de retrouver un maximum d'interviews et de petites infos qu'il a pu donner il y a longtemps, qui sont devenues oubliées et qui méritaient d'être récupérées.

Ensuite, il y a eu d'autres sources évidemment. Des magazines d'époque, des communiqués de presse, des magazines professionnels, des interviews avec des créateurs de Nintendo comme Kensuke Tanabe qui a travaillé directement avec Miyamoto. Également des interviews avec des journalistes d'époque comme Bill Kunkel, qui est quasiment le fondateur de la presse jeu vidéo aux Etats-Unis, ou Pierre Tel qui a été le premier à importer Donkey Kong en France, et qui a vu le marché de l'arcade exploser puis s'effondrer devant ses yeux... L'objectif n'était pas seulement d'interroger Nintendo. Déjà parce que Miyamoto est très difficile d'accès, Tezuka fait une interview tous les 5 ans, et Yokoi nous a malheureusement quitté. Mais de toute façon Nintendo a une communication qui est très lissée. Je ne sais pas si vous avez vu, mais pour la biographie de Gunpei Yokoi, celui-ci s'est fait méchamment disputer, alors qu'il ne travaillait plus chez Nintendo... Pourquoi ? Parce qu'il citait des produits et jouets concurrents. Donc c'est bien d'avoir des interviews de Nintendo, et il ne faut pas s'en priver, mais il faut aussi savoir faire la part des choses. Lorsqu'ils communiquent, ils ne vont pas parler de ce qui se fait autour. On l'a encore vu récemment avec la Wii U où le message est clair : "Non, nous n'avons pas été influencé par l'iPad". Et ils prononcent le mot iPad parce qu'on le fait pour eux, sinon jamais ils n'en parleraient. Nintendo a une culture au niveau de la communication qui consiste à dire "on invente". Et c'est vrai que ce sont des inventeurs, mais ils ne partent pas systématiquement de rien. Il y a par exemple des documents qui attestent que Tezuka a joué à Altered Beast de Sega au moment où il concevait Super Mario Bros. Mais jamais il ne le dira. Et c'est l'intérêt de travailler avec des sources autres que Nintendo, la parole est plus libre.


Néluge : Pour revenir plus directement sur ce livre "L'histoire de Mario", peux-tu nous détailler un peu plus ce que l'on y trouve ? L'ouvrage porte sur le personnage de Mario, sur les jeux Mario, ou sur un peu tout ça ?

William Audureau : Déjà, on trouve quelques coquilles, c'est mon premier livre... Du coup ça rend cette première édition collector ! Évidemment on parle de la jeunesse de Mario. Le livre commence très exactement en 1980 avec l'installation de Nintendo aux Etats-Unis. C'est le point de départ du livre dans la mesure où la question posée est de savoir comment Mario devient une icône internationale. Et le point de départ c'est Nintendo, une entreprise japonaise historique, qui vient s'implanter en Amérique pour mieux se développer. Le livre fait énormément de sauts entre Kyoto au Japon, où j'essaye de raconter la jeunesse d'un jeu phare, et les Etats-Unis et l'Europe où je tente de retranscrire l'ambiance et le contexte des années 80, et la manière dont les jeux sont perçus à cette époque par la presse, les joueurs et les professionnels de l'industrie. Le livre jongle constamment entre ces deux perspectives.


Néluge : Sans dévoiler tout le contenu du livre, des anecdotes sur ce personnage de Mario que l'on pense si bien connaître ?

William Audureau : Mario est un personnage qui est connu, bien sûr, et si je vous racontais que dans sa jeunesse il n'était pas plombier mais footballeur, vous me regarderiez bizarrement. Et pourtant il n'a pas été tout de suite plombier mais charpentier, dans la version américaine. Ce que l'on sait moins c'est que dans la version japonaise il était menuisier, enfin charpentier/menuisier puisque les japonais disent les deux en même temps. Ce sont les américains qui vont choisir charpentier. Il y a plein de raisons assez délicates à démêler sur le choix de Miyamoto pour ce métier. La seule obligation, c'était de trouver un métier du bâtiment puisque le jeu se passe dans un immeuble en construction. Mais dans ces métiers, il n'y a pas que charpentier ou menuisier, il aurait pu faire du plâtre ou du béton, voir même plombier dès Donkey Kong. Mais Miyamoto, qui choisit souvent les noms en rapport à son propre vécu, s'est souvenu que son grand-père était menuisier, et il donnera au héros le même métier que celui-ci. Voilà un détail qui n'est pas très connu par exemple.

Après, il y a des choses que l'on sait sur Mario et qui font partie de sa légende, et d'autres détails qui méritent soit d'être rappelés, soit précisés, et c'est ce que j'ai essayé de faire. De toute façon, le but de ce livre n'est pas d'apporter systématiquement LA révélation extraordinaire, mais juste d'offrir, de 1981 à 1991, l'historique le plus complet, le plus compréhensif, le plus documenté et fiable sur l'histoire de Mario, pour au moins pouvoir dire quand on nous pose la question quel était son vrai prénom à la base : Mario, JumpMan, Ossan, Mister Video ? J'essaye d'apporter des éléments de réponse.


Aalok : Sur la couverture du livre, il y a Mario sous sa casquette, et en fond Pac-Man qui chasse un fantôme. Pourquoi faire apparaître celui-ci ?

