Jacques Monory, Fuite n°2
La violence et la corruption qui règnent au Mexique inspirent les écrivains, notamment dans le domaine du polar. Après Paco Ignacio Taibo II et Gabriel Trujillo Muñoz, c’est au tour de Federico Vite de dénoncer par l’intermédiaire d’une intrigue étonnante les différentes collusions qui gangrènent ce pays, celle de la police avec le politique, celle de la police avec le banditisme, celle de la police avec le journalisme. On l’aura compris, au Mexique, les policiers sont aussi dangereux que les malfaiteurs.À la différence de ses prédécesseurs, Federico Vite utilise en registre plutôt humoristique. Tout commence ici avec la découverte du corps d’un jeune enfant dont la tête a été fracassée. Mis en cause par la presse, le chef de la police a besoin d’un coupable qui, après consultation de son agenda, devra lui être fourni le surlendemain. Sans se soucier de la moindre investigation, l’agent Roberto Pérez met au point un scénario susceptible de satisfaire son chef et les médias : inculper la trop belle Nadia Polkon pour infanticide et lui trouver un complice. Les journaux ne peuvent se contenter d’une simple arrestation, ils ont besoin d’histoires sordides :« Il évaluait la possibilité de chercher un complice à madame Polkon. Il savait que l’essentiel était de donner une version plausible de l’assassinat, soignée, imparfaite, sinon cela laissait place à la méfiance de certaines personnes qui entravent l’avancée de la justice, tout du moins de celle qu’il représentait. Il songea alors que le médecin légiste, Varguitas, ferait un complice idéal. »L’arbitraire décide de la culpabilité ou de l’innocence, qu’importent les faits. Si le commandant Ojeda n’avait pas eu d’autres préoccupations, sans doute les choses se seraient-elles passées autrement. Mais le responsable de l’enquête a d’autres préoccupations : écrire un roman. À 58 ans, hélas, Ojeda n’a ni imagination ni talent. Il décide de faire de Nadia son héroïne et de commencer son histoire par une formule-choc : « Il était une fois »… Pour pallier à sa médiocrité, Ojeda pioche des paragraphes entiers chez Fernando Pessoa, Gabriel García Marquez, Gustave Flaubert, etc. N’étant toujours pas satisfait, Ojeda, en échange de nouvelles complaisances dans l’affaire en question, obtient de son collègue Pérez l’enlèvement d’Octavio Paz ! Qui d’autre pourrait écrire aussi bien que le seul prix Nobel mexicain de littérature ?Bien que décédé en 1998, Octavio Paz reste la cible des écrivains latino-américains de la nouvelle génération. Dans Les Détectives sauvages, Roberto Bolaño le traite ironiquement de « pédale » pour lui reprocher sa vision machiste et donc réductrice de la culture mexicaine. Federico Vite insiste sur les multiples compromissions du poète avec les autorités politiques corrompues de son pays et surtout sur sa malhonnêteté. Ce livre trace un tel portrait du poète que sa famille a réussi à faire retirer le livre de la vente. Au Mexique, on ne plaisante pas avec les idoles nationales. Le titre français qui fait peut-être référence à un célèbre film de Sam Peckinpah révèle moins les intentions de Federico Vite que le titre original : Fisuras en el continente literario. Sous l’intrigue policière, c’est bien du problème de l’imposture littéraire dont il est principalement question. Et, là encore, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises car ceux qui tirent les ficèles ne sont pas forcément ceux qu’on croit…Federico Vite, Apportez-moi Octavio Paz. Traduit par Tania Campos. Moisson Rouge. 10 €