À côté de l’espace normal, le mathématicien Hendricks a découvert un espace parallèle, l’Aleph-un. S’y aventurer permet enfin aux hommes de naviguer entre les étoiles sans plus tenir compte de la barrière imposée par la vitesse de la lumière.
Mais le passage dans l’Aleph-un est dangereux. Des vaisseaux y disparaissent. Certains pilotes en reviennent fous.
Et voilà qu’Howard, après une disparition de quatorze ans dans l’Aleph-un, réapparaît avec son vaisseau sur l’orbite de Mars.
Il a fait mieux que revenir. Il a atteint l’Aleph-deux.
Et il n’est plus tout à fait humain.
On affirme avec plus ou moins de régularité depuis maintenant près d’un demi-siècle que la science-fiction est un genre mort et enterré, dans le sens où elle n’offre plus rien de neuf, où ses auteurs s’enlisent en quelque sorte dans la redite. On stigmatise, dans certains cercles, les auteurs classiques d’une époque sous prétexte que leurs œuvres, à présent dépassées depuis environ trois générations, sont réactionnaires et nimbées d’autoritarisme, en plus de se montrer bien trop simples sur des plans littéraires et humains que les détracteurs de ces écrivains, pourtant, semblent avoir assez de mal à cerner avec précision eux-mêmes. Bref, on se lamente, faute d’un meilleur terme, et au final on agace…
Colin Marchika nous prouve ici que non seulement cette science-fiction d’antan reste bien loin de la mort mais aussi qu’un auteur talentueux peut lui injecter une force nouvelle insoupçonnée. Car il ne faut pas s’y tromper une seule seconde : Les Gardiens d’Aleph-Deux ne montre strictement rien de nouveau, mais il parvient néanmoins à présenter des éléments tout ce qu’il y a de plus classiques d’une manière tout aussi originale que personnelle, et qui parent ainsi cette lecture des charmes d’une époque peut-être révolue mais néanmoins bien vivace – et peu importe si le constat paraît paradoxal. On peut certainement y voir un rapport avec les vieilles marmites et les meilleures soupes…
De sorte que si Les Gardiens… revient aux fondamentaux du genre, il les pare malgré tout d’un certain modernisme. Entre les thèmes classiques du genre – conquête de l’espace lointain, hyperespace, cyborgs, intelligence artificielle, histoire du futur décrite à travers de courts textes indépendants qui dépeignent une trame globale, etc –, le lecteur averti reconnaîtra des références pour le moins évidentes à divers éléments de cette science-fiction dite populaire, que ce soit à l’aide de jeux de mots – les Hicks Men – ou d’hommages purs et simples – un des personnages mérite bien son surnom d’Akira –, en permettant ainsi un dépoussiérage assez radical de ces sujets pourtant parfois plus de demi-centenaires.
Pour autant, il ne faut pas croire que la cure de jouvence reste due à ces simples effets cosmétiques, ou assimilés, car vous trouverez aussi dans ce livre des éléments tout à fait contemporains tels que l’implication de multinationales – thème cher aux cyberpunks – ou bien la présence d’une agence gouvernementale pour le moins obscure et dont les moyens ainsi que les buts restent tout autant pernicieux – clin d’œil plus qu’évident à la série TV X-Files : Aux frontières du réel (Chris Carter ; 1993-2002). Quant à la folie qui guette les voyageurs s’aventurant dans l’un ou l’autre des Aleph, elle rappelle bien sûr le roman La Grande Porte (Frederik Pohl ; 1977), bien qu’elle s’articule ici autour d’une mécanique narrative assez différente.
Bref, Les Gardiens… est un livre à lire. Non parce qu’il vous laissera voir des choses nouvelles, mais parce qu’il vous rappellera des choses peut-être oubliées alors qu’elles ne le méritaient pas. Car à tous les thèmes du genre ici évoqués, ce roman en ajoute un dernier, peut-être le plus important : le voyage dans le temps vers cette époque unique dans une vie de lecteur où on découvre pour la première fois la saveur de la véritable science-fiction.
Les Gardiens d’Aleph-Deux, Colin Marchika, 2004
Livre de Poche, collection SF n° 7284, avril 2006
416 pages, env. 8 €, ISBN : 2-253-11548-7
- la page de Colin Marchika sur le site des éditions Mnémos
- d’autres avis : nooSFère, Culture-SF, KWS, Fantastinet, Yet, SF-Mag, P. Curval