Never Let Me Go parle d’un passé qui n’a pas eu lieu. D’amours qui ne peuvent pas être vécues. D’êtres qui n’ont pas le droit d’exister. Never Let Me Go parle de nous, à jamais absents de nos rêves, bloqués dans une vie qui n’est pas la nôtre, à la recherche d’une illusion, d’un sens. Never Let Me Go est un diamant rempli de vide. L’un des plus beaux films sortis cette année.
Synopsis : Depuis l’enfance, Kathy, Ruth et Tommy sont les pensionnaires d’une école en apparence idyllique, une institution coupée du monde où seuls comptent leur éducation et leur bien-être. Mais quand ils deviennent jeunes adultes, leur vie bascule…
Ce qui donne sa plus grande singularité à Never let me go, c’est le désespoir noir qui étouffe toute l’intrigue. Never let me go est l’un des très rares films entièrement taillés dans la résignation, dans l’acceptation totale d’un destin injuste.L’histoire offre beaucoup de pistes surprenantes. D’abord, il s’agit d’une uchronie : le monde imaginé n’appartient pas au futur mais à un passé parallèle. Dans ce passé-là, la médecine a fait, dans les années 50, des progrès déterminants. A partir de là, le futur de ce passé a été chamboulé. Comme s’il était essentiel de souligner que l’univers de Never let me go n’existera sans doute jamais mais que là n’est pas l’important. Il aurait été possible, on pourrait en être là, et même encore plus loin, aujourd’hui. Ce qui est important ici, ce n’est pas ce qui existe mais bien l’infinité des possibilités et ce que cet univers parallèle dit sur nous, sur notre condition d’être humain, ici ou là-bas.
Ensuite, l’image, les décors, les costumes, emprisonnés dans un passé qui n’a pas existé, sentent le jauni, le vieux. C’est comme si toute cette histoire était un souvenir ancien et cela lui donne une douceur un peu terne qui est justement le propre de ce qui n’est plus qu’une image dans notre mémoire. Prisonniers de leur destinée, Kathy, Ruth et Tommy le sont aussi de leur univers, tellement dérisoire qu’il échappe à toute réalité.
Contrairement à The Island, qui supposait aussi un monde où des humains-bis étaient créés pour les besoins des transplantations des vrais humains, ici, les donneurs sont au courant depuis toujours. Ils savent ce pour quoi ils ont été fabriqués, ils connaissent avec certitude le déroulement de leur vie. Et ayant été élevés dans cette fatalité, ils ne pensent pas à se rebeller, au contraire des héros de The Island. Ce point scénaristique est essentiel, il traduit l’ADN de Never let me go. Pour Kathy, Ruth et Tommy comme pour tous leurs camarades, se rebeller contre le système, c’est comme se rebeller contre la mort, ce n’est tout simplement pas envisageable. La réalisation des deux films est alors absolument opposée : l’image clignotante, hyperactive et irregardable de Michael Bay est ici remplacée par des respirations longues et difficiles, d’une mélancolie parfois insoutenable.
Porté entièrement par un récit qui ne peut être que ce qu’il est (le film commence par la voix off de Kathy, on sait dès le début qu’on devra arriver à cette image finale de Tommy sur la table d’opération), Never let me go ne donne que très peu de réponses sur le fonctionnement du système. Qui sont ces enfants? Comment ont-ils été créés? A partir de qui? Quelles sont véritablement les lois en vigueur à leur égard? Quelles sont leur possibilités? Leur situation, qu’ils acceptent avec une évidence déconcertante, empêche-t-elle véritablement toute révolte et si oui, par quels mécanismes? A ces multiples questions, les réponses sont très partielles voire inexistantes. Finalement, elles importent peu. Si on ne sait pas tout, on ressent les choses, comme les personnages. Ils ne savent sans doute pas ce qu’ils sont mais ils le sentent. Ils ne savent sans doute pas que tout ceci est inéluctable mais ils le sentent.
D’autres pistes passionnantes sont évoquées par petites touches discrètes, comme la disparition progressive de toute éthique dans le traitement des donneurs. La pension où grandissent les trois enfants nous apparait d’abord comme une prison mais nous comprenons ensuite qu’elle était déjà la marque d’un choix politique, d’une certaine forme de résistance. Autre question troublante, celle de l’âme des donneurs. Comment les gens « normaux » pourraient-ils penser qu’ils n’ont pas d’âme? Quel processus scientifique a permis leur clonage? Et surtout, cette belle idée selon laquelle l’art serait la réponse à la question de l’humanité.
Never let me go est un film de science-fiction particulièrement lent et nostalgique et en cela il rappelle Bienvenue à Gattaca. Mais alors que Gattaca était marqué par la lutte constante du héros, Never let me go ne montre que de la colère et de la tristesse, les deux dernières façons de se battre quand on ne peut pas se battre. La solitude glaciale des personnages rappelle plutôt le premier film de Mark Romanek, Photo Obsession, déjà un diamant glauque.
Never let me go n’est pas un film séduisant, ses personnages ne sont pas des grands personnages de fiction mais ils ne peuvent pas l’être : ils ont été modelé pour n’être presque personne. Malgré cela, ils essaient d’aimer, parce que c’est leur dernière chance d’être quelqu’un. Dans la superbe scène où Tommy sort de la voiture pour crier, toute l’émotion rentrée à l’intérieur du film semble s’échapper. Never let me go est un film submergé par la tristesse.
Sans éclat, l’histoire arrive à son terme, rien n’aura servi, rien n’aura été changé. On n’aura même pas vu de répression. Simplement un fil tendu qu’on ne peut que suivre. Mais tout ça pourrait aussi bien être notre univers à nous. Chacun a un laps de temps défini pour vivre, une fin certaine qui l’attend et nulle façon d’y échapper. Nous ne pouvons que profiter du peu de temps que nous avons, du mieux possible. Never let me go est une parabole sur notre propre situation. Humains-bis relayant les humains que nous voudrions être et que nous ne serons jamais.
Note : 8/10
Never Let Me Go
Un film de Mark Romanek avec Carey Mulligan, Andrew Garfield et Keira Knightley
Science-fiction, romance – Royaume-Uni, USA – 1h43 – Sorti le 2 mars 2011