Origines des surprises stratégiques

Publié le 17 juillet 2011 par Egea

L'habtiué d'égéa aura remarqué que je discute pas mal, ces derniers temps, de "surprises stratégiques" : soit pour les constater, soit pour en imaginer de possibles. Mais il me semble temps de revenir sur la notion, finalement peu explicite. Je sais que Corentin Brustlein en a déjà parlé, et il est même venu sur égéa en débattre. Il me semble nécessaire d'y revenir.

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La notion de « surprise stratégique » apparaît de façon récurrente dans le débat français : elle vient du Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale. Son succès prouve qu’elle exprime une intuition partagée par beaucoup, même si elle souffre d’un manque de solidité conceptuelle.

Le premier chapitre du LBDSN s’intitule « l’incertitude stratégique », qui décrit la mondialisation comme le facteur primordial qui restructure l’ordre international. Plus loin, le LB décrit des possibilités de contournement, avant de prononcer le mot de surprise stratégique : « Dès lors, nous devons nous attendre à des surprises stratégiques, matérialisées par l’ampleur des violences ou des tentatives de blocage du fonctionnement normal de nos sociétés, là où nos moyens militaires ou de sécurité ne les attendent pas habituellement ». Et le texte de citer quelques exemples : interruption de flux (de biens, personnes, marchandises, informations), attaque terroriste majeure, rupture du tabou nucléaire, … et c’est tout : finalement, des situations pas si surprenantes. D’autant qu’on n'a aucune définition de la surprise stratégique sinon qu’elle sert à fonder le primat d’une « incertitude stratégique comme fondement de la pensée et de la politique de défense et de sécurité de la France » et donc la nécessité de l’anticipation.

Le stratégiste ne peut qu’être d’accord, et en même temps un peu déçu. En effet, la notion d’incertitude stratégique est à relativiser : toute situation stratégique comporte une part d’incertitude, ne serait-ce que parce qu’elle met en confrontation des acteurs aux intérêts différents, aux moyens variés et donc aux initiatives nombreuses. Au fond, la stratégie consiste toujours à produire du calcul stratégique face à des situations incertaines, pour que le décideur choisisse des actions qui améliorent sa situation. Pourtant, il y a une grande part de vérité dans la notion de « surprise stratégique », vérité qu’il convient de dévoiler.

La notion de surprise est en fait assez ancienne : dès la guerre froide, rétrospectivement pensée comme une situation « stable », chacun craignait la surprise, avec par exemple une attaque nucléaire « surprise » qui aurait pu rompre l’équilibre stratégique existant. La notion a changé avec par exemple, dans les années 1990, la crainte d’une attaque informatique majeure. Toujours, dans ces scénarios catastrophiques, on envisage cette notion de bataille décisive qui reste, il faut le rappeler, une notion très discutable et pas assez discutée.

Toutefois, l’acuité de la surprise stratégique a atteint son apogée le 11 septembre 2001. Les spécialistes discutaient déjà, alors, des guerres asymétriques par rapport aux guerres symétriques. Pourtant, nul n’avait vu l’émergence brutale d’un acteur hostile qui, soudainement, réussit à devenir l’ennemi public n°1 et donc à polariser vers lui l’hostilité occidentale. Cette guerre contre le terrorisme a obéré le débat stratégique depuis dix ans, et nous commençons juste à nous en libérer. Toutefois, elle constitua une surprise stratégique dans tous les sens du terme et c’est à elle que le LB se réfère, donnant d’ailleurs comme premier exemple d’une surprise à venir le terrorisme, alors justement que le terrorisme ne nous surprend plus, même si son usage peut avoir encore des effets tactiques, voire stratégiques.

Mais justement, un mode d’action fondé sur l’effet psychologique, surtout s’il est obtenu par surprise, ne fonctionne plus : et tout d’abord parce qu’on n’est plus ni surpris, ni psychologiquement atteint (même si on peut être choqué, car il ne s’agit pas de dénier le traumatisme des victimes).

(à suivre)

O. Kempf