IN THE COUNTRY OF MEN
( AU PAYS DES HOMMES )
Une lecture que j'appréhendais malgré ma grande curiosité pour la littérature du monde et le riche témoignage de ce qui se passe au-delà de nos frontières qu'elle représente entre autres.
Appréhension car la Libye n'est pas réputée pour sa littérature comique, ni une réalité bien rose, et j'avais peur de sortir de cette lecture anéantie, vide, comme au sortir des actualités ou d'un reportage sur la noirceur du coeur des hommes et la fatalité qui s'acharne sur certains pays et leurs habitants.
Malgré son statut d'incontournable (cf l'article du Courrier International relayé par Zarline), le quasi coup de coeur avec Le tigre blanc découvert via cet article, et mon appréciation des autres titres mentionnés, qui me laissaient entendre que je devrais pouvoir faire confiance pour ce livre, il m'a fallu lire la quatrième de couv' cinq ou six fois pour m'assurer que je pouvais me plonger dans ce récit sans risque de blocage et dépression pendant et post-lecture.
C'est dans ce contexte de grande confiance que j'ai abordé ce livre, soutenue par la pensée qu'Hélène de Lecturissime subissait peut-être les mêmes doutes et tourments dans cette aventure de sa lecture commune qui nous a prises d'un coup d'un seul, comme ça.
J'ai été du coup très agréablement surprise par la facilité et la légèreté avec lesquelles on rentre dans ce livre, son univers, qui n'avait rien de suffocant comme je le craignais. On y découvre Tripoli à la fin des années 70 à travers Suleiman, le narrateur, qui avait 9 ans à l'époque.
Tripoli et le soleil, Tripoli et la mer, Tripoli et les vestiges romains non loin, à Lepcis, autant d'évocations qui pourraient laisser penser qu'il fait bon vivre en Libye, surtout quand on a 9 ans et que la vie se résume aux insouciances et joies de l'enfance, aux jeux avec les petits copains de quartier, à l'admiration et l'amour pour un père businessman qui ramène des cadeaux de l'étranger, et pour une mère toujours présente, courageuse et aimante.
Et puis un jour, Suleiman est témoin de l'arrestation du père de son meilleur ami, mais dans sa tête d'enfant, il n'en comprend pas les enjeux ni les implications.
C'est toute la vie de la famille qui bascule à ce moment-là, à l'insu de Suleiman qui ne se doute de rien malgré les évidences qu'il ne comprend pas.
Hisham Matar restitue avec subtilité, finesse et beaucoup de réalisme, l'atmosphère inquiétante de la Libye sous la dictature de Khadafi, à travers le portrait bouleversant et la vie de cette petite famille, mais avec une sorte d'innocence et de naïveté due au fait que toute l'horreur de cette réalité soit filtrée au travers des yeux d'un enfant. C'est à la fois perturbant, saisissant et formidablement bien rendu, et par moment atroce dans tout ce que la situation a d'enrageant. Je me souviens m'être énervée contre Suleiman, contre sa bêtise face à la manipulation des révolutionnaires, bêtise qui l'en rend même cruel sans qu'il s'en rende compte, un comportement qui rend parfois mal à l'aise mais en même temps qui est tellement réaliste.
Une lecture que je ne regrette pas et que j'ai trouvé très intéressante sur bien des plans, sur ce que le récit peut susciter comme réflexions sur le courage, la foi et la valeur des hommes dans toutes situations extrêmes, sans qu'on puisse se permettre de juger les actes des uns et des autres, tous ployant sous le joug impitoyable de la dictature. L'histoire personnelle de la mère, sa jeunesse, son mariage, ne manque pas non plus d'intérêt et illustre bien les traditions dans ce pays.
L'auteur
Hisham Matar est né à New York de parents libyens. Il a passé une partie de son enfance à Tripoli puis au Caire. Venu suivre des études à Londres, il apprend en 1990 l'enlèvement puis le rapatriement de force de son père dans les geôles libyennes : il n'a aucune nouvelle de lui depuis 1995. Au pays des hommes, son premier roman, figurait dans la dernière sélection du prestigieux Booker Prize.