William Audureau : La première réponse est que le graphiste est un fan et voulait absolument mettre un Pac-Man... La deuxième réponse, un peu plus sérieuse, tient en deux choses. Et d'un, Pac-Man est l'une des influences les plus essentielles de Miyamoto lorsqu'il travaille sur Donkey Kong, ce que l'on ne dit pas assez. Deuxièmement, et c'est la principale raison, on parle de l'ascension d'une icône dans les années 80. Au début de ces années, Pac-Man est la star des jeux vidéo. Mais le livre s'arrête avec le premier film sur un héros de jeu vidéo, et ça n'est pas un film sur Pac-Man, mais sur le petit bonhomme que l'on voit sous sa casquette sur la couverture, un film sur Mario. Donc mettre Pac-Man et Mario sur la même couverture, c'est essayer d'évoquer ce passage de relais que suit tout le livre, qui est l'histoire d'une ascension.


Néluge : Y-a-t-il des projets pour traduire et exporter ce livre, écrit en français et unique au monde ? Ça intéresse certainement le monde entier...

William Audureau : Au moins ! Non, je ne sais pas... C'est vrai qu'il n'y a pas de concurrence directe, pas de livre en face qui aurait fait ça avant. Et si ça existait je crois que je ne l'aurais pas fait. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de livre sur Mario, mais ils sont rares. Il y en a un en italien, qui doit faire à peu près 200 pages, qui est très bon mais qui se concentre plus sur le game design que sur l'histoire à proprement parler. Aux Etats-Unis, il y a plusieurs livres qui existent sur Nintendo, mais pas sur Mario en particulier. Et suivre l'histoire de Mario, ce n'est pas seulement se focaliser sur un plombier avec une casquette, c'est également raconter comment s'organise le jeu vidéo dans les années 80, puisque Mario est le fils des évolutions de ces années là. C'est quelqu'un qui survie à l'arcade, qui accompagne le développement des consoles de salon et d'une génération entière. Il y a une dimension sociologique dans la popularité de Mario. De ce point de vue là, j'espère que c'est en effet un livre qui a un intérêt. Donc si vous connaissez des américains qui veulent le lire, je serais ravi de leur envoyer !


Néluge : Le titre complet du livre est "L'histoire de Mario, 1981-1991, l'ascension d'une icône, entre mythe et réalité". Une suite est-elle prévue à cet ouvrage ?

William Audureau : La question de la suite revient souvent. Première précision : on a failli ne pas mettre "1981-1991" parce qu'on avait justement peur que les lecteurs pensent que c'est en plusieurs volumes, comme "L'histoire de Nintendo". Mais ça n'est pas un premier volume. Si on ne faisait pas la précision, on risquait de tromper les lecteurs qui se seraient peut-être attendus à ce que l'on parle de Mario 64 ou Galaxy, sachant que les 400 pages s’arrêtent en 1991. Le sujet du livre, c'est l'ascension de Mario en tant qu'icône. A partir de 91, on peut considérer que Mario est une icône planétaire, je pense que personne ne le contredira. Du coup, la suite ne pourrait pas se faire sous le même angle, Mario ne devient pas encore plus connu après... Par contre, c'est une autre histoire qui s'engage pour lui. On pourrait par exemple parler de son rapport à la 3D, il va y être très vite confronté avec Mario 64, Mario Galaxy ou prochainement Mario 3DS. Toutes les problématiques de la 3D, qu'elle soit stéréoscopique, polygonale ou dans l'espace sont abordées par Mario d'un point de vue game design. On pourrait également parler du rapport de Mario à sa concurrence directe. L'année 1991, c'est évidemment l'arrivée de Sonic. Donc il faut voir... Si j'arrive à trouver un nouvel angle, une question à poser, pourquoi pas. Mais ça n'est pas à l'ordre du jour.


Néluge : Une question un peu plus personnelle pour terminer, si tu devais choisir un jeu Mario que tu préfères, lequel serait-ce ?

William Audureau : Sans hésitation, Super Mario 64. Super Mario Bros a été mon tout premier jeu, donc à l'époque c'était celui que j'adorais et détestais le plus puisque je n'avais aucun élément de comparaison. C'est d'ailleurs quelque chose qui m'a beaucoup intéressé dans ce livre, pouvoir m'expliquer à moi-même pourquoi le jeu était bon et révolutionnaire pour l'époque alors que fatalement, comme je découvrais le jeu vidéo en général avec ce jeu, pour moi c'était une évidence. Je ne comprenais même pas pourquoi on pouvait faire des jeux où l'écran ne défilait pas, avec un fond noir... Par contre, pour Mario 64, j'avais déjà suffisamment de bouteille pour m'apercevoir que c'était littéralement une nouvelle dimension.

Ensuite, dans ce livre, j'essaye de parler pas mal de Super Mario Land, parce que je trouve que c'est un épisode révélateur de plein de choses : la manière dont Nintendo fonctionne, sa philosophie, ou l'influence de Gunpei Yokoi dont on parle trop peu dans l'histoire de Mario. On y associe toujours Miyamoto, et c'est vrai que c'est lui qui a créé le personnage, mais que ce soit Gunpei Yokoi ou Takashi Tezuka, Mario est né dans une famille de grosses têtes.


"L'histoire de Mario", présenté en avant première lors de Japan Expo 2011, est désormais disponible aux éditions Pix'n Love pour 22 euros. Un grand merci à son auteur William Audureau d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.


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