Le nom dit vaguement quelque chose, et le carton d’invitation (ci-contre) est si surprenant, qu’on marque la date dans son agenda : Musée d’Orsay, jusqu’au 27 Avril. Alors, on croit entrer dans une boutique de luxe, chez un bijoutier ou dans un reliquaire : lumière tamisée, silence religieux et, au, mur, verticales, enchâssées dans des écrins, de précieuses plaques de verre, en noir et blanc, puis, dès 1907, en couleur. Elles sont de petit format, bien sûr, on fait la queue pour les voir une à une, on s’approche, on écarquille les yeux, on déchiffre, on tente de deviner les détails, c’est épuisant et fascinant. Dans des vitrines, quelques journaux où ces photos ont été publiées, et puis, au bout de l’exposition, une salle de projection : c’est à la fois choquant et passionnant. Choquant car on a tellement pris goût à ces tout petits formats, intimes, qui ne se livrent pas au premier regard que les voir ainsi dévoilés en pleine lumière, à la taille de l’écran, apparaît au prime abord comme un viol, un dévoilement, une perte de poésie. Passionnant non seulement parce qu’on aperçoit les détails, mais surtout parce qu’on réalise alors que ces plaques de verre n’étaient pas faites pour être montrées comme ici, mais que les photos de cette époque étaient soit imprimées, soit projetées, et que ces projections organisées étaient l’occasion pour le public de les découvrir.
Léon Gimpel aimait surprendre et expérimenter. Il recherchait l’innovation technique, en particulier la vitesse, l’instantané, mais aussi les prises de vue inhabituelles, celles qui allaient surprendre le lecteur de ‘L’Illustration’. Passionné d’aviation, il part en ballon et photographie en plongée les aéroplanes du début du siècle. Il fait de la plongée et de la contre-plongée sa marque de fabrique et réalise ainsi des effets de foule saisissants, comme cette vue du parvis de Notre-Dame ou ces trognes avides de pain ? non de plantes. Il s’amuse aussi avec les miroirs déformants du Palais des Glaces, il photographie le mouvement (ainsi ces Gardes devant l’Arc de Triomphe), et réalise des compositions colorées chatoyantes du plus bel effet.
Une commande pour des fabricants de tubes de néon l’amène à photographier Paris la nuit : on dirait Vegas ! Sa série de champignons, photographiés de manière frontale, neutre, froide fait songer aux Becher, 50 ans plus tard. Ses photos de la Tour Eiffel annoncent les constructivistes, 20 ans après. Pour reprendre une discussion avec Michel Poivert, président de la SFP (qui possède le fond), Gimpel qui ne fut pas remarqué de son vivant, qui n’était pas dans la dynamique intellectuelle de l’époque, que le marché de l’art n’a pas reconnu et que les historiens d’art n’ont découvert que récemment, est-il un artiste méconnu, précurseur des avant-gardes, ou un photographe qui fit oeuvre d’art de manière non-intentionnelle, après coup, par accident ?
Intéressant billet ici.
Toutes photos © SFP DR. De haut en bas:
- Le dirigeable Ville de Bruxelles en cours de gonflement à Issy-les-Moulineaux, 22 mai 1910;
- La foule s’écoulant sur le parvis Notre-Dame après le passage du cortège de la mi-carême (vue prise de Notre-Dame), 3 mars 1910;
- Etude de physionomies à la distribution de plantes organisée par “L’Oeuvre du jardin de Jenny” devant l’église Saint-Médard (vue prise d’une voiture distributrice), 27 avril 1913;
- Gardes municipaux passant devant l’arc de triomphe de l’Etoile, 29 juin 1913;
- Façade illuminée des Galeries Lafayette, 1er décembre 1933;
- Champignons vénéneux; Amanita muscaria ou amanite tue-mouches, vulg.: fausse oronge, 18 septembre 1912;
- Vue ascendante prise par le brouillard du deuxième étage vers le sommet de la tour Eiffel (solstice d’été), 22 juin 1913.